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A 17 ans, Kevin Chen remporte le 76e Concours de Genève Piano : Compte-rendu

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Genève. Victoria Hall. 3-XI-2022. Franz Liszt (1811-1886) : Concerto pour piano et orchestre No. 1 en mi bémol majeur, S. 124 ; Sergei Prokoviev (1891-1953) : Concerto pour piano et orchestre No. 3 en do majeur, op. 26 ; Frédéric Chopin (1810-1849) : Concerto pour piano et orchestre No. 1 en mi mineur, op. 11. Avec Zijian Wei, Kaoriko Igarashi, Kevin Chen, Serguey Belyavsky, piano. Orchestre de la Suisse Romande. Direction, Marzena Diakun

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Les résultats du Concours de Genève 2022 sont tombés. Le tout jeune , 17 ans, remporte le prix du jury après à peine cinq minutes de délibérations.


Le Victoria Hall est bondé pour saluer la finale piano avec orchestre de ce 76ᵉ Concours de Genève. Cette ultime épreuve couronne une série de rendez-vous musicaux que les concurrents devaient affronter avant ce sprint final. La somme des points réalisés à chacune de ces étapes décide de l'attribution des prix. Mais reste qu'à la proclamation du palmarès, votre serviteur, comme une partie du public s'étonne que la formidable interprétation de Sergey Belyavsky du Concerto pour piano et orchestre n°3 en do majeur, op. 26 de Prokoviev, qui a déchaîné un délire public comme jamais entendu dans ce temple de la musique qu'est le Victoria Hall, ne lui a pas apporté la consécration du jury. Il obtient le Deuxième prix. On raconte qu'il aurait pris quelques libertés avec la partition. Reste qu'il fut, et de loin, le plus convaincant des solistes de la soirée. Parfait de clarté interprétative, totalement dans l'esprit, apportant une vision de l'œuvre, il a poussé son autorité naturelle jusqu'à transformer en mieux un particulièrement mauvais sous la baguette de qui n'avait manifestement pas prix la mesure de l'acoustique d'un Victoria Hall comble. Incapable de modérer des cuivres tonitruant, la cheffe polonaise aura au moins offert à chaque pianiste le même et discutable accompagnement d'un orchestre méconnaissable. Ainsi comme nous l'avons vécu tout au long de ces quelques jours de compétition, d'un point de vue strictement pianistique, la supériorité de Sergey Belyavsky sur tous les autres concurrents nous est apparue comme une évidence. La personnalité artistique de ce pianiste, sa capacité de raconter la musique, son énergie, sa force persuasive sont autant d'éléments qui faisaient de ce jeune homme notre favori à ce premier prix. Qu'a-t-il bien pu se passer ? Tentative d'explication.

, le grand vainqueur de cette édition du Concours de Genève n'a certes pas démérité. Nos lignes ci-dessous vantent ses prestations tant comme récitaliste que comme accompagnateur de musique de chambre. Dans le premier mouvement du Concerto pour piano et orchestre n° 1 en mi mineur, op. 11 de Chopin, sa musicalité à fleur de peau fait merveille. Inspiré, il s'impose à l'orchestre. Tout cela est prometteur. Il s'envole, il nous prend dans son rêve. Puis, soudain, tout se dégonfle. Tout s'affaisse. La musique reste belle, mais l'inspiration s'en est allée. Tiens, la voilà qui revient à l'aune du second mouvement où le lyrisme de Chopin offre un tapis idéal au jeune pianiste. Dans le Rondo Vivace final, est enveloppé dans son jeu. Tout entier à son interprétation, il n'est malheureusement pas bien servi par l'orchestre. Une partie du public, pourtant, envoûté par la jeunesse de Kevin Chen, la beauté de l'œuvre de Chopin et son interprétation n'attend pas que le dernier accord de l'orchestre s'éteigne pour ovationner bruyamment le tout jeune homme.


Ces deux personnalités impressionnent tant que les deux autres protagonistes de cette finale, quoique très applaudis, ne peuvent prétendre égaler leur deux collègues. Le pianiste chinois , capable d'un toucher superbe donne un beau Concerto pour piano et orchestre n° 1 en mi bémol majeur, S. 124 de Liszt. S'efforçant de jouer avec l'orchestre, on assiste à quelques agréables dialogues entre le piano et la clarinette, et le violon. Si l'Adagio le voit bien s'entendre avec l'orchestre, l'Allegretto vivace et l'Allegretto marziale final apparaissent moins inspirés. Quant à la pianiste japonaise Kaoruko Igarashi, son manque de puissance, déjà remarqué durant les épreuves de récital, se confirme ici et fait se poser la question du choix de ce Concerto n° 3 de Prokoviev demandant autre chose que du « beau piano ». Sa version s'avère un peu trop lisse quand bien même, l'écoute attentive de son piano révèle une artiste capable de mieux s'exprimer en recherchant peut-être un répertoire plus en phase avec ses qualités. Tous deux obtiennent le Troisième prix ex aequo.

Mais revenons à la genèse qui a conduit ces concurrents à l'étape finale. Ils sont près de deux cents pianistes du monde entier à s'être inscrits à ce concours international qui, d'années en années, devient une des références de ce milieu au même titre que ceux de la Reine Elisabeth de Belgique à Bruxelles, de celui de Chopin à Varsovie ou encore de Tchaïkovski à Moscou. Devant présenter un récital en vidéo comprenant des œuvres de Bach, Chopin, Mozart ou Haydn, en plus d'une pièce au choix, un jury de pré-sélection a retenu quarante candidats pour participer au concours proprement-dit. Cette quarantaine de prétendants au Graal genevois devaient ensuite se plier à une présentation online d'un récital d'environ quarante-cinq minutes fait dans les conditions d'un concert (sans public). Le « grand » jury du concours allait à son tour choisir les huit (qui furent néanmoins neuf) participant aux demie-finales à Genève. Nous avons assisté à pratiquement toutes les prestations de ces heureux sélectionnés. Et, entendre neuf récitals de piano de plus d'une heure chacun en l'espace de deux jours permet à quiconque, soit de se faire une idée sur les forces pianistiques en présence, soit d'être rassasiés de cet instrument pendant plusieurs semaines, voire mois ! Toutefois, le niveau artistique de ces jeunes gens est si élevé qu'on reste fasciné par tant de talent.

Déjà en ouverture de ces récitals, le chinois présentait un formidable récital. Abordant avec un son immense la Sonate n° 46 en mi majeur, Hob.XVI:31 de Joseph Haydn, il subjugue par sa capacité de raconter la musique. On se souviendra de la folie qu'il imprime au premier mouvement de la Sonate n° 2 en si bémol mineur, op. 36 de Serge Rachmaninov, comme du second mouvement In slow blues tempo de Excursions op. 20 de Samuel Barber qu'il swingue admirablement avant de terminer en apothéose avec une démonstration pianistique dans la Fantaisie, S. 697 sur les thèmes de Noces de Figaro de Mozart de .
Ce premier concurrent passé, on se dit que la barre est déjà placée bien haut, tant du point de vue technique que de celui de la musique pure. La deuxième concurrente, la japonaise Kaoruko Igarashi montre un tout autre aspect de l'art du piano avec une manière bien particulière d'aborder son récital. Après la force dévastatrice de son prédécesseur, elle favorise le toucher. De la sensibilité, jusqu'à une certaine sensiblerie dans son interprétation de Douze lieder de Schubert S. 558 de Liszt avant d'offrir une monumentale (interminable et peu spectaculaire) Sonate n°29 en si bémol majeur, op. 106 «Hammerklavier» de Beethoven. Puis c'est au tour de Sergey Belyavsky, un Russe de 28 ans, grand habitué des concours de piano. D'emblée, il se distingue des autres concurrents par son originalité. Au piano, sa position n'est pas sans rappeler celle, si caricaturale, qu'avait adoptée Glenn Gould. S'asseyant plus bas, ses avant-bras nettement en dessous du clavier, il offre néanmoins un piano d'une puissance incroyable. En quelques notes, on respire l'évidence. En symbiose avec l'originalité de la de Prokoviev, il offre un exceptionnel et vivant Carnaval, op. 9 de Schumann avant de terminer en démonstration avec les Réminiscences de Don Juan, S. 418 de Liszt.

Des cinq pianistes présents ce premier jour, trois d'entre eux feront partie des quatre finalistes de ce concours. Le lendemain, les deux derniers concurrents de la journée retiennent l'attention du spectateur par leur très jeune âge. Le Russe n'a que 17 ans mais déjà une maîtrise du clavier qui impressionne. Le trac, même si peu apparent, dérange les premiers instants de son récital. Il se reprend bientôt en offrant un superbe Gaspard de la nuit de Maurice Ravel avec tout le tragique et l'obsessionnel contenus dans Le Gibet.
Puis Kevin Chen, un Canadien, lui aussi âgé de 17 ans. Balançant son buste et sa tête aux sons de la musique, ce qu'on pense être une théâtralisation de sa prestation se profile bientôt comme l'expression d'une grande sensibilité musicale, comme il le prouve dans le deuxième mouvement de la Sonate n° 28 en la majeur, op. 101 de Beethoven mais plus encore dans son interprétation de la paraphrase des Réminiscences de Don Juan, S. 418 de Liszt qu'il aborde avec une musicalité peut-être plus aboutie que celle que Sergey Belyavsky avait offert le jour précédent.

Au lendemain de ces épreuves, les demi-finalistes se retrouvaient dans l'acoustique réverbérante de la salle du Conservatoire de Genève pour une confrontation avec la musique de chambre. Pour tâche, l'accompagnement, dans un programme de trois-quarts d'heure, d'un ou d'une violoncelliste dans une sonate de Beethoven et celui d'une chanteuse. Intéressant de comparer Kaoruko Igarashi et Sergey Belyavsky dans un programme absolument identique. Avec la Sonate n° 3 en la majeur, op. 69 pour violoncelle et piano de Beethoven, notre préférence va à la prestation du pianiste russe plus à l'écoute de l'autre. Quant aux Tre sonnetti de Petrarca, S.270 de Liszt, rendons grâce aux capacités d'accompagnement des pianistes à même de rendre audible une œuvre dont le chant de la soprano Anne-Sophie Petit ne nous a pas permis d'en capter le moindre mot intelligible.
Enfin, pour les deux plus « jeunes » pianistes du concours, même Sonate n° 3 de Beethoven et même soliste () au violoncelle. Si Kevin Chen porte toute son attention à la violoncelliste créant ainsi une belle complicité, la faisant jouer cette œuvre beaucoup mieux qu'avec les autres pianistes, le Russe se mure quelque peu dans une rigueur pianistique pas très propice à l'entente. Et c'est probablement là qu'il a perdu tout espoir de figurer dans le carré final. Au passage, on peut citer la prestation remarquable de la soprano qui, autant avec les lieder de Alban Berg qu'avec ceux d'Arnold Schönberg a montré, grâce à une diction impeccable, sa parfaite connaissance du récital et sa sensibilité intelligente à l'interprétation.

Enfin, à noter que, parmi les épreuves comptant pour l'attribution des prix figurait un élément auquel nous n'avions pas accès. En effet, aujourd'hui la carrière d'un artiste ne se borne pas à la seule interprétation de son art. Le monde artistique s'est sensiblement complexifié avec l'apparition des réseaux sociaux qui voit des gens (influenceurs, journalistes, commerçants, etc) prendre une ascendance considérable sur le marché commercial des artistes. Bien sûr, restent les agents mais, les artistes eux-mêmes doivent s'inquiéter de leur avenir et prendre leur destin en main. A cet effet, fort de ses expériences de suivis des artistes primés, le Concours de Genève a institué une épreuve nouvelle sous la forme d'un projet artistique que chaque concurrent viendrait défendre devant le jury. A ce jeu-là, le jeune Canadien Kevin Chen s'est probablement montré plus convaincant que notre favori russe. Il a d'ailleurs gagné le prix de cette épreuve (comptant pour un certain pourcentage dans la décision finale des juges). Est-ce à cette occasion que la balance a penché pour le jeune Kevin Chen ? A-t-on succombé au bénéfice de la grande jeunesse contre l'expérience ? Ou peut-être avons-nous simplement affaire à un génie. Jury et commentateurs immédiats semblent l'affirmer.

Crédit photographique : CdG © Anne-Laure Lechat

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