Entre le 18 et le 20 octobre, s'est déroulée la finale du 19ème Concours international de piano Frédéric-Chopin. Onze pianistes y ont participé, bien que le règlement n'autorise que dix personnes à prendre part à cette ultime épreuve.

Pendant les auditions, aucune prestation ne s'est avérée révélatrice et de bout en bout satisfaisante. Chez le public comme parmi les critiques, l'émotion était intense, en particulier pendant l'attente du verdict du jury présidé par Garrick Ohlsson, rendu aux alentours de 2h du matin. Celui-ci a surpris le public, qui a réagi non seulement par des applaudissements, plutôt modérés, mais aussi par des sifflements.

Commençons par le vainqueur, Eric Lu, pianiste américain de 28 ans, expérimenté sur le plan des concours et qui a déjà enregistré des disques pour Genuin (Clef d'or ResMusica) et Warner Classics. En 2015, il avait remporté le quatrième prix à Varsovie en la même occasion. Cette fois-ci, il se produit sur un piano Fazioli, abordant au début la Polonaise-Fantaisie en la bémol majeur op. 61, une œuvre qui jusque-là ne figurait pas au programme de la finale du concours. Son regard sur la partition révèle sa maturité et son intelligence, nous faisant percevoir un alliage entre expressivité et intimité d'une grande subtilité. Ensuite, l'exécution du Concerto n° 2 nous fait réaliser que l'approche du pianiste ne s'inscrit pas dans la tradition en tant que telle. Rappelons que la mission qui animait Jerzy Żurawlew lorsqu'il a créé ce concours il y a près de 100 ans était de préserver le style « approprié » dans l'interprétation de la musique de Chopin. Si Lu subjugue par des aigus scintillants et des basses profondes, s'il relie le brio au chic et des sonorités perlées à un large éventail de nuances, son approche nous laisse tout de même sur notre faim en raison d'un certain manque d'élan qui caractérisait les lectures signées Maurizio Pollini, Martha Argerich, Krystian Zimerman ou plus récemment Rafał Blechacz lors des mêmes épreuves.

Le 2^e prix est attribué au Canadien Kevin Chen qui a acquis une renommée internationale après avoir remporté le premier prix du Concours de Genève en 2022, suivi d'une victoire au Concours international de piano Arthur Rubinstein à Tel Aviv en 2023. Dans la Polonaise-Fantaisie, il en souligne – sur un Steinway – l'intensité tout comme la clarté formelle, élément difficile à saisir pour cette partition. Dans le Concerto n° 1, il impressionne par la virtuosité, les contrastes de nuances ainsi que la transparence des textures.

Le 3^e prix est décerné à la Chinoise Zitong Wang qui, sur un piano de Shigeru Kawai, nous a conquis par la beauté des cantilènes, l'ardeur et le lyrisme, mais également le brio dans le dernier mouvement du Concerto n° 1.

Le 4^e prix ex aequo est attribué à la Chinoise Tianyao Lyu et à la Japonaise Shiori Kuwahara. La première subjugue par la délicatesse et la chaleur qu'elle sait extraire du piano Fazioli. La seconde offre une interprétation monumentale sur le Steinway. Par moments comme sculptée dans le marbre et héroïque, une autre fois poétique, sa lecture n'en n'est pas moins une interprétation électrisante, éblouissante et vivante. Par ailleurs, c'est sous ses doigts que la Polonaise-Fantaisie présente à notre avis toute sa splendeur.

Le 5^e prix ex aequo est remis au Polonais Piotr Alexewicz et au Malaisien Vincent Ong. Si Alexewicz charme par sa palette des couleurs, Ong se fait remarquer par sa virtuosité.

Le 6^e prix est décerné à l'Américain William Yang qui nous éblouit par la fraîcheur des idées et une sorte de spontanéité juvénile.

En fin de compte, nous regrettons l'absence du Géorgien David Khrikuli parmi les lauréats, dont le jeu a enchanté par son humanité et sa simplicité, si propres de l'esprit des œuvres de Frédéric Chopin.

L'Orchestre philharmonique de Varsovie sous la direction d'Andreï Boreïko présente, tout au long de cette finale, un niveau assez médiocre, notamment en raison de différentes erreurs commises par les vents. Il est possible que ceci résulte du fait que lors de cette édition du Concours Chopin, l'orchestre interprète les concertos à partir des partitions préparées exprès pour cet évènement par l'équipe de recherche et d'édition de l'Institut Chopin, favorisant beaucoup plus certains instruments à vent par rapport à ce qu'on connaissait. C'est le cas notamment pour le basson qui est décidément plus présent. Comme on peut lire sur leur site, « les partitions ont été soigneusement éditées grâce à des études sur les sources historiques et dans le but de restituer le plus fidèlement possible les intentions créatives du compositeur. »

Les enregistrements des différentes épreuves peuvent être visionnés sur le site du Concours ainsi que sur la chaîne YouTube de l'Institut Frédéric Chopin de Varsovie.

Crédits photographiques : © W. Grzędziński / NIFC et K. Szlęzak / NIFC