Aux Donaueschinger Musiktage, 75 ans de collaboration avec la SWR
Les Donaueschinger Musiktage et leur directrice Lydia Rilling fêtent cette année les 75 ans de leur collaboration avec le SWR Symphonieorchester. La phalange historique a investi le plateau de la Baarsporthalle pour un mémorable concert inaugural affichant quatre créations mondiales.

Le retour un rien redouté, à la tête de la phalange allemande à compter de cette saison, de François-Xavier Roth, absent de la scène musicale depuis mai 2024 pour les raisons que l'on sait, se solde par un accueil hostile d'une petite partie du public (huées et pancartes revendicatives), une minute sans doute très difficile pour le chef qui ne laisse rien paraître avant de se tourner vers ses musiciens pour diriger la première pièce…
Si la musique de Pierre Boulez n'est pas inscrite dans les concerts des Musiktage, l'aura du maître de Baden-Baden se diffuse à travers la programmation des deux films réalisés pour le centenaire du musicien et la nouvelle œuvre de Mark Andre, Im Entfalten. Dem Andenken an Pierre Boulez (« Dans l'omis. En souvenir de Pierre Boulez ») qui débute la soirée. On pense au geste de Rituel dans cette partition concise autant que concentrée qui entretient sur toute la longueur la résonance d'une même note, avec longues tenues et ponctuations brusques. La matière y est fragile, rien que des choses infimes sous les doigts des instrumentistes qui mettent le son en vibration : sourdines de plomb sur les cordes, ébranlement doux de la plaque tonnerre, frottement des mains des musiciens, agitation légère des pages de la partition. Les tuyaux harmoniques tournent au-dessus des têtes des percussionnistes, dans un halo épars et nostalgique. L'oreille est à l'affût et l'émotion à fleur de souffle dans cette méditation spirituelle qui nous étreint.
Le clarinettiste Carl Rosman est sur le devant de la scène dans There recedes a silence, faceting beyond enclosures (« Il y a un silence qui se profile au-delà des enceintes ») du compositeur turc Turgut Erçetin. L'œuvre n'est pas à proprement parler un concerto, Erçetin concevant avec une grande finesse des assemblages en duo, clarinette et violoncelle, harpe et clarinette basse, célesta et clarinette etc., l'orchestre venant rejoindre les solistes pour en diffracter les sonorités et déployer le spectre sonore.

Les solos vertigineux, exigeant la respiration circulaire de Carl Rosman impressionnent, sollicitant les multiphoniques de l'instrument et la fragilité des partiels écrits à la marge du registre aigu : c'est cette quête vers un au-delà du son qui anime la recherche du compositeur au sein d'une écriture où François-Xavier Roth accorde le plus grand soin au déroulement et à la place des silences qui l'habitent.
Miro de la compositrice coréenne Imsu Choi (la benjamine des Musiktage) signifie « Labyrinthe ». On apprécie d'emblée la plasticité de la matière et l'énergie du geste au sein d'une écriture du mouvement et du timbre qui fait valoir l'invention et la prise de risque chez la compositrice : comme cette mélodie qui émerge par deux fois de l'orchestre, sollicitant le registre « de fausset » de la clarinette basse. Harmonicas, spring drum, tuyau harmonique, waterphone, bâton de pluie sont autant d'accessoires au service de la recherche et du désir sonore de la compositrice, même si l'élan profus des idées et des couleurs brouille parfois le sens de la trajectoire.
Le titre Paris, Banlieue (Un informe journal de mes rêveries) de la nouvelle pièce pour orchestre et électronique de Philippe Leroux, étonne autant qu'il résume clairement le projet visionnaire du compositeur : rendre compte sur le plan sonore de l'interdépendance voire des tensions entretenues entre une ville, en l'occurrence Paris, et sa banlieue. Ce sont ces mouvements, « souvent pendulaires », écrit-il, qu'il veut traduire en musique – cartographie et mesures des distances à l'appui. Ainsi conçoit-il la macrostructure de la pièce, même s'il évoque plus poétiquement Les rêveries du promeneur solitaire de Jean-Jacques Rousseau comme autre source d'inspiration, l'œuvre recouvrant aussi un aspect autobiographique, celui du journal intime comme évoqué dans le sous-titre.

Les vents vont par trois au sein d'un orchestre largement déployé, doté d'un set de percussions pléthorique et d'un saxophone baryton. On est au centre de la capitale avec « les bourdons », cloches les plus graves de Notre-Dame qui constituent la trame sonore sous-jacente de l'écriture musicale à laquelle l'électronique Ircam, repoussant les limites instrumentales, donne plus de corps et de résonance. L'imaginaire sonore hors norme du compositeur est à l'œuvre, les idées fusent à la minute et les morphologies sonores se renouvellent avec cette obsession du mouvement (boucles mélodiques, polyrythmie) qui anime les textures. Philippe Leroux aime le grain du son qu'il entretient de mille façons – frottement du güiro, plectre sur les cordes de la harpe, griffure sur le tam, jeu de l'archet au talon etc. Sous la ferme conduite de François-Xavier Roth, l'orchestre fait valoir tous les détails de l'écriture. Pas de citations bruitistes dans cette jungle urbaine mais une jubilation sonore et des instants de pure poésie, telle l'ondulation lointaine des sirènes où fusionnent l'électronique et les cuivres doux. La coda est théâtrale, comme c'est souvent le cas chez Leroux ; il est demandé in fine aux musiciens de tendre le bras, les gestes pointant autant de directions que de pupitres dans l'orchestre.
L'œuvre magistrale de Philippe Leroux remporte le prix du SWR Symphonieorchester décerné chaque année à la meilleure partition d'orchestre des Musiktage.
Crédit photographique : © Musiktage / Honorarfreiheit
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