Sébastien Daucé dirige La Calisto de Cavalli à Aix-en-Provence
Joyau baroque de la dernière programmation du festival voulue par Pierre Audi avant son décès brutal en mai dernier, La Calisto de Francesco Cavalli s'offre le cadre mythique du Théâtre de l'Archevêché, dans une mise en scène signée par Jetske Mijnssen.
Voilà un opéra bien représentatif du baroque vénitien, où se mélangent subtilement comique et tragique sur fond de métamorphoses. L'argument inspiré d'Ovide repose sur un chassé-croisé de transformations : Jupiter prend l'apparence de Diane pour séduire la nymphe Calisto, elle-même transformée en Ourse par la jalouse Junon, avant de terminer en constellation. Les faux-semblants sont donc au centre de l'intrigue. Jetske Mijnssen a choisi de transporter l'Olympe au siècle des Lumières : les dieux sont des libertins qui se jouent des liaisons dangereuses. Le désir est omniprésent et les relations amoureuses souvent cruelles, entre tromperie et guerre des sexes.
Le rideau se lève sur une cérémonie funèbre qui annonce ce que sera la fin de l'histoire revisitée par la metteuse en scène néerlandaise. Tout se déroule ensuite dans un très beau décor de salon Louis XV, éclairé par de véritables bougies qui font chatoyer les étoffes des costumes d'Hannah Clark. Un régal pour les yeux. On assistera à un simulacre de danse baroque très divertissant et à un petit concert offert sur scène à Junon. Chaque personnage est bien caractérisé ; la naïve Calisto et le fougueux Endymion sont les victimes de la fourberie des dieux qui se jouent de la sincérité de leurs sentiments. Le travestissement du cruel Jupiter en fausse Diane est le principal ressort comique de l'œuvre. Mais alors qu'on se réjouit de l'apothéose finale de Calisto élevée au rang de constellation immortelle, un ultime coup de théâtre vient contredire le livret d'origine : Calisto poignarde Jupiter, comme une revanche féministe contre un violeur à l'heure de MeToo, et ce geste aussi incongru qu'anachronique dérange, bien qu'il soit l'occasion de la reprise de la belle et très poignante symphonie de déploration déjà entendue auparavant.
Le plateau réunit dix chanteurs pour une distribution sans faille. La jeune soprano franco-catalane Lauranne Oliva fait ses débuts à Aix dans le rôle de la nymphe Calisto, à laquelle son timbre lumineux aux beaux aigus confère pureté et innocence. Son lamento de l'acte III est un grand moment d'émotion. A l'opposé des sentiments, la mezzo-soprano italienne Anna Bonitatibus donne à la jalousie implacable de Junon la force d'une grande tragédienne. Son dernier air de l'acte III offre des pianissimi déchirants. La mezzo italienne Giuseppina Bridelli est une Diane touchante, tiraillée entre ses vœux de chasteté et son amour pour Endymion. La basse américaine Alex Rosen a la morgue nécessaire au rôle du grand Jupiter. Son travestissement en fausse Diane en voix de fausset fait merveille dans le registre burlesque. Le Mercure du baryton britannique Dominic Sedgwick est un peu en retrait en larbin cynique de son père. Dans le rôle comique de Satirino, le contre-ténor français Théo Imart offre des aigus d'une belle clarté. C'est le contre-ténor français également, Paul-Antoine Bénos-Djian qui remporte la palme de cette brillante distribution dans le rôle sensible d'Endymion. La scène du sommeil au début de l'acte II est un grand moment d'émotion, de même que son duo d'amour contrarié avec Diane à la fin de l'acte III.
A la tête de l'Ensemble Correspondances en grand effectif, Sébastien Daucé fait un travail d'orfèvre. Quand on sait que la partition d'origine ne comprenait que la ligne de chant et la basse-continue, on mesure le travail de reconstitution effectué par le chef grâce à sa connaissance intime de l'œuvre de Cavalli. A Venise, cet opéra était accompagné par deux violons et quatre continuistes. Pour remplir l'acoustique de plein-air de l'Archevêché, ils sont trente-trois ! Il a donc fallu réécrire les parties intermédiaires, puiser dans le corpus de Cavalli comme Sébastien Daucé l'a fait pour reconstituer le Ballet de la Nuit il y a quelques années (CD/DVD Harmonie Mundi, Clef ResMusica). Il n'a pas hésité également à inclure des symphonies de ballets de compositeurs contemporains de Cavalli. Le résultat est stupéfiant de justesse, et l'équilibre avec le plateau est parfait. L'écriture de Cavalli offre une grande fluidité entre les récitatifs et les airs, soutenue par un somptueux continuo où les harpes se mêlent aux théorbes, aux clavecins et à l'orgue. Les percussions soulignent les symphonies de danses et un effet de musette accompagne l'entrée des personnages sylvestres. Au moment du martyre de Calisto sous la férule de Junon, les cordes participent au destin implacable par des accords déchirants. Tout au long de l'œuvre, l'orchestre épouse et souligne la valse des affects, du burlesque au tragique, pour le plus grand plaisir de l'auditeur.
Crédit photographique : © Monika Rittershaus
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