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Ni Lang Lang, ni Glenn Gould : mi-guide d’interprétation musicale, mi-pamphlet

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Ni Lang Lang, ni Glenn Gould. Interpréter la musique. Michel Mollard. Alma Nuvis. 264 pages. 17€. Janvier 2023

 
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Mi-guide d’écoute bourré d’analyses percutantes, mi-pamphlet qui saura se mettre à dos nombre de musiciens et de mélomanes (et tous les critiques), l’essai de « Ni Lang Lang, ni Glenn Gould – interpréter la musique » de Michel Mollard interpelle.

L’ambition de l’auteur n’est pas mince, puisqu’il s’agit rien moins que de libérer le mélomane des clichés, tics, et fausses valeurs qui peuvent l’empêcher de reconnaître les interprétations de qualité. Pour que la musique savante touche un auditeur, elle doit en effet passer par le filtre des interprètes, plus ou moins inspirés. Et la réputation de l’interprète peut être trompeuse : même les plus célébrés peuvent plomber les chefs-d’œuvre, et si la partition est peu connue c’est alors le compositeur qui en sera injustement blâmé. De cet aléa est venu le besoin de l’auditeur de rechercher des avis pour se conforter dans ses impressions. Hélas, ces points de vue recueillis ici ou là peuvent être eux-mêmes d’une qualité aléatoire, orientant le malheureux auditeur dans des errements sans fin. D’où la nécessité de cet essai en forme de guide.

En vingt-deux chapitres d’une lecture généralement aisée et souvent amusante, le lecteur va être initié aux dessous de l’interprétation musicale : comment l’écriture musicale laisse depuis ses origines de larges marges de manœuvre, le rôle (surestimé) du professeur de renom, l’intérêt (relatif) des éditions urtext et de la connaissance du contexte de la composition, l’importance (négligée) du silence et celle (à réévaluer) du travail très approfondi sur l’œuvre qu’on met à son répertoire, la valeur (surestimée) du respect trop scrupuleux de la partition, le rôle (atterrant sauf exception !..) des metteurs en scène, entre autres. Le fil conducteur tout au long de l’ouvrage est le souci de l’humilité, de la connaissance, de la maîtrise technique (le solfège en particulier), du rejet de la facilité, de l’esbroufe et du clinquant, pour trouver sa voie, sans se faire imposer des idées prémâchées, et ainsi accéder au sublime.

Michel Mollard est un homme passionné, exigeant, qui connait en profondeur son solfège, n’est pas du sérail musical (polytechnicien, il a été dirigeant d’un groupe d’assurance international) mais y est néanmoins engagé (le producteur du premier récital à Paris de Bruce Liu, le lauréat du Concours Chopin 2021, au Théâtre des Champs-Élysées, un joli coup, c’est lui). Exigeant avec lui-même, il l’est au moins autant avec les autres, et subir les opinions des autres lui pèse particulièrement. Cette souffrance semble être à la genèse de cet essai. D’une parole libre, pétri de convictions qui semblent ignorer le doute, il ne s’embarrasse pas de précautions vis-à-vis de son lectorat potentiel. Cela donne des saillies caustiques qui donnent du sel à l’ouvrage, mais bien peu pourront sortir de cette lecture sans s’être senti à un moment froissé dans sa sensibilité. Nous identifions deux types de lecteurs qui pourront en toute tranquillité se plonger dans l’ouvrage et en tirer profit : les musiciens européens disposant d’une technique hors pair et visant au sublime, indifférents à la carrière et aux contingences matérielles, et les mélomanes novices suffisamment cultivés et curieux pour absorber un ouvrage de 260 pages, à la condition qu’ils limitent leurs adorations aux excellents musiciens susdits. Ce public existe, mais l’ouvrage aurait gagné à s’attirer les faveurs d’une audience plus large, en introduisant ici un peu de questionnement (après tout, tout le monde peut se tromper ?), là plus d’empathie envers l’humanité faillible que nous sommes.

Avis au lecteur. Afin que le lecteur dispose des clés d’interprétation de cette recension, nous précisons que l’auteur affirme que la critique musicale n’est pas indépendante, au motif que celle-ci « ne paie pas ses places de spectacle » et fonctionne grâce à la publicité. L’exemplaire de cet essai nous ayant été envoyé gracieusement par l’auteur, le lecteur pourra considérer selon cette affirmation que les qualités attribuées au livre ne reflètent pas l’opinion libre et sincère du rédacteur. Un autre grief est que les critiques musicaux ne supportent pas d’être… critiqués. Le lecteur pourra ainsi interpréter les réserves exprimées dans cet article comme une réaction de défense corporatiste, plutôt qu’une invitation à plus de questionnement et d’empathie.

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