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Le Festival Ravel fête le 150ᵉ anniversaire du maître de Ciboure

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Saint-Jean-de-Luz
Festival Ravel du 30-VIII au 2-IX-2025
30-VIII : Centre culturel, Salle Tanka : Ramon Lazkano (né en 1968) : La main gauche, opéra de chambre en trois actes et 15 scènes d’après le roman Ravel de Jean Echenoz ; version concert ; Marie-Laure Garnier, soprano, La Femme ; Peter Tantsits, ténor, Ravel ; Allen Boxer, baryton, L’Homme ; Ensemble intercontemporain ; direction Pierre Bleuse.
1-IX : Urrugne, église Saint-Vincent : Maurice Ravel (1875-1937) : Sonate n°1, posthume, pour violon et piano ; Chansons Madécasses ; Sonate n°2, pour violon et piano ; Histoires naturelles, pour voix et piano ; La Valse, pour deux pianos. Fleur Barron, mezzo-soprano ; Aliya Vodovozova, flûte ; Clara-Jumi Kang, violon ; Jean-Guihen Queyras, violoncelle ; Bertrand Chamayou, Kirill Gerstein, piano.
2-VIII : intégrale Ravel au piano : œuvres de Ravel, Jolas, Durieux et Sciarrino, Boulez. Hyunji Kim, Bertrand Chamayou ; Pierre-Laurent Aimard, piano.

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Célébration oblige : pour le 150 anniversaire de sa naissance, le Festival Ravel sous la direction de affiche une quasi intégrale des œuvres du maître de Ciboure ainsi que la création d'un opéra, La main gauche de , d'après le Ravel de Jean Echenoz.  

Basque comme Maurice Ravel, bien que né de l'autre côté de la Bidassoa, s'est toujours senti très proche de la musique du compositeur du Boléro. Son projet d'écrire un opéra sur Ravel remonte à près de vingt ans, à l'époque (2006) où Jean Echenoz fait paraître son roman, Ravel. Il retrace les dix dernières années du compositeur atteint d'aphasie, une maladie qui détruit progressivement toutes ses capacités physiques et intellectuelles, l'éloigne du monde et l'empêche de composer. Amorcé en 2016 au Festival d'Automne sous forme de fragments, Ravel (scènes), l'ouvrage scénique définitif, dont Lazkano a remodelé le livret et réécrit toute la musique, ne voit le jour qu'aujourd'hui, co-commande de l'Académie internationale de musique Maurice Ravel et de l' pour les 150 ans de la naissance du compositeur.

La main gauche, le titre choisi par Lazkano, renvoie au Concerto pour la main gauche (1929-1931) de Ravel qui sert de fil rouge au drame qui se joue ; il évoque également « sa propre main devenue gauche » au point de ne plus pouvoir signer de son nom ni tracer les notes sur la partition.

L'opéra de chambre, écrit pour trois chanteurs et un ensemble instrumental – l'Intercontemporain dirigé par   – est en trois parties et quinze scènes, relatant  cette lente dégradation des facultés mentales du compositeur, de sa tournée de quatre mois aux Etats-Unis (1928) – le voyage de sa vie –  à son retour à Montfort-l'Amaury (« l'usine du Boléro », « les deux Concertos pour piano ») jusqu'à l'accident à bord du taxi (amorçant la dernière partie) qui semble précipiter l'effondrement physique et mental de Ravel avant l'opération fatale qui le conduit à la mort.

Faire chanter Ravel

 « Il fallait que la musique de Ravel soit là », nous dit Lazkano dans la rencontre animée par avec le compositeur et le chef juste avant le concert : à travers la prosodie adoptée par Lazkano, une manière d'accentuation des mots qui donne au débit vocal une énergie et un relief singulier. Elle est à l'œuvre dès le prologue où le ténor /Ravel, faisant face au public, s'adresse à lui comme le fait « le Dompteur » au début de la Lulu de Berg. Tantsits incarne un Ravel fort en voix, au discours anguleux, dont le débit va peu à peu ralentir et l'intonation s'estomper jusqu'au silence. Ses deux partenaires, la soprano et le baryton , endossent au fil de la narration les rôles des différents personnages/amis qui ont entouré, soutenu et accompagné Ravel jusqu'à la fin de sa vie : une partie virtuose et magnifiquement assumée par les deux voix – qui chantent parfois « en chœur » – bien vaillantes, quant à elles, jusqu'au bout. On regrette cependant, pour cette version de concert, l'absence de surtitres, même si l'on a entre les mains le livret distribué à l'entrée du concert.

Un orfèvre de l'orchestration

 La partition chez Lazkano est toujours un laboratoire du timbre. L'ensemble, qui ne compte que quinze instruments, incluant un piano, un accordéon et un important set de percussions, sert à merveille le désir d'économie et de concentration recherché par le compositeur. Autant que la voix, l'orchestre est là, avec ses couleurs, ses registres et ses alliages de timbre, pour traduire, et non sans humour parfois, cet effondrement qui advient. Les traces de la musique de Ravel – nombreuses citations en lien avec la dramaturgie – sont ici érodées, brouillées, cryptées, « comme un souvenir retourné et froissé du personnage », nous dit le compositeur : ce sont la clarinette, le piccolo, voire la trompette bouchée qui entonnent la Sonate pour violon et piano n°2 tandis que s'immisce, discret, le rythme du Boléro qui va hanter toute la scène 7. On se délecte des interludes – musique de plein air de L'Enfant et les sortilèges pour l'arrivée printanière à Montfort-l'Amaury – et autres parties instrumentales pures (Insomnies 1 et 2) où les instruments convoqués disent le drame au même titre que le chant : écriture aux instances bruitées, répétitions obsessionnelles, gestes de cassure de la percussion, matière atone (souffle, murmure) qui étire le temps. Le discours s'étiole et la matière instrumentale s'effrite dans une troisième partie saisissante.

et ses musiciens en détaillent chaque contour, donnant sa pleine mesure à une partition exigeante autant que ciselée, dont la dramaturgie sonore nous étreint.

C'est avec les surtitres et la mise en espace de Béatrice Lachaussée que La main gauche de Ramon Laskano, programmée à la Philharmonie de Paris le 3 octobre prochain, devrait révéler sa pleine dimension opératique.

Festival et Académie

Le lendemain, toujours au Tanka, l'Académie Ravel qui s'est déroulée durant quinze jours en lien avec le festival donne son concert de clôture. Les interprètes ont profité des conseils de leurs mentors et donnent en public le fruit de leur travail. On peut également assister en matinée à la restitution des pièces des cinq étudiants de la classe de composition, inaugurée il y a quatre ans et dirigée pour la troisième année par le compositeur suisse Michael Jarrell. Les œuvres pour petit ensemble sont interprétées par les académiciens sous la direction du chef et compositeur Othman Louati. Un jury a été constitué pour délivrer au plus méritant un Prix de composition qui se traduira par une commande pour le Festival 2026 : c'est l'Espagnol Alvaro Pérez Sánchez, étudiant de master à la Musikene de San Sebastián, qui remporte le trophée et dont on entendra l'année prochaine la nouvelle œuvre donnée dans le cadre du festival.

Toutes les composantes d'une intégrale

Dans l'église Saint-Vincent d'Urrugne, la mezzo-soprano est au côté du pianiste Kirill Gerstein pour interpréter deux chefs-d'œuvre de Maurice Ravel. En 1926, le compositeur conçoit ses Chansons Madécasses comme « une sorte de quatuor où la voix joue le rôle d'instrument principal ». C'est précisément cette intégration de la voix dans l'ensemble  qui nous manque dans la prestation de la chanteuse dont le timbre trop en dehors et l'instabilité de l'intonation nous privent de la compréhension du texte et désactivent l'interaction avec les instruments. On savoure cependant la sonorité caressante de la flûtiste (Il est doux) et les textures transparentes du violoncelliste Jean-Guihen Queyras.

À en faire trop, chez  Ravel, le texte perd en précision ; n'est guère plus convaincante dans Les Histoire naturelles sous l'accompagnement de Kirill Gerstein et nous remet en mémoire le conseil du Basque s'agissant de sa musique :  « Lisez-moi mais ne m'interprétez pas » !

On apprécie davantage le pianiste Kirill Gerstein au côté de la violoniste Clara-Jumi Kang dans les deux sonates pour violon et piano du compositeur : sonate posthume pour la première, dont il ne reste qu'un seul mouvement. Plus célèbre et plus goûteuse, avec son « blues » central, la Sonate n°2 est jouée avec tact et modération par nos deux interprètes complices : le violon est lumineux et l'archet sensible, le piano fluide et réactif, délicat et tout en saillie dans un Blues bien galbé qui swingue avec élégance. Le perpetuum mobile est rien moins qu'ébouriffant, avec cette virtuosité folle qui plaisait à Ravel. La Valse clôt en beauté le concert, mettant sur la scène deux pianos dont celui de  : moment de grâce entretenu par les deux pianistes dans une premier partie chaloupée avant d'amorcer le mouvement cinétique porté et amplifié jusqu'au « tournoiement fantastique et fatal » qu'appelait de ses vœux le compositeur : la puissance du jeu et la dimension symphonique conférées à cette réduction pour deux pianos (de la plume du compositeur) laissent sans voix !

Les deux concerts du lendemain, à l'église Saint-Vincent de Ciboure, visent l'intégrale de la musique pour piano et fêtent également le centenaire Boulez sous les doigts magnétiques de .

Une intégrale avec des raretés, comme ces quatre fugues jouées à quatre mains par la jeune académicienne Hyunji Kim et son mentor Bertrand Chamayou au début de la soirée. Hormis la première que le jeune Ravel a laissé inachevée, les trois autres fugues (exercices en vue d'obtenir le Prix de Rome ?) ne manquent pas d'intérêt ; rappelons que Ravel en écrira au moins une cinquième, dans son Tombeau de Couperin, et pratiquera l'art du contrepoint dans toutes les pièces de la maturité. Autre inédit, La Parade, écrite par Ravel sous le pseudonyme de Jacques Dream, est jouée avec beaucoup d'élan et de panache par la jeune Coréenne dont on apprécie la belle maîtrise du clavier, les couleurs qu'elle tire de son instrument et la lumière de ses aigus.

Bertrand Chamayou, qui a porté son intégrale du piano de Ravel sur bon nombre de scènes, nationales et internationales, revient sur le plateau en seconde partie de concert, entrelaçant les œuvres du maître avec de courtes pièces contemporaines qui leur font écho : Signets, un hommage à Ravel de (1987), Pour tous ceux qui tombent (1997) de , où s'entend la note obstinée du Gibet et De la nuit (1971) de l'Italien Salvatore Sciarrino qui use et abuse des « pluies de perles » sur le clavier (celles d'Ondine revisitée) juste avant les Jeux d'eau. On est captivé par la fluidité du jeu et l'élan naturel qui porte le discours de la Sonatine sous les doigts de Chamayou, à travers la variété des éclairages, la pureté des aigus chauds et lumineux et les relances énergétiques qu'il sait ménager. La gestion du temps est souple et la projection du geste éminemment libre dans les Valses nobles et sentimentales au spectre sonore largement déployé. La Pavane pour une infante défunte est attendue et généreusement applaudie par le public avant Le Tombeau de Couperin qui referme le concert. L'œuvre est écrite au cours de l'année 1917 qui voit, aux malheurs de la Première Guerre mondiale, s'ajouter la perte de sa mère. Ainsi chacune des six pièces est-elle dédiée à la mémoire d'un proche du compositeur tombé au front. La musique coule littéralement sous les doigts du pianiste qui ne fait qu'une bouchée du Prélude avant la Fugue que Ravel s'abstiendra d'orchestrer. S'entend dans la Forlane comme dans le Rigaudon cette belle homogénéité du clavier qui sied au classicisme de la musique et la nimbe d'une aura résonnante quasi féérique. Le Menuet est joué avec beaucoup de tendresse avant la Toccata où Chamayou lâche les vannes du son dans le contrôle absolu de son clavier.

De Ravel à Boulez : en miroir

débute son récital avec les Miroirs (1904-1905), cinq « images » (dont deux seulement seront orchestrées) où le pianiste donne à entendre sa propre vision, en laissant distinctement résonner ces « notes pédales » qui polarisent l'écriture et sur lesquelles glisse des harmonies raffinées : entre fugacité et plages statiques, le vol capricieux des papillons de nuit dans Noctuelles nous enchante, avec de superbes envolées nimbées de résonance. On se délecte du jeu perlé du pianiste et de la souplesse de l'ondoiement dans Barque sur l'océan. L'Alborada del Grazioso est saisissant, où la rigueur du tempo, la nervosité du trait et l'envergure orchestrale du jeu font merveille. Un autre temps s'installe et d'autres notes obstinées tintent dans La vallée des cloches, page admirable dont Aimard sonde le mystère enclos dans une harmonie subtile.

La Sonate n°1 (1946) d'un jeune Boulez de 21 ans sonne sous les doigts du pianiste avec une grande clarté mais sans sécheresse, Aimard donnant au contraire sa pleine envergure à la résonance et à l'énergie du geste qui projette les figures dans l'espace. « J'aime beaucoup la virtuosité, non pas la virtuosité tape-à-l'œil mais la virtuosité où on sent le danger […] », déclarait le compositeur : celle de la Toccata du deuxième mouvement impressionne sous les doigts du pianiste, tout comme celle de Ravel dans la toccata du tombeau de Couperin !

La virtuosité s'exerce également dans Incises (1994), œuvre avec laquelle débute la seconde partie du concert. La pièce d'un seul mouvement, écrite par Boulez pour le concours Umberto Micheli de Milan, relève du style tardif du compositeur, balançant entre flux ininterrompu couvrant l'étendue du clavier et blocs sonores verticaux innervés par la seule cellule rythmique « brève-longue ».  Elle résonnera avec plus d'ampleur encore dans Sur incises, l'agrandissement pour trois pianos, trois harpes et trois percussions que Boulez réalise en 1996.

Le concert s'achève en beauté avec le triptyque Gaspard de la nuit. Dans Ondine, la musique glisse sous les doigts de l'interprète qui soigne tout particulièrement les différents plans sonores de l'écriture. Le temps se suspend et l'équilibre est savamment dosé dans Gibet pour créer cette impression de jeu distancié et détaché voulu par Ravel. Scarbo est éblouissant, ciselé dans ses moindres détails ; la transparence du jeu, le tranchant du rythme et l'effusion virtuose éblouissent, que sait prodiguer Pierre-Laurent Aimard pour sublimer une des plus belles partitions du maître de Ciboure.

Crédit photographique : © Festival Ravel / Valentine Chauvin

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2-VIII : intégrale Ravel au piano : œuvres de Ravel, Jolas, Durieux et Sciarrino, Boulez. Hyunji Kim, Bertrand Chamayou ; Pierre-Laurent Aimard, piano.

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