Kotaro Fukuma : une élégance incomparable au Festival Chopin de Bagatelle
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Paris. Orangerie du Parc de Bagatelle. 1-VII-2025. Frédéric Chopin (1810-1849) : Grande Valse brillante op. 18, Ballade n °1 op. 23, Mazurkas op. 30, Boléro op. 19, Polonaise op. 53 “Héroïque”, Études op. 10 n° 3 et n° 12 “Révolutionnaire”, Nocturnes op. 62, Polonaise-Fantaisie op. 61. Kotaro Fukuma, piano
Il y a dix ans, Kotaro Fukuma se produisait pour la première fois au Festival Chopin à Paris, à l'Orangerie du Parc de Bagatelle. Le récital qu'il vient de nous offrir s'inscrit dans un autre anniversaire, celui de la quarantième édition du festival conçu par la Société Chopin de Paris.
La chaleur accablante n'a pas fait renoncer le public venu en nombre pour écouter l'un des pianistes les plus remarquables d'aujourd'hui et inexplicablement si peu invité en France. Le programme qu'il a imaginé recouvre diverses périodes de l'écriture du compositeur. Ce pourrait être une sorte de mosaïque sans véritable fil conducteur. Ce n'est nullement l'impression que nous retenons tant la personnalité de l'interprète s'impose au fil des œuvres.
Tout, dans ce récital n'est peut-être pas à la même hauteur de réalisation, mais la première impression, dès la Grande Valse brillante est celle d'une absolue sécurité de jeu et d'intelligence musicale. Certes, la canicule n'aide pas à entrer directement dans tous les jeux humoristiques de la partition qui regorge autant d'idées que d'insolence. Elle feint en permanence et le pianiste assure avant tout la construction. Impeccablement.
Après cette « mise en oreille », la Ballade n° 1 est d'une tout autre envergure. Le pianiste s'en approprie le romantisme flamboyant, place son toucher au niveau de la plume encrée pour retrouver la source haletante et narrative, presque littéraire de la pièce. Nous entendons des détails inédits au sein même d'une phrase avec une pédale si maîtrisée et une confiance absolue dans un toucher perlé. Fukuma organise son interprétation de manière implacable. Il n'a nul besoin de forcer les traits, les dynamiques – jamais il n'aura cassé un seul accord – pour créer un effet dramatique, un souffle qui soit menaçant ou libérateur. La progression naturelle du chant intègre les dissonances, la colère irrésistible, appassionato. Il capte l'attention du public qui ne transpire plus seulement à cause de la température ambiante.
Le pianiste refuse de céder au seul combat, dans la Polonaise op. 53 “Héroïque”. L'abattage est bien là avec une technique superlative lorsqu'il aborde, sans aucune pédale, les accords tournoyants en doubles croches à la main gauche. Il n'a nul besoin de faire hurler cette fanfare ni de resserrer les tempi. Il faut une sacrée personnalité pour suggérer davantage l'héroïsme que le montrer.
Les quatre mazurkas de l'opus 30 interrogent à nouveau les dissonances. Il y a tout ce que l'on désire dans ces pages : un folklore recréé, y compris tzigane et une hardiesse qui pressent Debussy. La souplesse des mains, la fausse nonchalance et une telle précision des nuances restituent le sentiment rare de l'improvisation.
Peut-être sera-t-on moins touché par deux Études de Chopin dont la “Révolutionnaire”, impeccable comme doivent l'être ces “exercices”. Davantage de violence expressive ne nous aurait pas déplu.
Les deux Nocturnes tardifs de l'opus 62 (1846) se vendent généralement mal au concert. Ils sont d'une si grande complexité harmonique, avec des modulations qui sollicitent la mémoire qu'il faut presque songer à Fauré pour ne pas se perdre dans les silences et les ornements. Le raffinement du toucher dans ces songeries nocturnes crée un effet d'apaisement des plus heureux. Autre sommet de la soirée après la Ballade, la Polonaise-Fantaisie qui devient une Fantaisie-Polonaise sous les doigts de Kotaro Fukuma. Il nous transporte dans un univers complexe, mais paradoxalement comme s'il était joué d'instinct. Pas une mesure de relâchement dans la tension ou l'expression, pas une phrase qui ne soit pas portée par l'évidence du chant. Dès l'immense introduction, la prise de parole est telle que l'on sent qu'il nous conduit où bon lui semble. Et, pour le public, éprouver la certitude d'être pris par la main, du silence jusqu'à la chevauchée finale est une joie absolue.
En bis, nous aurions peut-être aimé quelque transcription dont le pianiste est passé maître. Il ne renonce pas à nous surprendre avec… Chopin ! En premier, la Contredanse en sol bémol majeur, rareté en concert, d'un adolescent de 17 ans qui reprend à son compte les danses de salon de la bourgeoisie varsovienne. Intérêt musical très relatif, mais il faut y inventer un charme qui tient autant de la simplicité que du raffinement. En second bis, l'Introduction et Variations sur un thème de l'opéra Ludovic de Hérold. Opportuniste à Paris, Chopin compose à 23 ans cette pièce dont la valeur musicale est tout aussi minime que la précédente. À l'interprète de faire scintiller ces variations, de remplir les notes de musique, de nous les servir comme des sorbets désaltérants dont on oublie le goût dès qu'ils ont été avalés… Quel artiste que Kotaro Fukuma !
Crédit photographique : © Julie Cholley
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