Concerts, La Scène, Musique de chambre et récital

Les confessions brillantes de Mūza Rubackyté à la Salle Gaveau

Plus de détails

Paris. Salle Gaveau. 12-XII-2025. Mikalojus Konstantinas Čiurlionis (1875-1921) : Préludes 239, 294, 197. Nocturnes 183, 178. Claude Debussy (1862-1918) : Arabesque n° 1, Prélude n° 6 “Des pas sur la neige”, Clair de lune. Franz Liszt (1811-1886) : Venezia e Napoli. Sonate en si mineur. Krzystof Penderecki (1933-2020) : Ciaccona in memoriam Giovanni Paolo II. Mūza Rubackyté, piano

Partager

Tout juste de retour du Festival de piano de Vilnius dont elle est la directrice musicale, la pianiste lituanienne Mūza Rubackyté était le 12 décembre en récital à la Salle Gaveau dans un équilibre improbable entre brillance et confession.

Soutenu par les institutions lituaniennes en France, le récital s'ouvre avec cinq pièces du compositeur , célébrant ainsi le 150e anniversaire de la naissance de cette figure majeure de la culture balte. Plus connu pour son répertoire symphonique, Čiurlionis a pourtant laissé un nombre conséquent de partitions pour le piano. Elles témoignent des influences qui marquèrent, au tournant des XIXe et XXe siècle, la plupart des compositeurs d'Europe du Nord. En effet, les préludes et nocturnes choisis soulignent l'attraction de la musique allemande et polonaise, attraction d'autant plus forte que Čiurlionis étudia à Varsovie et Leipzig. L'épaisseur harmonique de l'écriture oscille sans cesse de Brahms au chromatisme slave (Rachmaninov et Scriabine) et plus encore celui de Szymanowski dont est, par ailleurs, l'une des grandes interprètes. Pour autant, la pulsation rythmique particulière des pièces suggère aussi l'apport des musiques traditionnelles baltes dont le compositeur lituanien se fit un ardent défenseur. Le très beau Steinway aux basses granuleuses et aux timbres veloutés sert parfaitement le chant nostalgique de cette musique. Un chant coloré par la projection sur écran, des pastels délicats de deux artistes lituaniens, Kristina Buožyté et Vitalijus Žukas.

Au répertoire debussyste qui suit, insère le Prélude « Des pas sur la neige » entre l'Arabesque n° 1 et Clair de lune. Son choix des tempi est d'une vélocité surprenante, les trois pièces jouées avec une légèreté diaphane et un caractère intimiste. Un choix finalement pas aussi dérangeant que cela lorsque l'on écoute Debussy interprétant sa propre musique avant la Première Guerre mondiale.

Quelle place attribuer à Venezia e Napoli dans le répertoire de Liszt ? Le triptyque est moins propice à enthousiasmer le public que tant d'autres pièces pyrotechniques, malgré une Tarentelle scintillante plus chargée de notes que de musique… fait chanter la partition avec une élégance toute narrative. Elle ne surjoue pas les effets dramatiques et trouve une cohérence aux trois tableaux. Peut-être aurait-elle pu marquer plus encore le caractère factice de certains passages, l'idée de décors improvisés sur des thèmes qui empruntent notamment à Rossini. La pianiste maîtrise avec chic, une partition vénéneuse par ses cascades acrobatiques et ses traits périlleux.

La seconde partie du concert s'ouvre par la Ciaccona in memoriam Giovanni Paolo II. Cet arrangement de la version pour cordes seules, de l'Agnus Dei du Requiem Polonais de Penderecki a été réalisé par le compositeur polonais Stanislaw Deja. Mūza Rubackyté était proche de Penderecki. Elle restitue la nostalgie douloureuse de la partition gravée dans son nouvel album paru chez Aparté et consacré au Concerto pour piano « Résurrection » de ce dernier. La consonance de la mélodie peine à émerger des ombres éparses et tragiques qui tentent de l'écraser. Le jeu de l'interprète confronte, avec lucidité, les réminiscences du chant romantique à l'âpreté du langage contemporain de Penderecki.

La Sonate en si mineur de Liszt referme le récital. Là encore, l'approche personnelle de la pianiste force l'admiration. Le tempo est très mesuré, assurant un poids spécifique à chaque idée musicale. Mūza Rubackyté construit une architecture sans fausse urgence. Elle est attentive à la clarté des traits et des gammes ciselées dans les aigus, à la dynamique dont ce piano autorise un dosage raffiné des pianissimi. Elle ne se bat pas comme dans tant d'autres lectures, pour la gloire de vaincre un Himalaya de la musique. En revanche, elle confie un peu d'elle-même au risque de raidir le jeu pour ne pas laisser fuir les tensions : telle phrase se conclut ainsi un peu brusquement car on sent l'impatience de ne pas rompre le récit. Il y a dans le jeu de Mūza Rubackyté (en dehors même des moyens techniques impressionnants) le paradoxe de porter une émotion toute romantique et impulsive tout en préservant un cadre exigeant. On frémit en écoutant le début de la fugue conclusive prise à un tempo d'une rapidité inouïe. Il est remarquable que la puissance émerge sans que le toucher n'ait besoin de forcer le son. Mūza Rubackyté n'a de cesse de réaliser un équilibre improbable entre la confession intime, presque liturgique de la partition, et sa grandeur symphonique, pré-mahlérienne.

Rêve d'Amour de Liszt est joué en bis. Comme si la brillance insistante de cette pièce devait faire oublier les pensées secrètes de l'une des œuvres majeures du répertoire romantique.

Crédit photographique : © Ludo Segers

(Visited 1 times, 1 visits today)
Partager

Plus de détails

Paris. Salle Gaveau. 12-XII-2025. Mikalojus Konstantinas Čiurlionis (1875-1921) : Préludes 239, 294, 197. Nocturnes 183, 178. Claude Debussy (1862-1918) : Arabesque n° 1, Prélude n° 6 “Des pas sur la neige”, Clair de lune. Franz Liszt (1811-1886) : Venezia e Napoli. Sonate en si mineur. Krzystof Penderecki (1933-2020) : Ciaccona in memoriam Giovanni Paolo II. Mūza Rubackyté, piano

Partager

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Reproduire cet article : Vous avez aimé cet article ? N’hésitez pas à le faire savoir sur votre site, votre blog, etc. ! Le site de ResMusica est protégé par la propriété intellectuelle, mais vous pouvez reproduire de courtes citations de cet article, à condition de faire un lien vers cette page. Pour toute demande de reproduction du texte, écrivez-nous en citant la source que vous voulez reproduire ainsi que le site sur lequel il sera éventuellement autorisé à être reproduit.