À Verbier, Klaus Mäkelä et Yunchan Lim
Au soir de ce concert, les places libres se comptaient sur les doigts d'une seule main. Un public conquis à l'avance pour accueillir le charisme installé de Klaus Mäkelä et le phénomène du piano, coqueluche des médias, le Sud-coréen Yunchan Lim.
En ouverture, Klaus Mäkelä embrasse avec de larges ondulations de tout son corps L'Île des Morts, le poème symphonique inspiré à Sergueï Rachmaninov par les cinq tableaux éponymes du peintre suisse Arnold Böcklin (1827-1901). Dès les premières mesures, avec les lancinantes et répétitives phrases des cordes, on est transporté dans une ambiance d'extrême mélancolie. Quel que soit le déroulement de la musique, la gestuelle du chef finlandais opère son indéniable fascination. Souplement planté sur ses jambes jamais raidies, le haut du corps se meut comme les vagues qui frappent les berges de cette île maudite. S'interrompant brusquement pour, que d'un poing rageur soudain il lance l'accentuation d'un coup de cymbale, il reprend bientôt son balancement au rythme de l'onde. Tout cela au bénéfice d'une musique malgré tout plombante. Si l'on ne peut rien s'interdire dans le choix des œuvres programmées pour un concert symphonique, celui de cette suite symphonique pour une soirée de festival (selon le Littré : festival, du Lat. festivalis, de festum, fête) peut questionner. Quand bien même l'implication du chef et du Verbier Festival Orchestra s'avère sans reproche, le public réserve à cette interprétation un accueil discret et peut-être décontenancé.
Le premier étonnement de constater la part significative de public asiatique présent dans la salle fait bientôt place à l'évidence de la figure iconique que représente le pianiste Yunchan Lim pour ses concitoyens depuis qu'en 2022, il a remporté, à l'âge de 18 ans, le prestigieux Concours Van Cliburn. Rappelons que, parmi les lauréats de ce concours, on trouve des personnalités comme Radu Lupu, Cristina Ortiz, Christian Zacharias, Alexander Toradze ou Beatrice Rana tous plus âgés que Yunchan Lim quand ils ont été couronnés. L'engouement est tel qu'avant même qu'il n'ait joué une seule note, de longs applaudissements accueillent le pianiste. Avec le Concerto n° 4 en sol mineur op. 40 de Rachmaninov, Yunchan Lim n'a certes pas choisi la facilité. La complexité rythmique, l'absence quasi continuelle de leitmotiv, de plages d'expression pianistique, font de cette œuvre un patchwork musical mettant en opposition permanente l'orchestre et le soliste. Tout le premier mouvement voit d'ailleurs Yunchan Lim et Klaus Mäkelä se chercher. L'intention musicale est là, les notes y sont aussi, mais s'il y a le feu, il manque la flamme. Il faudra attendre la magistrale exposition du thème du deuxième mouvement sur un clavier soudainement inspiré pour que le dialogue Yunchan Lim et l'orchestre de Klaus Mäkkelä entrent en symbiose. Dès lors, la musique reprend ses droits sur la routine ou la technique pure. Même si l'atmosphère de ce concerto reste profondément aride par rapport au lyrisme des autres concertos pour piano de Rachmaninov, on reste happé par l'intensité musicale qui se dégage ici. Le troisième mouvement laisse apparaître l'incroyable technicité demandée tant au soliste qu'à l'orchestre, et plus encore à sa direction, pour qu'en dépit de l'Allegro vivace pris ici sur un tempo d'enfer, les traits et les accords plaqués du piano soient en parfaite concordance avec ceux que lance l'orchestre. On assiste alors à une démonstration de technique instrumentale et orchestrale comme rarement la scène de Verbier a pu en offrir. Indéniablement, le pianiste coréen a gagné sa partie à entendre l'explosion des applaudissements qui saluent sa performance. Une jeunesse qui laisse augurer de grands moments musicaux encore que le jeune homme n'a, à notre avis, pas la flamboyance, le charisme, la chaleur, l'émotion, le génie interprétatif que nous avait procuré, par exemple, les premières apparitions de Yuja Wang sur cette même scène. Et ce ne sera pas le Die schönste Nacht de Erich Wolfgang Korngold joué en bis qui nous convaincra du contraire.
Après l'entracte, le plateau du Verbier Festival s'emplit d'une centaine de musiciens pour respecter l'orchestration voulue par Igor Stravinsky pour son ballet L'Oiseau de feu (version 1910). Œuvre magistrale et spectaculaire que Klaus Mäkelä traite comme une grande symphonie plutôt que d'en favoriser le rythme propre aux besoins d'un ballet et de la danse. S'ensuit une palette infinie de couleurs orchestrales peut-être belles et variées mais qui nuisent quand même à l'esprit de cette pièce. Notons cependant qu'on a eu l'idée pour le moins saugrenue, encore que se répandant de plus en plus dans les salles de concert, d'y ajouter la projection vidéo (Marc Philippin) de l'argument théâtral du ballet. Occupant tout le fond de la scène, des dessins caricaturaux aux couleurs vives font le décor de scènes animées par des personnages de papier découpé qu'on fait se déplacer par à-coups comme on le ferait de figurines de théâtre d'ombres. L'omniprésence de ces animations a tôt fait de capter l'attention pour qu'elle s'éloigne de celle qu'on pourrait apporter à la musique. Ecouter la musique est un choix impossible tant l'agressivité des images est prégnante. On peut dès lors bien imaginer que ce parasitage de l'écoute pour le spectateur doit être encore plus intense et dérangeant pour Klaus Mäkelä subissant de face ce bombardement de couleurs. Tout en le félicitant d'avoir réussi à rester maître de son orchestre et à diriger avec autorité et conscience cette partition malgré cette sollicitation visuelle, on ne peut que regretter qu'il n'ait pu porter cette musique avec la verve orchestrale qu'on lui connait.
Crédit photographique : © Nicolas Brodard
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ces projections (comme à Aix par ex aussi) sont juste stupides et détournent effectivement l’attention; leur « niveau » est si loin de la musique qu’ils me rappellent les fêtes de classe de fin d’année en CM2. Navrant
It suits the fascination of the author of this review about Mäkelä’s movements, i.e. not about the central thing of a concert, the music, that he speaks of less charisma of Mr. Lim than Yuja Wang’s at her first appearances in Verbier. I suppose he is missing some naked female shoulders on the part of the pianist. That’s sad, because, this way, he doesn’t recognize the ultimate charisma which Lim’s music ouzes out.