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À Strasbourg, Musica vise l’éclectisme

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Strasbourg. Festival Musica. 19, 20, 21-IX-2025.
19-IX : 19h ; Le Maillon ; Alexander Schubert (né en 1979) : Eternal Dawn, spectacle multimédia ; scénographie Christian Wiehle ; chorégraphie, Colette Sadler ; costumes Felina Levits, conception des orthèses et prothèses, Neue Farben ; Conception lumières, Diego Muhr ; Decoder Ensemble : Leopold Hurt, Andrej Koroliov, Sonja Lena Schmid ; Jonathan Shapiro.
19-IX : 21h ; Opéra national du Rhin ; In Dreams : David Lynch revisited ; Anna Calvi, Mick Harvey ; Cono O’Brien (Villagers), Sophia Brous, Jehnny Beth, Kirin J.Callinan ; direction musicale, scie musicale, guitare, percussion, David Coulter.
20-IX : 11h ; Karmen Camina ; Mariam Rezaei, DJ et composition.
20-IX : 16h : Hear – Manufacture ; The Sad Album, théâtre musical ; composition, texte, voix, Laura Bowler ; mise en scène, Sam Redway ; ensemble Lovemusic, développement électronique Matthew Fairclough.
20-IX : 20h30 : Kristine Tjøgersen (né en 1982) : Elja, pièce composée sur des éléments du folklore norvégien et jouée sur des instruments traditionnels Hardanger avec la musique de Benedicte Maurseth. Kronos Quartet & Benedicte Maurseth.
21-IX : 11h ; Palais des fêtes ; Piotr Peszat (né en 1990) : Vie et Passion du Christ ; Spóldzielnia Muzyczna ; électronique, Piotr Peszat.

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Ouvrant grand le champ des possibles au , Stéphane Roth a conçu le premier week-end de cette 43ᵉ édition dans la diversité et l'éclectisme des propositions. 

 : le retour

Quatre ans après son monumental Asterism (plus de 37 heures en flux continu), l'Allemand revient pour l'ouverture de Musica 2025, sur la même scène du Maillon, avec Eternal Dawn (L'Aube éternelle), un spectacle sans bords – il a commencé avant que le public ne s'installe et se prolonge après son départ. Comparé à Asterism, le format est court (1 heure trente) même si « le temps nous dure » dans cette nouvelle proposition multimédia où le compositeur nous (re)parle de transhumanisme, d'intelligence artificielle et autres mutations qui l'occupent aujourd'hui, avec cette froide distance qu'il aime observer face au public. Le décor futuriste (Christian Wiehle) est luxueux (des structures lumineuses en suspension modifiant leur ambiance colorée) dans lequel vont évoluer les sept performers du qu'a fondé Schubert.

Cyborgs en combinaisons moulantes, ils sont munis de capteurs et leurs bras sont augmentés, voire démultipliés, comme ces immenses pinces de crustacé qui se rejoignent au-dessus de la tête du personnage central au torse de celluloïd. Il actionne les touches d'un clavier électronique, quelques notes (live ?) qui font mélodie dans un environnement sonore presqu'exclusivement électronique diffusé (parfois très fort) par un réseau immersif de haut-parleurs. Une batterie de jazz est à cour sur laquelle intervient le geste ralenti d'un personnage lors d'une séquence particulièrement pulsée. En connexion avec le son et les lumières, la partie gestuelle et physique prend le pas (Colette Sadler), que l'on n'est pas toujours à même de « décoder ». En revanche, le petit chien-robot qui naît de l'accouchement d'un des cyborgs est chose inoubliable !  Robotiques également les voix passées au vocoder articulent un langage transhumain qui nous échappe. Mais le « message » est là, toutefois, qui passe par les voix de synthèse et se lit sur l'écran à la fin du spectacle.

Les cordes sympathiques du

Dans l'acoustique généreuse de l'église Saint-Paul, le , qui a fêté son jubilé lors de la dernière Biennale de quatuors à cordes (2024) de la Philharmonie de Paris, accueille dans ses rangs la violoniste et folkloriste et ses instruments Hardanger dotés de cordes sympathiques que jouent également l'altiste et le violoncelliste du quatuor. Elja est une création de la Norvégienne , une fresque d'une petite heure conçue dans le rythme lent et le temps circulaire de la méditation. Les sonorités irisées des instruments traditionnels profitent de la réverbération naturelle du lieu, que viennent par instants perturber les manifestations bruitées du violoncelle usant des techniques de jeu étendues sur son instrument. Une bande-son (chants d'oiseaux et autres bruits de nature) anime l'espace – on voit le premier violon David Harrington souffler dans un appeau – ainsi que les images de nature projetées sur l'écran.

Un espace est laissé à l'improvisation, celle de dans le registre oiseau de son violon ; l'interprète donne également de la voix dans un des moments les plus accrocheurs de cette musique minimale et monochrome, propice au doux endormissement…

Musica en mode vintage

C'est dans les ors de l'Opéra du Rhin, qui fait salle comble, que l'on assiste au bel hommage rendu au réalisateur et plasticien disparu en janvier dernier. Le spectacle remonte à 2015, qui se concentre sur les bandes originales de ses films et réunit chanteurs et instrumentistes pour une vingtaine de titres et autant d'évocations sans images des « toiles » du réalisateur.

 

En bord de scène et dans le silence, David Coulter, directeur musical du spectacle, scie une bûche… celle de La log Lady de Twin Peaks avant que ne s'entende la voix nue de dans Llorando (pleurer), la ballade de Muholland Drive qui débute dans l'émotion cette rétrospective sonore.

Du rythm and blues au rock progressif, du slow sentimental au disco, avec force guitare électrique, batterie et autres sources lumineuses, le propos et l'environnement sonores se renouvellent à l'envi dans chaque numéro. La scie musicale de David Coulter et les structures Baschet de Thomas Bloch prolongent le thème de The Elephant man dont Coulter et sa guitare sonde la poésie et le mystère. La harpe de Pauline Haas est soliste dans le thème de Laura Palmer ; avec la guitare électrique et la machine à vent qui s'est mise en rotation, l'intervention de est bruyante dans I'm deranged et This magic moment, évoquant la manière d'un Elvis Presley. Mike Harvey arrive masqué, accompagné de la trompette bouchée (Terry Edwards) et de la scie musicale dans l'irrésistible Black dog et In Heaven. La voix rock et rauque de qui met le feu au plateau avec she's gone away aurait pu clore la soirée au plus fort de la saturation sonore et de l'enthousiasme de l'auditoire. Mais nous aurions été privés d'un des plus beaux numéros, celui du britannique Conor O'Brien dans In Dreams qui donne son titre à ce tour de chant ; le slow est délicieux et la voix envoûtante, d'une diction et intonation parfaites, avec ce passage délicat en voix de tête qui donne le frisson !

La performance de sur le plateau-théâtre de la HEAR

Elle a écrit le scénario, composé la musique et tient la scène une heure durant, tour à tour vocaliste, chanteuse et comédienne, entourée des six musiciens (violon et violoncelle, flûte et clarinette, guitare électrique et percussion) de la phalange strasbourgeoise qui vient d'obtenir la prestigieuse récompense du prix Ernst von Siemens pour les ensembles. Dans The Sad Album, opéra de poche ou théâtre musical, la Britannique a choisi la thématique du deuil et les questionnements qu'il suscite – sur quel ton en parler et dans quelle mesure nous sommes capables de l'affronter – en évaluant l'impossibilité de définir comment on doit « faire son deuil ».

La voix de Laura est tout terrain, passant, selon les aléas de la dramaturgie, du parlé-rythmé  sur la pulse de la batterie, au chant, soutenu voire doublé par les instrumentistes, avec cette tendance tragi-comique à « patiner » sur les mots comme la tête de lecture du gramophone sur un disque rayé. Les sollicitations verbales abondent dont on lit la traduction sur l'écran, la chanteuse étant parfois relayée par une voix off, lorsqu'il est question de la recherche en neuroscience qui participe de la réflexion. Dans les mains du vidéaste, une caméra live projette les détails du décor (l'intérieur bourgeois de Sam Redway) ou la prestation de la chanteuse sur son podium, passant du silence presque suffocant à la vitalité explosive de son chant et de son corps lorsqu'elle se met, in fine, à danser ! La participation active des musiciens n'est pas en reste, assurant également la part bruitiste de l'environnement sonore. Finbar Hosie est aux manettes pour la diffusion sonore et le réglage des équilibres dans ce spectacle rondement mené et qui nous tient en haleine.

En matinée

Ouvert en mai 2024, Karmen Camina est un nouveau lieu de rencontre et d'expression artistique situé dans l'ancienne Manufacture des tabacs de Strasbourg, friche spacieuse où nous conduit l'édition 2025 de Musica.

La DJ britannique convie le public à un récital de chambre matinal, moment d'écoute atypique pour cette « turntabliste » (platiniste) et compositrice qui nous fait découvrir son univers dans les conditions du concert « classique ». Pianiste de formation, Rezaei mixe depuis l'âge de 14 ans (elle en a 40 aujourd'hui) et sillonne la planète avec son instrument – deux disques numériques et une table de mixage – dont elle joue en virtuose. La connaissance de l'outil qu'elle manipule et la maîtrise du matériau qu'elle modèle sont bluffantes.

Entre improvisation et composition (elle parle elle-même d'écriture au cours de la rencontre qui suit sa performance), elle est concentrée et à l'écoute du son, mettant à profit les faux ongles de ses doigts pour obtenir un toucher singulier sur les platines : théâtre sonore avec voix, travail sensible sur les fréquences et les battements qui en résultent, passage purement instrumental avec une trompette dont elle affine l'arabesque. Elle soigne les transitions, sculpte son matériau et conduit le discours dans une approche compositionnelle qui retient toute notre attention.

Prospective Pologne

Coup de projecteur à Musica sur la création polonaise avec trois concerts invitant compositeurs et ensemble polonais. C'est au Palais des fêtes, doté d'un écran géant, que l'on assite au ciné-concert très singulier du compositeur et artiste sonore . Né en 1990 à Cracovie, il a étudié à l'Université des arts de sa ville natale où il enseigne aujourd'hui la composition et les nouvelles technologies. Vie et Passion du Christ (2019, révisé en 2025) donné en création française, est un montage audiovisuel dont est tout à la fois le compositeur et le réalisateur. Il part d'un matériau préexistant, le film de Lucien Nonguet et Ferdinand Zecca, La Vie et la Passion de Jésus-Christ, l'un des tout premiers longs métrages de l'histoire du cinéma que le compositeur a colorisé manuellement (dans les tons de la Renaissance italienne), ne retenant des images que ce qui l'intéresse de montrer, à savoir la violence et son geste répétitif qui environnent le récit de la vie de Jésus : « Car Dieu n'a pas envoyé son Fils dans le monde par crainte que l'enfant ne fût livré à l'abus sexuel et qu'il ne connût la frayeur et la honte », écrit dans sa note d'intention. Les images sont intermittentes, le compositeur ne donnant parfois à entendre que le jeu des instrumentistes installés derrière l'écran – remarquable Spóldzielnia Muzyczna (Coopérative musicale) –, ou les voix en dialogue et autres échantillons sonores qui nous viennent des haut-parleurs. L'écriture, tant instrumentale qu'électronique, y est ciselée, entretenant la tension du discours, Peszat usant de la répétition dans l'écriture musicale autant que dans la projection visuelle : ainsi ressasse-t-il jusqu'au malaise les images de la scène du « Massacre des Innocents » qu'accompagne avec distance le flux lisse et continu d'une trame électronique.

La proposition fascine, certainement la plus forte de ce premier week-end à Musica.

Crédit photographique : © Thaïs Breton

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Strasbourg. Festival Musica. 19, 20, 21-IX-2025.
19-IX : 19h ; Le Maillon ; Alexander Schubert (né en 1979) : Eternal Dawn, spectacle multimédia ; scénographie Christian Wiehle ; chorégraphie, Colette Sadler ; costumes Felina Levits, conception des orthèses et prothèses, Neue Farben ; Conception lumières, Diego Muhr ; Decoder Ensemble : Leopold Hurt, Andrej Koroliov, Sonja Lena Schmid ; Jonathan Shapiro.
19-IX : 21h ; Opéra national du Rhin ; In Dreams : David Lynch revisited ; Anna Calvi, Mick Harvey ; Cono O’Brien (Villagers), Sophia Brous, Jehnny Beth, Kirin J.Callinan ; direction musicale, scie musicale, guitare, percussion, David Coulter.
20-IX : 11h ; Karmen Camina ; Mariam Rezaei, DJ et composition.
20-IX : 16h : Hear – Manufacture ; The Sad Album, théâtre musical ; composition, texte, voix, Laura Bowler ; mise en scène, Sam Redway ; ensemble Lovemusic, développement électronique Matthew Fairclough.
20-IX : 20h30 : Kristine Tjøgersen (né en 1982) : Elja, pièce composée sur des éléments du folklore norvégien et jouée sur des instruments traditionnels Hardanger avec la musique de Benedicte Maurseth. Kronos Quartet & Benedicte Maurseth.
21-IX : 11h ; Palais des fêtes ; Piotr Peszat (né en 1990) : Vie et Passion du Christ ; Spóldzielnia Muzyczna ; électronique, Piotr Peszat.

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