La Meurtrière de Giorgos Koumendakis à l’Opéra national de Grèce
Opéra peu connu du compositeur grec Giogos Koumendakis, La Meurtrière retrace l'itinéraire et le destin tragique de Frangoyannoù, image archétypale de la malédiction d'une femme pauvre qui ne trouvera d'échappatoire que dans l'infanticide et la mort. Le spectacle est diffusé sur Mezzo ces jours-ci.

Giorgos Koumendakis, d'origine crétoise, est un compositeur fécond dont l'œuvre hybride se situe entre modernité et tradition : élève de Boulez, Xenakis et Ligeti, avant un retour aux sources et une relecture de la musique grecque « revisitée » à l'aune de sonorités folkloriques. La Meurtrière est son cinquième opéra, créé en 2014 à Athènes et repris en 2021 à l'occasion des célébrations du bicentenaire de l'indépendance grecque sur la scène de l'Opéra national de Grèce dont il est le directeur artistique depuis 2017. C'est un monodrame-tragédie dont l'héroïne pourrait être un personnage de Dostoïevski retraçant l'itinéraire de souffrance et d'humiliation d'une femme, Frangoyannoù, qui fait le constat, au terme de sa vie, qu'être une femme dans une famille pauvre est une terrible charge. Une nuit pour échapper à ce destin tragique, Frangoyannoù passe à l'acte en étranglant sa propre petite fille : acte criminel qu'elle réitèrera plusieurs fois dans le souci de délivrer le monde des petites filles des écrasantes contraintes sociales auxquelles elles sont soumises. Suspectée par la police, Frangoyannoù s'enfuit alors dans la nature avant de se jeter à l'eau et de se noyer, rencontrant à son tour la mort à mi-chemin entre justice humaine et justice divine.

Le rideau s'ouvre sur une scénographie épurée de Petros Touloudis, réduite à un chaos granitique, quelques poutres de bois, un puits, un semblant de village suspendu dans un espace intemporel baignant dans une lumière étrangement irréelle, bleue ou grise, lieu d'affrontement entre l'homme et son Destin : elle est assise, immobile, le regard lointain, dans l'attente…Elle veille auprès du berceau dans lequel vagit un nouveau-né, sa petite fille, dont l'infanticide prochain sera le ressort de sa lutte puisque constituant sa seule arme face à l'éprouvant Destin qui accable les femmes depuis la nuit des temps par le biais, notamment, du mariage et de la maternité. Médée n'est pas loin, mais il ne s'agit plus, ici, de vengeance humaine, mais de tragédie antique, de sacrifice libérateur et de justice. Puis, elle entame soudain, une longue litanie envoûtante montant de son tréfonds, exaltée par un accordéon chromatique et un saxophone lancinant, tandis que simultanément autour d'elle se développe la procession circulaire, quasi rituelle, du chœur d'enfants et de villageois qui l'enferme dans sa solitude. Alors sa voix s'élève, tout à la fois vindicative et implorante, image en creux d'une vie de frustrations qui s'exprime entre déclamation, prière, récriminations et berceuse, sous l'ombre tutélaire d'une Moire emmitouflée et d'une mystérieuse et inquiétante femme noire…allégorie de la mort qui rode, contemplant d'un œil distant et froid l'horrible infanticide, sorte d' immolation libératrice qui se répètera encore au bord du puits dans lequel elle noiera deux adolescentes avant qu'une enquête policière ne soit diligentée.
Le second acte, moins statique retrace l'accusation, le repentir, le recours resté sans écho d'un timide appel à la religion, puis la fuite et la mort salvatrice tandis que chante la mer dans son éternel bruit de flux et de reflux et que monte haut dans le ciel une silhouette féminine voilée nimbée d'une blancheur immaculée, à la fois vierge et martyr…

La mise en scène minimaliste rituelle et chargée de symboles, de gestes et de personnages hiératiques d'Alexandros Efklidis s'accorde parfaitement avec le livret dont elle souligne la profondeur tragique tandis que dans la fosse Vassilsi Christoloulos conduit avec maestria et ferveur cette musique tonale, fortement mélodique, captivante, originale tout à la fois par son instrumentarium, par ses accents folkloriques et orientalisants, qui suit au plus près la dramaturgie et laisse une large place au chant choral (chœur antique) monodique ou polyphonique sous toutes ses formes, souvent a capella : chœurs d'enfants, chœur mixte, quatuor de pleureuses.
Outre le magnifique Chœur de l'ONG, la distribution vocale, homogène, reste totalement dominée par la mezzo-soprano Mary-Ellen Nezi dans le rôle-titre, actrice-chanteuse, dont on admire l'engagement théâtral comme la performance vocale, sans oublier toutefois les irréprochables et nombreux seconds rôles qui nourrissent le drame.
En bref, un superbe opéra, original, dont on ne sort pas indemne, qui réussit à faire un amalgame convaincant entre problèmes sociétaux et composante spirituelle, sans renier ses racines.








