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Les splendides enregistrements new-yorkais de John Barbirolli

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Henry Purcell (1659-1695) / John Barbirolli (1899-1970) : Suite pour cordes, quatre cors, deux flûtes et cor anglais. Claude Debussy (1862-1918) : Ibéria L. 122 n° 2, extrait des Images pour orchestre ; Ballet L. 65 n° 4, extrait de la Petite suite pour piano à quatre mains arrangée pour orchestre ; Première rhapsodie pour orchestre avec clarinette principale L. 116. Piotr Ilitch Tchaïkovski (1840-1893) : Francesca da Rimini op. 32 ; Tema con variazioni op. 55 n° 4, extrait de la Suite n° 3. Ottorino Respighi (1879-1936) : Arie di corte, extrait de la Suite n° 3 faisant partie des Airs et danses anciens pour luth (arrangement pour orchestre) ; Fontaines de Rome. Franz Schubert (1797-1828) : Symphonie n° 4 ; 5 Danses allemandes avec 7 Trios et Coda D. 89 (D. 90). Johannes Brahms (1833-1897) : Symphonie n° 2 ; Ouverture pour une fête académique op. 80. Jean Sibelius (1865-1957) : Symphonies n° 1 et n° 2. Bedřich Smetana (1824-1884) : Ouverture de La Fiancée vendue. Nikolaï Rimski-Korsakov (1844-1908) : Capriccio espagnol op. 34. Maurice Ravel (1875-1937) : La Valse M. 72. Hector Berlioz (1803-1869) : Le Carnaval romain op. 9. Johann Sebastian Bach (1685-1750) / John Barbirolli : Les Moutons peuvent brouter en toute sécurité, morceau d’après le mouvement n° 9 « aria » de la cantate « Mon seul plaisir est la joie de la chasse » BWV 208. Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) : Concerto pour clarinette K. 622 ; Concerto pour piano n° 27 ; Symphonie n° 25. Max Bruch (1838-1920) : Concerto pour violon n° 1 op. 26. William Byrd (c.1540-1623) / Giles Farnaby (c.1563-1640) / John Bull (c.1562-1628) / John Barbirolli : Une suite élisabéthaine. Benny Goodman, clarinette (Première rhapsodie pour orchestre avec clarinette principale de Debussy et Concerto pour clarinette de Mozart) ; Robert Casadesus (Concerto pour piano n° 27 de Mozart) ; Nathan Milstein (Concerto pour violon n° 1 de Bruch) ; New York Philharmonic, direction : John Barbirolli. Coffret de 6 CD Sony Classical. Enregistrés entre 1938 et 1942 à New York, au Carnegie Hall et au Liederkranz Hall. Textes de présentation en anglais et allemand. Durée totale : 6 heures 57 minutes

 
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Pour célébrer le cent-vingtième anniversaire de la naissance de et le cinquantenaire de sa mort, le label Sony Classical publie ce coffret de six disques réunissant l'intégrale des enregistrements RCA Victor et Columbia du chef anglais.

John Barbirolli_New York Philharmonic_enregistrements RCA Victor et Columbia est né le 2 décembre 1899 à Londres de parents italiens et français. Tout au long de sa carrière, il reste fidèle à son pays natal et au répertoire britannique ; si son legs discographique se conjugue principalement autour des parutions du label EMI / Warner Classics, il ne faut pas oublier l'aventure américaine de l'artiste. C'est le 29 avril 1936 qu' a donné son ultime concert avec le , quittant ses fonctions du chef principal de l'ensemble afin de prendre la tête du NBC Symphony Orchestra nouvellement créé. Il a laissé un siège vacant à la tête d'une formation dirigée depuis des décennies exclusivement par des musiciens venant d'Europe : Emil Paur, Walter Damrosch, Vassili Safonov, Gustav Mahler, Josef Stránský, Willem Mengelberg… pour ne citer que les prédécesseurs de Toscanini au XXe siècle. Pour maintenir cette tradition, le a tenté une fois de plus d'engager un chef du Vieux Continent. Le choix est tombé sur Wilhelm Furtwängler qui a d'abord accepté l'invitation mais qui, suite à des protestations dues au fait qu'il vivait et travaillait sous le régime nazi, a fini par renoncer à traverser l'Atlantique. À sa place, le conseil d'administration de la phalange américaine a décidé de partager la saison 1936-1937 entre cinq chefs : Barbirolli, Igor Stravinsky, Georges Enesco, Carlos Chávez et . Le succès de Barbirolli, débutant dans son nouveau rôle le 5 novembre 1936, fut au rendez-vous, et l'orchestre lui proposa de devenir son chef permanent dès la saison suivante. Pendant ce temps, dans la plus grande ville des États-Unis, il avait assuré pas moins de quatre-vingts concerts – plus du double de Toscanini en une saison.

Coopération avec RCA Victor

La fréquence des apparitions publiques de à New York n'a hélas pas renforcé la popularité du jeune Anglais dirigeant au Carnegie Hall, ni en concert, ni plus tard en disque. En 1938, Barbirolli a dû faire face non seulement à la légende que représentait Toscanini mais aussi à sa personne puisque celui-ci résidait à New York comme chef du NBC Symphony Orchestra. Cependant, déjà le 7 février 1938, Barbirolli et le (dénommé le Philharmonic-Symphony Orchestra de New York sur les pochettes des microsillons) ont fait leurs premières gravures pour RCA Victor, une société qui avait enregistré cet ensemble depuis l'époque de Mengelberg et Toscanini. Au programme : la Suite pour cordes, quatre cors, deux flûtes et cor anglais de Purcell / Barbirolli et Ibéria L. 122 n° 2 de Debussy. Deux jours plus tard, Barbirolli a continué les sessions avec le Concerto pour violon de Schumann (avec en soliste, réalisé pour EMI), ainsi que Francesca da Rimini de Piotr Ilitch Tchaïkovski et Arie di corte, extrait de la Suite n° 3, faisant à son tour partie des Airs et danses anciens pour luth (arrangement pour orchestre) d'Ottorino Respighi. La baguette de Barbirolli y témoigne d'un lyrisme profond et maîtrisé autant pour les nuances que pour les tempi. Ses prestations bénéficient d'une approche plus romantique que celles de Toscanini, avec notamment plus de souplesse dans le mouvement, non dénué de contrastes dynamiques, de précision rythmique ni d'énergie.

Presque un an plus tard, le 21 janvier 1939, John Barbirolli a enregistré la Symphonie n° 4 « Tragique » et les 5 Danses allemandes avec 7 Trios et Coda D. 89 (D. 90) de Schubert, de même que les Fontaines de Rome de Respighi. Si sa lecture de la symphonie est sombre et d'une puissance dramatique assortie d'une légèreté des traits, les danses – tantôt galantes, tantôt tendues – incarnent à la perfection l'esprit de raffinement et de noblesse. Malgré son acoustique réputée, le Carnegie Hall s'est avéré un lieu difficile pour ces captations. De ce fait, les 78 tours originaux ne rendent pas justice à l'art du chef. Comme mentionne le livret joint à ce coffret, seules « les techniques modernes de restauration numérique les ont rendus éminemment audibles ».

Coopération avec Columbia

Dès 1940, John Barbirolli a coopéré avec Columbia Records, remis sur pied après la crise, grâce à son rachat par William S. Paley en 1938. Revitalisé, l'ambitieux label venait alors d'engager de nombreux orchestres américains importants. Barbirolli et le New York Philharmonic ont rejoint le groupe pour réaliser leur premier disque le 27 mars 1940, mettant aux pupitres la Symphonie n° 2 de . Pour cette gravure, le producteur de Columbia, Moses Smith, conscient des problèmes que posait le volume du Carnegie Hall, a choisi d'enregistrer la phalange dans une salle située à l'étage du Liederkranz Hall, probablement le meilleur endroit en raison de ses conditions acoustiques phénoménales. Dans cette œuvre, Barbirolli subjugue par la cohérence de sa lecture, par l'équilibre entre poésie et intensité, modelant les phrasés avec autant d'ardeur et de vitalité que de tendresse, sans empressement comme sans emphase, ni grandiloquence ni afféterie, mais avec juste un brin de théâtralité. À la fin des années 1960, le chef reviendra à cette partition lors de l'un de ses séjours viennois.

Le 16 novembre 1940, Moses Smith a fait revenir le New York Philharmonic au Liederkranz Hall pour graver Capriccio espagnol de Rimski-Korsakov, La Valse de Ravel, Le Carnaval romain de Berlioz et l'Ouverture pour une fête académique de Brahms. Ces interprétations allient sensibilité et vivacité des couleurs, oscillant en quelque sorte entre spontanéité et rigueur, bien que, parfois, on eut aimé y percevoir un peu plus de ferveur, en particulier dans Capriccio espagnol.

Exactement un mois plus tard, Barbirolli revient pour diriger un morceau de Johann Sebastian Bach dans son propre arrangement pour orchestre symphonique, le Ballet L. 65 n° 4 et la Première rhapsodie pour orchestre avec clarinette principale L. 116 de Debussy, ainsi que le Concerto pour clarinette K. 622 de Mozart. Ces deux dernières œuvres comptent  en soliste. Quoique cette version du concerto de Mozart ait longtemps été inédite, le jeu et la musicalité du Roi du Swing sont parfaitement au rendez-vous, lui permettant de varier les climats.

Le 3 novembre 1941, lorsque Barbirolli enregistre (toujours au Liederkranz Hall) le Concerto pour piano n° 27 et la Symphonie n° 25 de Mozart, Goddard Lieberson est devenu le producteur de Columbia. Le concerto, avec en soliste, fait partie du coffret dévolu à cet artiste, paru chez Sony Classical en 2019. En harmonie avec le jeu apollinien de Casadesus, l'accompagnement de Barbirolli se distingue par la pureté des contours, l'élégance comme la transparence des plans sonores, encore qu'un peu plus de piquant y eut été bienvenu, à l'instar de George Szell à la tête du Cleveland Orchestra ou du Columbia Symphony Orchestra – Szell aura formé avec le même pianiste une association idéale dans ce répertoire. Un changement de conception est perceptible dans l'exécution de la Symphonie n° 25, plus agitée, voire, dans le premier mouvement, essoufflée.

Parmi les plus beaux moments de cet album on trouve les Symphonies n° 1 et n° 2 de , captées respectivement au Liederkranz Hall le 11 avril 1942 et au Carnegie Hall le 6 mai 1940 (le choix est tombé sur cette dernière salle car l'autre était alors réservée). Sous la baguette de Barbirolli, elles révèlent le caractère grandiose, majestueux et mystérieux de l'écriture du compositeur finlandais, sans être exagérément pathétiques. Ces prestations comptent parmi les plus émouvantes jamais réalisées de ces œuvres, par instants chauffées à blanc à force d'accélérations plus ou moins significatives du tempo, d'autres fois méditatives, sereines et empreintes de douceur.

Par ailleurs, le 6 mai 1940, John Barbirolli a enregistré encore l'Ouverture de La Fiancée vendue de Smetana, signant une exécution pleine de brio et de fougue. Puis, le 11 avril 1942, il a gravé également Tema con variazioni op. 55 n° 4 de Tchaïkovski, une page dans laquelle il impressionne par la virtuosité. Le lendemain a eu lieu la dernière session de Barbirolli pour Columbia, au cours de laquelle il a terminé l'enregistrement du Concerto pour violon n° 1 op. 26 de avec , entamé le jour précédent. Lors de cette ultime séance, il a aussi dirigé Une suite élisabéthaine, une compilation de thèmes de William Byrd, Giles Farnaby et John Bull arrangés pour cordes et quatre cors. Dans Bruch, la conception de Barbirolli fait preuve d'une plasticité des textures et d'une gestion des tempi exemplaire, assurant la mise en valeur de la dramaturgie contenue dans cette partition. De son côté, le soliste Milstein séduit par la délicatesse du ton et le côté nostalgique de sa prestation, mais demeure moins flamboyant et moins inspiré que Menuhin, incomparable dans la gravure de 1951, pour laquelle il est accompagné par le Boston Symphony Orchestra sous la baguette de Charles Munch.

Retour dans la patrie

En 1941, le New York Philharmonic a commencé à chercher un successeur à John Barbirolli. Ses relations avec la presse étaient tendues car il a souvent été critiqué et comparé à Toscanini, ce qui a nui à sa réputation. En plus, ni ses concerts ni ses enregistrements ne se vendaient bien, à une époque où l'Amérique se remettait encore de la dépression et allait entrer en guerre en décembre 1941. La saison 1941/1942 et la suivante ont été marquées par un manège de dix puis de neuf chefs d'orchestre. Il en est résulté la nomination au poste de directeur musical d', un bâtisseur d'orchestres affirmé. À la fin de la saison 1942, Barbirolli a quitté son poste new-yorkais. Invité à devenir le chef principal du Los Angeles Philharmonic, il a refusé, préférant rentrer en Angleterre. Dans l'entretien qu'il a accordé à Alan Blyth, publié en décembre 1969 dans Gramophone, il déclarait : « J'étais aux États-Unis quand la guerre éclata, en tant que chef d'orchestre du New York Philharmonic. A.V. Alexander, alors amiral en chef, m'écrivit pour me dire que, contrairement à ce à quoi on pouvait s'attendre, la musique était en plein essor et que mon retour, si j'en décidais ainsi, serait chaleureusement apprécié. À vrai dire, j'avais un fort désir de rentrer et c'était simplement une question d'organisation. A.V. en fit part à Churchill, qui lui répondit apparemment avec ces mots : s'il est assez fou pour revenir, laissez-le donc faire. La traversée à bord d'un navire fruitier dura 23 jours et, de notre convoi de 75 navires, seulement 32 arrivèrent à Liverpool. Je jouai sur place pendant 10 semaines avec le LSO et le LPO pour remonter le moral des musiciens et réembarquai sur un bananier de 5000 tonnes de la Fyffes. Nous fûmes repérés par un sous-marin allemand dès le passage de l'Irlande du Nord, mais ce n'est pas le genre de chose qui m'inquiéta car je suis plutôt du genre fataliste. En tous cas, c'était formidable d'être de retour, de revoir l'Angleterre à son zénith et de rendre visite à ma vieille mère. »

Cet album de Sony Classical agrémenté de belles photos illustrant le livret, propose vingt-quatre des vingt-six morceaux enregistrés par John Barbirolli avec le New York Philharmonic, excellemment repiqués depuis les meilleures sources disponibles par Jennifer Nulsen, Nancy Conforti et Andreas K. Meyer. Parmi eux, le manque des compositeurs américains surprend, une raison de plus peut-être pour laquelle le chef britannique a été sous-estimé dans la plus grande ville des États-Unis. Pour nous, ces réserves sont immédiatement levées avec le bonheur que cette parution nous procure.

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Henry Purcell (1659-1695) / John Barbirolli (1899-1970) : Suite pour cordes, quatre cors, deux flûtes et cor anglais. Claude Debussy (1862-1918) : Ibéria L. 122 n° 2, extrait des Images pour orchestre ; Ballet L. 65 n° 4, extrait de la Petite suite pour piano à quatre mains arrangée pour orchestre ; Première rhapsodie pour orchestre avec clarinette principale L. 116. Piotr Ilitch Tchaïkovski (1840-1893) : Francesca da Rimini op. 32 ; Tema con variazioni op. 55 n° 4, extrait de la Suite n° 3. Ottorino Respighi (1879-1936) : Arie di corte, extrait de la Suite n° 3 faisant partie des Airs et danses anciens pour luth (arrangement pour orchestre) ; Fontaines de Rome. Franz Schubert (1797-1828) : Symphonie n° 4 ; 5 Danses allemandes avec 7 Trios et Coda D. 89 (D. 90). Johannes Brahms (1833-1897) : Symphonie n° 2 ; Ouverture pour une fête académique op. 80. Jean Sibelius (1865-1957) : Symphonies n° 1 et n° 2. Bedřich Smetana (1824-1884) : Ouverture de La Fiancée vendue. Nikolaï Rimski-Korsakov (1844-1908) : Capriccio espagnol op. 34. Maurice Ravel (1875-1937) : La Valse M. 72. Hector Berlioz (1803-1869) : Le Carnaval romain op. 9. Johann Sebastian Bach (1685-1750) / John Barbirolli : Les Moutons peuvent brouter en toute sécurité, morceau d’après le mouvement n° 9 « aria » de la cantate « Mon seul plaisir est la joie de la chasse » BWV 208. Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) : Concerto pour clarinette K. 622 ; Concerto pour piano n° 27 ; Symphonie n° 25. Max Bruch (1838-1920) : Concerto pour violon n° 1 op. 26. William Byrd (c.1540-1623) / Giles Farnaby (c.1563-1640) / John Bull (c.1562-1628) / John Barbirolli : Une suite élisabéthaine. Benny Goodman, clarinette (Première rhapsodie pour orchestre avec clarinette principale de Debussy et Concerto pour clarinette de Mozart) ; Robert Casadesus (Concerto pour piano n° 27 de Mozart) ; Nathan Milstein (Concerto pour violon n° 1 de Bruch) ; New York Philharmonic, direction : John Barbirolli. Coffret de 6 CD Sony Classical. Enregistrés entre 1938 et 1942 à New York, au Carnegie Hall et au Liederkranz Hall. Textes de présentation en anglais et allemand. Durée totale : 6 heures 57 minutes

 
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