Dans «son» Histoire de la Musique (éditions Robert Laffont, 1973), Lucien Rebatet n'est guère tendre envers Luigi Cherubini (1760-1842), allant jusqu'à dire à propos de Médée que «Dès les ponts-neufs et flonflons de l'ouverture, c'est le plus morne exemple d'un pseudo-classicisme que n'a jamais effleuré une ombre de vie […] C'est une musiquette tracée par une main timorée sur une fable sauvage dont de vagues épigones de Ducis ont épongé tout le sang, et qu'ils ont réduite à une insipidité.» De même, le sieur Rebatet reconnaît n'être guère encouragé «à pratiquer des fouilles dans les mètres cubes des partitions religieuses de Cherubini – dix-huit messes, des motets, des oratorios – à première vue musiques de fonctionnaire, complètement momifiées.»
D'autre part, Henry-Jacques est sans aucun doute d'une objectivité moins féroce, en précisant que «Le drame de Cherubini, c'est d'être né à peu près à la même époque que Mozart et mort quinze ans après Beethoven : sa longue vie est donc à cheval sur deux siècles dominés par les plus hautes figures de la musique.» À mettre en parallèle avec Antonio Salieri, de dix ans son aîné… Beethoven lui-même précisément, dans une lettre au violoniste et compositeur Louis Schlösser, le tenait comme «le meilleur compositeur de son temps», et Haydn, Schumann ou Brahms n'étaient guère moins élogieux. Quant à Berlioz dont on sait les tensions qui l'opposèrent à Cherubini, il le considérait en tant que compositeur comme «un modèle sous tous les rapports» pour les jeunes musiciens…
Le recul du temps entraîne une réappréciation de l'art de Luigi Cherubini bien évidemment plus nuancée, et la publication de ce très beau coffret à l'occasion du 250e anniversaire de sa naissance, contenant tout ce que Riccardo Muti a enregistré de ses nombreuses œuvres religieuses, y contribuera très certainement.
Bien sûr à l'audition des quelques ouvertures purement orchestrales complétant cet album, on ne peut qu'être convaincu qu'il s'agit d'une musique si paisiblement inoffensive qu'elle semble être l'œuvre d'un digne académicien, même si d'ailleurs l'Academy of St. Martin in the Fields, sous la direction de son talentueux chef Sir Neville Marriner en extrait toute la substance musicale qu'il est humainement possible de soutirer. Toutefois, si une personnalité musicale aussi éminente que Toscanini a gravé dans les années 50 pour RCA-Victor la Symphonie en ré majeur, les ouvertures Ali-Baba, Anacréon, Médée, et surtout l'admirable Requiem en ut mineur, commémorant le 21 janvier 1817, en la basilique de l'abbaye Saint-Denis, le 24e anniversaire de la mort de Louis XVI, on suppose que ce n'est pas uniquement par patriotisme envers le compositeur !
Car c'est bien dans ses pages religieuses, plus que dans ses opéras, que gît l'essence même de l'art de Cherubini, et cela, Riccardo Muti l'a très bien compris : dans ces œuvres souvent monumentales, il voit «un compositeur extrêmement cultivé et néo-classique – un architecte de la composition… D'abord la beauté de sa musique peut sembler froide, mais il y a un feu intérieur qui est constamment sous contrôle.» Quoi qu'il en soit, dès septembre 1973, Muti a consacré tout son temps, son énergie et son talent à montrer que c'est bien loin d'être de la musiquette momifiée, n'en déplaise à Lucien Rebatet !
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