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Darius Milhaud (1892-1974) : La Création du Monde opus 81a ; Le Bœuf sur le Toit opus 58a ; Suite Provençale opus 152d ; L´homme et son désir opus 48. Tomoko Makuuchi, soprano ; Jian Zhao, mezzo-soprano ; Mathias Vidal, ténor ; Bernard Deletré, basse. Orchestre National de Lille-Région Nord/Pas de Calais, direction : Jean-Claude Casadesus. 1CD Naxos (Integral Classics distribution) 8. 557287. Enregistré à l´auditorium du Nouveau Siècle de Lille en juillet 2003. Notice trilingue (anglais, français et allemand). Durée : 68´40´´.

 
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laisse un héritage artistique considérable dont la valeur reste encore à découvrir. Sa musique ne laisse pas indifférent. Provocante, fiévreuse, franchouillarde ou polissonne, elle est un vrai stimulant pour les mélomanes. Compositeur, chef d´orchestre, critique musical, conférencier et pédagogue, il est aussi membre du Groupe des Six (avec Georges Auric, Louis Durey, Arthur Honegger, Francis Poulenc et Germaine Tailleferre). Son éducation musicale et artistique s´enrichit de ses multiples rencontres (F. Jammes, P. Claudel, E. Satie, V. Lobos, B. Cendrars, J. Cocteau, F. Poulenc, A. Honegger, L. Aragon, A. Breton, R. Radiguet, Brancusi, F. Picabia, P. Picasso, M. Herrant, C. Chanel, Y. Printemps, A. Derain, G. Auric, A. Gide, le Maréchal Lyautey, G. Gallimard, A. Rubinstein, M. Jouhandeau, P. Bourget, M. Aymé, M. Jacob, T. Bernard, P. Reverdy…) et de ses nombreux voyages (en qualité de secrétaire de Paul Claudel au Brésil, Londres, Etats-Unis où il découvre le jazz en 1922). Né à Marseille et élevé à Aix-en-Provence ce musicien de la polytonalité joue avec les couleurs comme le Carnaval de Rio avec ses chorégraphies ; exotisme tonal garanti. Il s´intéresse aussi au cinéma et compose de nombreuses musiques de films. Réformé de son service militaire pour rhumatisme, l´occupation le contraint à quitter la France en 1940. Dès 1947, il est nommé professeur de composition au Conservatoire de Paris. Sa production est inouïe, pas moins de 443 opus, dont 12 symphonies, 14 ballets, 16 opéras, 18 quatuors à cordes qui font de ce compositeur un incontournable de la musique française. Sans nul doute, il est contrapuntiste, comme en témoigne ces deux quatuors à cordes superposables et jouables séparément. Ce n´est pas tout, 200 mélodies, 5 concertos pour piano et 4 pour violon ! Il y a quelque chose qui touche à l´identité nationale dans sa musique, comme l´âme identitaire des compositeurs russes. Mais la comparaison s´arrête là. Car est optimiste, et la joie et les aventures pleines de vie qui parcourent sa musique illustrent avec délice une province méridionale où la culture antique trouve son berceau. Pour lui, un compositeur doit rester libre et indépendant et ne pas se soumettre à une quelconque doctrine. N´oublions pas les protestations et les cris à l´écoute du simple chœur accompagné par quelques percussions, lors de la création des Choéphores. Par son exploration de la polytonalité, il ouvre sans doute la porte au total chromatique et aux clusters. Sa volonté de n´être assujetti à aucune méthode ni techniques compositionnelles l´amènent à envisager le rythme différemment. Ses propos en témoignent : « Des chœurs aussi célèbres que la Bataille de Marignan ou que le Chant des Oiseaux peuvent donner bien des leçons de rythme, d´impressionnisme, de richesse, de liberté, de fantaisie à nombre de musiciens que le Sacre du Printemps empêcha de dormir ». Enfin, son apport dans la spiritualité est d´une richesse extraordinaire. De la monodie aux antiphonaires, des répons aux polyphonies primitives, des influences grecques et méditerranéennes aux déclamations des solistes, il insuffle à la musique vocale française, une énergie considérable, qui font de lui l´un des compositeurs essentiels du répertoire français.

Dès le début de la Création du Monde opus 81a, on retrouve les accords majeurs mêlés aux accords mineurs, si fréquents dans son écriture. La prédominance des sonorités des vents (dont un saxophone solo), des percussions et du piano confère à l´ensemble une couleur robuste, brute et orageuse. Ce ballet -sur un argument de Blaise Cendrars et des décors de Fernand Léger- est crée en 1923 par les Ballets Suédois de Rolf de Maré. Le public n´apprécie pas, il trouve l´œuvre trop sombre et touffue. Pourtant, ce n´est certainement pas une forme ouverte, après une cadence classique, les syncopes sud-américaines fusent de toute part ; trompettes, trombone, flûtes, clarinettes, hautbois, cor courent, sautent sur un tapis de percussions proche de Parade d´Erik Satie. Chaotiques, les structures rythmiques sont très courtes, et s´enchaînent les unes aux autres. La danse ne peut s´installer, mais le corps veut bouger, il veut couper ses chaînes. Après une accalmie amère d´un violoncelle plein de remords, suggère l´Amérique et la liberté à travers des thèmes proches de ceux de George Gershwin et du folklore américain. Comme le hautbois plaintif, l´Allemagne nazie est loin. De ci de là, le piano se déhanche sur cette comédie américaine aux accents frenchy, et donne au ballet un air festif parfois très proches de celui des Ogres de Barbak actuels, groupe de rock de banlieue parisienne. Parce qu´il est un syncrétisme culturel sans précédant, ce ballet reste l´œuvre la plus jouée du compositeur.

Le Bœuf sur le toit opus 58 est composé en 1919. Il existe une version dite « cinéma fantaisie » pour violon et piano destinée à accompagner un film muet. A l´époque, la vie est dure, et nombreux sont ceux qui la brûlent par les deux bouts, niant un éventuel sens à celle-ci. Ce ballet pour orchestre est construit sur un argument de Jean Cocteau, et créé en 1920 à Paris, dans un décor de Raoul Dufy. Plusieurs scènes s´enchaînent, guidées par une mélodie brésilienne qui sert de fil conducteur. Dès le début, cette mélodie syncopée est suave, elle séduit par son majeur-mineur légendaire, puis la franchise des cuivres revient nous rassurer. Les plans sonores sont très clairs pour Darius Milhaud qui joue sur les polyrythmies comme sur les accords tapageurs des bois. Un festival, une arène peut être, à moins que ces pages polytonales ne laissent le piccolo continuer ses superpositions harmoniques. Comme au carnaval de Rio, les lourdes robes de cuivres tournent sur des chorégraphies complexes et parfaitement synchrones, sous le soleil d´un guiro et d´un tambourin à plumes colorées. Notons que la polytonalité qu´il emploie est à chaque couplet de plus en plus osée et atonale, du coup, le retour du refrain, quatorze fois en tout aux douze tonalités majeures, est attendu avec soulagement. Un quart d´heure de réel bonheur, le scénario envisagé par Jean Cocteau se déroulait dans un bar au temps de la prohibition, un boxeur, un nain, une élégante, une femme garçonne, un bookmaker, une atmosphère d´allégresse saupoudrées d´incidents grotesques ; le policier est décapité par le ventilateur avant de retrouver ses esprits et de payer l´addition que lui tend le barman. C´est un cartoon dans lequel les polyphonies de sambas, de maxixes et de tangos endiablées transportent l´auditeur au beau milieu d´un carrefour culturel.

Tirée des pages écrites pour la pièce Bertran de Born, de Valmy Baisse de 1936, La Suite Provençale opus 152d s´ouvre sur un triomphe digne des Soupers du Roy. C´est une musique de scène aux cadences baroques, aux hémioles délicieuses et à l´orchestration versaillaise. Les mélodies provençales animent ce moment festif où parfois les fifres des pâtres percent les nuages noirs des fins d´après-midi méridionales. C´est la tournée brésilienne des Ballets russes de Diaghilev, au cours de laquelle Nijinski dansa en public pour la dernière fois, qui inspire Darius Milhaud pour écrire L´Homme et son désir opus 48 (1917-1918). Sur un récit de Paul Claudel, l´histoire se déroule dans la forêt amazonienne primitive. Etrange dépaysement sans repères. La voix des solistes souligne l´esprit ésotérique qui fait apparaître la lune. Un monde mystérieux et plein de symboles dans lequel l´écriture devient plus archétypale, abstraite, loin des commandes de films et de scènes. Un quatuor vocal scande des rythmes brésiliens, que l´ Région Nord reprend avec enthousiasme et amusement. Les changements de caractère sont nets, sans transition. Le temps glisse sous les pas du carnaval ou bien sur un léger pizzicato de cordes et de coups de cymbales, les bois luxuriants nous envoûtent. La forêt est comme maternelle, en son sein est l´origine de l´inspiration. La culture n´est ni apprise ni transmise, elle est source pour le compositeur. Comme un Sacre du Printemps brésilien en hommage à Igor Stravinsky, Darius Milhaud signe là son œuvre la plus radicale. Une coda laisse la soprano Tomoko Makuuchi terminer sur des percussions qui fourniront à Edgard Varèse bien des idées pour ses œuvres ; le XXe siècle français pousse ses premiers cris.

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