Été Mosan : la révélation Valère Burnon et l’anniversaire du Ricercar Consort
Depuis 48 saisons, le festival de l'Été Mosan propose, en immersion dans des lieux emblématiques du patrimoine architectural wallon, une riche programmation mêlant artistes à la renommée internationale bien établie et jeunes talents émergents. Lors du week-end de fête nationale belge, une place particulière était réservée aux interprètes du Plat Pays.

Le pianiste Valère Burnon en état de grâce
Si, avant 2025, son nom est déjà souvent évoqué par les cercles mélomanes belges, sa récente et très méritée troisième place au Concours Musical International Reine Elisabeth de Belgique (après le Concours Viotti 2023, Long-Thibaud 2022, Épinal 2019…) lui ouvre les portes d'une notoriété internationale et d'un public plus large encore. Le pianiste propose un programme exigeant en l'imposante et superbe église romane Saint-Martin-et-Sainte-Adèle de Orp-le-Grand, à l'acoustique réverbérée mais précise.
Le très secret Nocturne n° 6 opus 63 de Gabriel Fauré sublimé par la lenteur habitée et quasi aristocratique de l'interprétation, convainc d'emblée tant par sa sonorité très châtiée que par son expressivité raffinée, entre le spleen douloureux des sections extrêmes et le lyrisme profus et cristallin de son épisode central.
La Fantaisie opus 17 de Robert Schumann révèle un musicien d'exception, autant poète qu'architecte, plaçant la partition, au gré de tempi très larges, du moins en son premier temps, plus dans la perspective d'un très réfléchi monument à Beethoven que d'un instinctif « cri » d'amour vers Clara : la forme-sonate semble ici se déployer, telle une façade de cathédrale par temps brumeux, au gré des enchaînements des motifs lapidaires, magnifiée par une logique implacable dans l'ordonnancement des tempi et par un confondant étagement des plans sonores. Le Mässig, durchaus energisch central se veut décidé, presque martial et hymnique, savamment dosé dans le gradation dynamique de ses redites, jusqu'à cette coda prise de folie enthousiaste alla Florestan. Il est directement enchaîné au Langsam getragen final où notre interprète touche au sublime, par une ferveur poétique indicible et un engagement de tous les instants.
La Sonate opus 109 de Beethoven connaît ici une interprétation exemplaire. A la sensation de quasi-improvisation et de totale liberté formelle du Vivace ma non troppo initial, répond le ton orageux et doloriste du Prestissmo central ; mais cette vision culmine au gré du Thème et variations conclusif, où l'amplification lyrique (variations 1 et 4) du thème se joue aussi des sautes d'humeurs (les traits effusifs de la troisième, la goguenardise contrapuntique de la cinquième), avant d'atteindre un déchirant sommet d'intensité expressive pour l'ultime sixième avant le retour, semplice, du thème initial.
Pour conclure, Valère Burnon nous offre un retour au répertoire français avec quatre pages très contrastées de Claude Debussy : trois préludes des deux livres – une Terrasse des audiences du clair de Lune, nimbée de somptueuses sonorités, mystérieuse à souhait et évocatrice d'une Inde onirique, Ce qu'a vu le vent d'Ouest d'une violence menaçante et glaçante, donné sans aucune concession dans sa force brute et des Feux d'artifices ludiques entre impalpable suavité et scintillance éphémère, et enfin une vision aussi dansante qu'altière et conquérante de L'Isle Joyeuse.
Le jeune et très prometteur pianiste belge offre en bis une lumineuse et intérieure troisième Consolation de Franz Liszt, elle aussi en ré bémol, tonalité du liminaire nocturne fauréen : la boucle musicale est ainsi élégamment bouclée.
Le Ricercar Consort fête ses quarante ans

A l'été 1985, quatre jeunes musiciens basés à Liège, formant alors l'ossature du tout neuf Ricercar Consort, lançaient leur première tournée avec une interprétation exaltante de L'Offrande Musicale… Durant les quatre décennies suivantes, le gambiste Philippe Pierlot est resté le maître d'œuvre de l'ensemble à géométrie variable. Il retrouve pour ce concert jubilaire son ami et collègue organiste, Bernard Foccroulle (lequel officiera ce soir comme soliste, continuiste, compositeur, commentateur, voire maître d'œuvre) et convoque, en la Collégiale de Amay, à l'acoustique généreusement enrobée, quatre de ses amies violistes : outre la très fêtée Lucile Boulanger, les excellentes Anna Lachegyi, Layal Ramadan et Clémence Schiltz, pour un programme à l'intitulé austère : Exils, lamentations et consolations.
La musique pour consort de violes vaut autant par la richesse des coloris ou la profondeur de son substrat harmonique que par l'imagination polyphonique qu'elle requiert de la part du compositeur : elle est née à une période au moins aussi tourmentée que la nôtre, terrain de nombreux changements politiques, religieux, philosophiques artistiques ou musicaux, à la charnière des périodes Renaissance et baroque.
Ce copieux programme exploite délibérément, en sa première partie, une veine doloriste – seule l'organistique et piquante fantaisie octavi toni du Bruxellois Peeter Cornet apportera quelque amène intermède. Car ce sont des torrents de larmes qui déferlent à l'envi : la pavane Lachrimae Antiquae – augurale du célèbre recueil de 1604 de John Dowland – suavement interprétée, nimbée d'une grise mélancolie, est ici élégamment contrepointée de deux gaillardes un rien plus légères : l'adaptation – the frog Galliard– de l'air Now i need must part résonne toutefois comme une allégorie du bannissement d'un compositeur catholique exilé de sa patrie anglicane.
Plus avant, voici l'adaptation pour cinq violes – par Philippe Pierlot lui-même- de la Sestina, cycle de madrigaux extrait du sixième Livre, celui des deuils et des regrets, de Claudio Monteverdi. Sous-titré Lagrime d'amante al Sepolcro dell Amata, il fut inspiré au compositeur par la disparition de son épouse et celle de sa jeune élève Caterina Martinelli. Sous ces archets diserts, en l'absence de toute vocalité, l'œuvre perd en intensité rhétorique et en pathos dramatique ce qu'elle gagne en éclairage harmonique et en ductilité mélodique.

L'on retrouve ensuite une courte suite de miniatures inspirées par les Misères du Temps présents composée par Bernard Foccroulle avec en épigraphes divers fragments poétiques ou littéraires (d'Erri De Luca à Jean-Marie Berthier). L'évocation à mots couverts des guerres, génocides, violences extrêmes sert de « pré-texte » à une musique d'une intense raréfaction, exploitant les techniques de jeux des violes à leur maximum (pizzicati, flattements…) pour générer une véritable et inouïe odyssée sonore, à la manière des ultimes opus de Luigi Nono ou des œuvres les plus radicales d'un Giacinto Scelsi.
Après l'entracte, l'atmosphère se veut plus amène et détendue sous des dehors consolateurs et presque souriants avec les gloses sur le Todo el mundo en general et le Tiento de quarto modo de Francisco Correa de Arauxo, ou le Tiento de Batalia de Sebastian Aguilera de Heredia (lointaine et ultime déclinaison hispanique de la bataille de Marignan de Janequin), trois pages toutes plutôt dévolues originellement à l'orgue mais ici vaillamment défendues par nos violistes, au gré de très subtiles adaptations.
C'est un vrai plaisir que de retrouver Bernard Foccroulle à l'orgue portatif (dû à Luc Meurice et appartenant à l'ensemble) pour deux pièces très savantes d'inspiration populaire (de nouveau Correa de Arauxo pour son tiento a modo de cancion et le cappriccio du premier livre de Girolamo Frescobaldi, truculent, sopra la basssa fiamengha) défendues avec une précision chirurgicale et un enthousiasme débordant.
Sous la conjonction du consort et de l'orgue est atteint, en fin de parcours, le sommet émotionnel de ce concert avec un très spéculatif consort set à cinq, polyphoniquement très creusé, dû à William Lawes, et enfin, l'In Nomine à six aux dissonances si pimentées, suivi de la sublime Fantasia upon one note du grand Henry Purcell, deux pages distillées avec une chaleureuse et hédoniste gourmandise sonore.
Une courte et très spirituelle danserie extraite des ludi musici de Samuel Scheidt nous est offerte en bis pour fêter quand même un peu plus… joyeusement ce mémorable anniversaire.
Crédits photographiques : Valère Burnon © Festival de Wallonie ; Ricercar Consort © Alexandre de Terwangne ; Bernard Foccroulle et Orgue Luc Meurice © ResMusica.
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