Karine Deshayes est Semiramide à l’Opéra de Rouen
Un an après Tancrède, l'Opéra de Rouen et le metteur en scène Pierre-Emmanuel Rousseau referment la boucle rossinienne avec Semiramide.

Ultime opera seria de Gioacchino Rossini, composé pour l'Italie avant son exil parisien, inspiré de la tragédie éponyme de Voltaire, sur fond de drame des Atrides, entre meurtre et inceste, Semiramide est un opéra iconique du bel canto rossinien, composé tout juste dix ans après Tancrède (même auteur, même librettiste), sorte d'image crépusculaire d'un monde en déclin (celui des castrats). Si Tancrède, l'an passé, n'avait pas laissé un souvenir impérissable, force est de reconnaitre que cette Semiramide n'emporte pas non plus notre totale adhésion, tant scéniquement que vocalement. Oscillant entre terreur et mystère, librement inspirée de références cinématographiques (Les Prédateurs de Tony Scott (1883) et Eyes Wide Shut (1999) de Stanley Kubrick) que d'aucuns pourraient assimiler à un manque d'imagination personnelle, la mise en scène de Pierre-Emmanuel Rousseau propose une transposition contemporaine peu convaincante, supportant une lecture au premier degré qui n'apporte rien de bien nouveau, en restant toutefois assez fidèle au livret, si l'on excepte le final abracadabrantesque de l'acte II où Azema tue tous les belligérants pour se coiffer « in fine » de la couronne tant convoitée ! Comme lors de l'opéra précédent la scénographie monumentale, noire et or, exhibe à satiété un kitsch clinquant que les costumes ne démentiront pas. Quelle idée saugrenue que de faire du fier guerrier Arsace une sorte de clone masculin de la poupée Barbie affublé d'une perruque blond platine ! La direction d'acteurs est des plus classiques ; les lumières soutiennent avec de beaux effets colorés la dramaturgie. On n'insistera pas sur les chorégraphies grotesques et de mauvais goût, totalement incongrues, qui relèvent plus de la piste de pool dance que de l'autel sacrificiel !

Bien que rompue au chant rossinien, la distribution vocale se caractérise par sa surprenante hétérogénéité, associant le meilleur et le moins bon. Au titre des satisfécits, Karine Deshayes, belcantiste confirmée, remporte aisément la palme dans le rôle-titre. Si le plumage (un costume vieillot), peut prêter quelque peu à discussion dans le rôle d'une femme dictateur assoiffée de sang et de sacrifices humains, le ramage a contrario demeure globalement irréprochable arguant d'une projection insolente, d'un ambitus large et homogène dans tous les registres, de roulades et vocalises joliment ciselées, exaltées par un engagement scénique sans faille qui saura dévoiler tout au long du drame toutes les facettes d'une femme blessée capable d'évoluer de la figure inquiétante d'une mante religieuse à celle de la mère éplorée et repentante.
Face à elle, la jeune basse, Giorgi Manoshvili (Assur) est une vraie confirmation : la projection est puissante, la diction parfaitement claire, la souplesse de la ligne confondante, le timbre tantôt menaçant dans la colère tantôt caressant dans la séduction (sublime legato) alimentent des nuances qui trouveront toute leur superbe dans un émouvant « Deh ti ferma » lors du final du II. On en rapprochera la remarquable prestation vocale et scénique de la basse Grigory Shkarupa dans le rôle d'Oroe, grand prêtre charismatique au chant ample, plein d'autorité. Peu gâté par Rossini et amputé de son air du premier acte, le ténor Alasdair Kent (Idreno) tire son épingle du jeu dans un très bel et pyrotechnique « La speranza piu soave » à l'acte II.
Reste le maillon faible de cette distribution : la présence du contre-ténor Franco Fagioli en Arsace. Le rôle (travesti) est normalement dévolu à une alto, Rosa Mariani lors de la création vénitienne de 1823. Si ce n'est le rappel bien inutile du temps des castrats et une prise de rôle ancienne à l'Opéra national de Lorraine en 2017, ce choix est contestable. Si la performance théâtrale n'est pas en cause, le chant, en revanche est constamment haché par d'incessants sauts de registre du plus vilain effet, déstructurant les nombreux ensembles, au demeurant superbes (duos multiples, sextuor du final du I et trio final du II). Natalie Perez (Azema) discrète, intrigante et bien chantante et l'excellent chœur Accentus/Opéra de Rouen-Normandie complètent cet étrange casting.
Dans la fosse, après une Ouverture un rien rustique et poussive avec quelques retentissants dérapages des vents, la cheffe Valentina Peleggi, fine connaisseuse de ce répertoire redresse crânement la barre, avec un phrasé riche en nuances, en parfait accord avec la dramaturgie dans un équilibre souverain avec le plateau.
Crédit photographique : © Caroline Doutre









