En même temps que la première française des Études de Philip Glass par Vanessa Wagner à la Philharmonie de Paris, le label InFiné Music en publie l'intégrale discographique. Un voyage qu'on n'a pas fini de recommander.

“Tout cela vous est offert et ne vous quittera plus.” Quelle plus belle certitude que celle écrite par Vanessa Wagner à l'intérieur du disque ! Sous ses doigts, la musique de Glass est entre de bonnes mains. Ces mains que, sur la jaquette, la pianiste contemple… Des mains qu'on dirait prêtes à l'envol, et qui, comme à la Cité de la Musique, où elles ont fasciné, invalident au disque comme à la scène les adjectifs d'une musique régulièrement mal qualifiée : minimaliste, répétitive, facile… Les Études, confession pianistique de l'apprentissage compositionnel de Glass, sont la preuve par 20 du contraire. Les temps ont changé et des virtuoses du « grand » répertoire se penchent aujourd'hui sur les partitions d'un compositeur qui n'a plus à rougir face à ses pairs : immergée dans une musique dont elle avoue ne pas sortir indemne, Vanessa Wagner (qui mêle Glass et Bach, comme Célia Oneto Bensaid, prochaine interprète des Études, mêle Glass et Ravel) donne une version extrêmement personnelle d'une musique qu'il n'est pas interdit de considérer comme la bande-son d'une vie.

Quelle différence entre l'enregistrement parcellaire des dix premières études par Glass lui-même, et celui intégral de Vanessa Wagner, onzième en date d'une œuvre de onze ans d'âge ! D'un côté, mécanisme sans histoire, de l'autre romantisme sans complexe envers une musique plus exigeante qu'il n'y paraît, éperdue de rythme et de lyrisme. C'est patent dès l'Étude n°1, catalogue de toutes les libertés en terme de dynamique, de tempo que la pianiste française s'autorise avec l'aval d'un compositeur parmi les plus partageurs qui soient, dont l'existence a été balisée par le goût de la rencontre et de l'échange.

La « sublime machine à coudre » de Colette parlant de Bach pourrait s'appliquer à Glass dont Vanessa Wagner, dans une interprétation d'une sensibilité de tous les instants, s'ingénie à souligner les affinités avec le classicisme. À cet égard, le toucher fluide et lumineux de la pianiste fait de la sublime n° 17 la preuve par 8 (minutes) de l'évolution stylistique du compositeur d'Einstein on the beach vers l'essence même de la mélodie. Le moment le plus marquant de son intégrale reste cependant l'Étude n° 12, qui, prise dès son introduction très Wanderer Fantasie dans un tempo lentissime inédit, fait de cette pièce, parmi les plus addictives de ce cycle obsessionnel, l'équivalent des divines longueurs schubertiennes.

Pas plus que l'interprétation, plus contenue, n'est tout à fait celle entendue à la Philharmonie, où la dimension temporelle ajoutait une strate supplémentaire, le son du disque n'est celui du concert. Un piano Yamaha au lieu d'un Steinway. Et une prise de son de proximité, assez démarquée de l'ampleur symphonique qui s'élevait à la Cité de la Musique. L'enregistrement s'avère aux antipodes de celui, jusqu'ici considéré comme la référence, de Maki Namekawa. Moins fonceuse, plus introspective, Vanessa Wagner prolonge par la haute teneur expressive de son geste celui, déjà sensible aux affects, de François Mardirossian. S'ouvre dorénavant une nouvelle porte pour l'interprétation glassienne. En même temps que se profile la possibilité d'une réponse à la question existentielle d'un compositeur qui se demande encore à 88 ans : « D'où vient la musique ? »

Intégrale des Études par Vanessa Wagner à la Philharmonie de Paris : 

Les Études de Philip Glass par Vanessa Wagner : le grand voyage