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Trois sonates et trois siècles sous les doigts de Yefim Bronfman

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Paris. Salle Pleyel. 16-V-2013. Joseph Haydn (1732-1809) : Sonate pour piano n°60 en do majeur Hob. XVI-50. Johannes Brahms (1833-1897) : Sonate pour piano n°3 op.5. Sergueï Prokofiev (1891-1953) : Sonate pour piano n°8 op.84. Yefim Bronfman, piano.

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En choisissant de réunir dans un même concert des sonates de Haydn, Brahms et Prokofiev, n'avait pas l'ambition un peu vaine d'être encyclopédique. Il tâchait plutôt de recueillir ce que chacun trois derniers siècles avait pu donner à la musique de plus abouti. Cette alchimie fonctionne tout à fait : elle offre à l'auditoire une agréable diversité de sensations, qui retient l'attention dans des œuvres complexes et sinueuses ; mais surtout, elle permet au pianiste de mettre en relief, outre ses grandes facultés techniques, sa compréhension profonde de partitions très diverses.

S'il fallait adresser un reproche à , ce serait, au sein de cet éclectisme, d'être resté trop prudent, et de n'avoir pas donné à ces pièces assez de caractère. Les mouvements s'enchaînent parfois un peu platement, et les diverses atmosphères ne sont qu'esquissées ; quant aux tempi, ils sont légèrement en retrait. Mais comment savoir si cette relative fadeur est le fait d'une nonchalance du pianiste, ou de la triste acoustique de la salle Pleyel, où les sons se noient et s'emmêlent singulièrement ?

Avant tout, c'est la hauteur de vue de Bronfman que l'on admire : son interprétation a le mérite immense de mettre en relief les dynamiques souterraines, les grandes houles qui s'élancent sur plusieurs dizaines de mesures. Dès les premières notes de la sonate de Haydn, le passage de l'expressivité impersonnelle du thème à une animation graduelle dans laquelle la ligne mélodique finit par se perdre, donne un souffle et une direction qui irriguent tout le premier mouvement. Le succès du concert doit beaucoup à cette clairvoyance d'architecte.

Dans la sonate de Brahms, le pianiste prouve que son dessein de rendre leur limpidité à ces vastes pièces ne contrecarre jamais sa volonté de soigner chaque note dans son individualité. La précision de son toucher s'allie à un bon goût peut-être instinctif, grâce auquel les inflexions romantiques de l'œuvre échappent à la caricature. Deux grandes réussites en particulier : le timbre du registre grave, que Brahms affectionne, et qui résonne sous les doigts de Bronfman avec largesse et onctuosité ; et l'imitation des trompettes dans le quatrième mouvement (l'Intermezzo), élégante et menaçante tout à la fois.

Prokofiev, dans la Huitième Sonate, déploie son art si particulier de l'agencement des thèmes, dont le retour perpétuel engendre des complexités formelles (qui sont tout sauf une « allégeance aux canons du réalisme socialiste », n'en déplaise à la simpliste note de programme). Cela ne déroute absolument pas , qui domine l'œuvre du haut de son impeccable virtuosité. Mais une fois encore, ce n'est pas l'aisance instrumentale qui étonne, mais la pertinence des effets sonores obtenus : les sons de cloches, ouatés et lointains, dans le premier mouvement, ou encore, dans l'épisode central du finale, la fixation obsédante sur un la bémol, qui est frappé chaque fois plus violemment.

Les quelques bis clinquants et ostentatoires qui ont conclu le concert n'auront pas suffi, espérons-le, à faire oublier que Yefim Bronfman est un grand musicien.

Crédit photographique : © Dario Acosta

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Paris. Salle Pleyel. 16-V-2013. Joseph Haydn (1732-1809) : Sonate pour piano n°60 en do majeur Hob. XVI-50. Johannes Brahms (1833-1897) : Sonate pour piano n°3 op.5. Sergueï Prokofiev (1891-1953) : Sonate pour piano n°8 op.84. Yefim Bronfman, piano.

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