Le coffret EMI de 18 disques, plus de 22 heures de musique, est assurément LE coffret événement pour la célébration des 150 ans de la naissance de Frederick Delius.
A la vérité, ce coffret est autant un hommage à Delius qu'à l'engagement éditorial d'EMI pour ce compositeur. Après ces valeureux efforts, il était sans doute difficile de réenregistrer ce qui était devenu un fonds de catalogue, sur un répertoire générant des ventes limitées. Le relais a été assuré par Decca dans les années 90, et depuis les années 2010 par Chandos, Naxos et Danacord.
A tout seigneur, tout honneur, Sir Thomas Beecham (voir notre dossier Thomas Beecham) ouvre le coffret mais par des pièces d'intérêt secondaire et issues du coffret English Music (Clef Resmusica) publié en 2011. Le coffret se concentre en fait sur la génération de chefs qui ont succédé à Beecham. Celui-ci dirige avec ce style, cette dimension supérieure et mystérieuse, cette tension qui manque à ses successeurs immédiats.
Puisque désormais la troisième génération de musiciens est arrivée à sa pleine maturité et maîtrise le style délien, d'Andrew Davies (Chandos) à Bo Holten (Danacord) en passant par Tasmin Little (Chandos) ou plus récemment David Hill (Naxos), on est frappé par la difficulté rencontrée par les interprètes de la période 1960-1980 à être pleinement convaincants (et peut-être à être pleinement convaincus, les résistances des musiciens d'orchestre étant avérées).
Dans le répertoire orchestral, Sir John Barbirolli est le chef qui s'approche le plus de la sensualité et sait sortir de l'interprétation littérale, mais il peut à l'occasion se montrer curieusement lourd (Appalachia). Sir Charles Mackerras était un bon choix et il fera d'ailleurs de beaux enregistrements pour Argo (repris depuis par Decca), mais dans Paris la tension retombe entre les épisodes, peut-être a-t-il été trahi par ses musiciens. Vernon Handley fait du joli, même du très joli Delius dans les fameux In a Summer Garden ou First Cuckoo, mais ce n'est pas rendre justice à ces pièces que de rester ainsi à leur surface. Sir Richard Hickox a plus de nerfs que ses collègues, mais il reste extérieur à cette musique, et n'en fait ressortir ni la poésie pleine de fraîcheur (Florida) ni le frémissement, la palpitation de la fête (Brigg Fair) des défauts qu'on retrouvera dans ses enregistrements pour Chandos. Charles Groves dans l'iconique Sea Drift est beau, mais lent, sa direction est comme confite dans le cérémonial, un pêché qu'il commettra aussi dans la Mass of life. On s'endormirait presque dans les si poétiques North Country Sketches…
Côté solistes, Lord Yehudi Menuhin dans le Concerto pour violon ne chante pas dans son arbre généalogique, et Jacqueline Du Pré avec Barbirolli n'est guère plus convaincante dans le concerto pour violoncelle, hélas.
Pour les opéras, A Village Romeo et Juliet dirigé par Meredith Davies est dépassé par Beecham (EMI) et surtout Charles Mackerras (Decca), l'orchestration est bien articulée, mais ce qu'il faut c'est au contraire de l'envoûtement et du fondu.
Attention, il y a aussi de biens belles choses dans cette box, et par chaque chef. Par exemple, la rareté The Homeward Journey par Marjorie Thomas, accompagnée par… Thomas Beecham (CD 9), encore lui ! Vernon Handley trouve l'inspiration pour Eventyr et la musique de scène de Hassan (soit tout le CD 10). Meredith Davies est convaincant dans le Requiem laïque qu'il joue de manière bien ressentie (CD 13) ainsi que dans l'opéra Fennimore and Gerda avec Elisabeth Söderström (CD 18). Malcolm Sargent emporte l'adhésion dans A Song before sunrise et Songs of Farewell (CD 13).
Enfin notre coup de cœur est pour Koanga (CD 14-15), opéra de 1897 à découvrir pour son thème précurseur à l'époque, qui traite de l'antagonisme des blancs et des noirs dans l'Amérique toujours ségrégationniste. L'opéra démarre lentement, mais il contient de superbes pages dramatiques, bien loin de l'image surannée que traîne le compositeur, et il est interprété avec engagement par Charles Groves.
Ce coffret EMI permet de faire un point quasi-exhaustif sur le répertoire de Delius tel qu'il était défendu dans la seconde moitié du XXième siècle au Royaume-Uni, c'est-à-dire le seul pays qui lui resta fidèle. Riche et inégale, cette publication n'est pas une somme qui se suffit à elle-même, elle est un précieux bilan d'étape. Soyons reconnaissant sans réserve pour le travail majeur accompli par EMI, car il est la fondation des beaux et vibrants enregistrements qui sont réalisés aujourd'hui. Ce qui va se réaliser dans les cinquante prochaines années en matière d'interprétation délienne s'annonce passionnant, alors merci EMI pour avoir servi Delius sans faillir pendant près de soixante-dix ans !
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