L’indispensable étude sur l’opéra-comique de Maxime Margollé
Le musicologue Maxime Margollé nous fait découvrir l'opéra-comique en France de 1789, date d'ouverture des États généraux, de la prise de la Bastille et de l'ouverture du Théâtre de Monsieur, à 1801, année de la réunion des deux salles emblématiques de ce répertoire. Une nouvelle référence dans la connaissance de la musique française.
La Révolution française pouvait laisser penser que les combats sociaux et politiques d'alors laissaient peu de place à la création artistique. La recherche en musicologie s'intéresse désormais, depuis quelques années déjà, à l'art lyrique français de la fin du XVIIIe siècle. Ce travail s'est naturellement suivi de redécouvertes au disque ou sur scène de la part de plusieurs compagnies spécialisées : Les Lunaisiens qui ont proposé une révolte en musique d'un sans-culotte et d'un royaliste ; Les Monts du Reuil qui se sont aventurés du côté des grands compositeurs lyriques de l'époque, tels que Grétry, mais aussi Dalayrac ou Méhul ; ou encore Les Emportés avec leur Stratonice de Méhul, compagnie dont le directeur artistique n'est autre que l'auteur de cet ouvrage. De même, le bicentenaire de la mort d'Étienne-Nicolas Méhul avait été dignement fêté en 2017 en livre et en disque par le Palazzetto Bru Zane, alors que ResMusica y consacrait un dossier spécial. La guerre des Théâtres à la genèse de l'opéra-comique a même été proposée sur scène par l'Opéra-Comique en 2015.
Mais ce bouillonnement musical et musicologique n'avait pas encore fait l'objet d'une approche complète et précise concernant l'émulation autour de l'opéra-comique à la fin du XVIIIe siècle, un fait unique dans l'histoire de la musique française. C'est désormais chose faite avec cette étude particulièrement bien menée par Maxime Margollé. L'auteur sait dérouler son propos avec une érudition accessible à tous, contextualisant le moindre élément.
La solidité de la recherche, la capacité d'analyse de l'auteur et sa prise de distance appréciable, offrent un regard singulier et très pertinent sur la création lyrique de cette époque, et permet de dépasser beaucoup d'idées préconçues. La première, presque évidente : l'aspect comique de ce genre musical malgré son nom. L'évolution des arguments dramatiques, proches de ceux du vaudeville, empreints de comique et de naïveté, à des opéras-comiques teintés de sensibilité et de pathétisme à la veille de la Révolution, paraît évidente grâce à la clarté des explications données. Il en va de même des développements sur la révolution esthétique entre 1790 et 1791 avec des approches dramatiques et une expression stylistique proches de la tragédie lyrique, et du retour du comique, comme un vent de fraicheur, pendant le Directoire et le début du Consulat. L'auteur dévoile ainsi, au fur et à mesure des pages, un renouvellement de la musique française autour de l'opéra-comique, loin de la période « creuse » ou « de transition » définie jusqu'alors par ses prédécesseurs. Voici donc entre 1779 et 1820, une « époque fondatrice » qui nous est révélée, de recherche, d'expérimentation et de ruptures successives, avec un genre en quête de réalités dramatiques, fort d'un orchestre traité au même niveau que les chanteurs, et d'airs introspectifs illustrant l'expression des sentiments dans une démarche préromantique. Dans la même lignée, la représentation du meurtre sur scène dans Médée de Cherubini, correspond aux recherches musicales et dramaturgiques des compositeurs romantiques. Cette évolution musicale et lyrique se matérialise notamment par la confrontation de la Lodoïska de Cherubini avec celle de Kreutzer, le premier employant une large palette d'éléments expressifs s'inscrivant dans les traces de la tragédie lyrique, alors que le second compose des effets plus conventionnels.
Le lien entre l'économie musicale et la création artistique est abordé de façon passionnante. En effet, la concurrence entre les théâtres parisiens a eu pour conséquence de marquer profondément le répertoire de ce genre musical, et a exercé également une influence importante sur la naissance de la musique romantique. Elle a généré une richesse qu'on ne trouve nulle par ailleurs dans l'histoire au regard du nombre exceptionnel de créations et de représentations annuelles ; tous les compositeurs marquant de l'époque rayonnent alors dans ce genre. De l'abolition des privilèges à la répartition des genres théâtraux et lyriques entre maisons parisiennes, jusqu'à la libéralisation des théâtres en janvier 1791, Maxime Margollé excelle dans cette narration alliant exploitation d'un répertoire et évolution musicale de l'opéra-comique.
L'auteur nous fait découvrir une « Génération 1760 » de compositeurs : Méhul, Cherubini, Berton, Steibelt et Le Sueur bousculant l'opéra-comique par des innovations profondes, telle l'alternance des épisodes parlés et chantés avec des éléments issus du modèle tragique. Cela entraîne une rupture esthétique par des textes mis en musique qui détiennent une fonction dramatique cruciale dans l'intrigue, alors qu'il n'étaient auparavant qu'accessoires. L'importance des compositeurs d'opéras-comiques est soulignée par leur présence dans le corps professoral du Conservatoire de musique créé en 1795. Mais les interprètes sont loin d'être oubliés dans cet ouvrage. Maxime Margollé expose notamment leurs qualités d'acteurs, puisque ces chanteurs jouent régulièrement dans de « simples » pièces de théâtre ; eux aussi, à leur niveau, marquant l'histoire de la musique à l'image du baryton Martin, issu de ce répertoire musical.
Même si durant les quarante premières pages de cette étude, les citations choisies, souvent redondantes avec le texte, apportent peu au discours de son auteur, le lecteur ne doit pas s'arrêter à ce détail au regard de l'apport de ce travail sur la musique de la dernière décennie du XVIIIe siècle.










