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A Rome, Damiano Michieletto met en scène Lohengrin

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Rome. Teatro Costanzi. 5-XII-2025. Richard Wagner (1813-1883) : Lohengrin, opéra en trois actes sur un livret du compositeur. Mise en scène : Damiano Michieletto. Décors : Paolo Fantin. Costumes : Carla Teti. Lumières : Alessandro Carletti. Dramaturgie : Mattia Palma. Avec : Dmitry Korchak (Lohengrin), ténor ; Jennifer Holloway (Elsa von Brabant), soprano ; Clive Bayley (Heinrich der Vogler), basse ; Tómas Tómasson (Friedrich von Telramund), baryton ; Ekaterina Gubanova (Ortrud), soprano ; Andrei Bondarenko (héraut d’armes du roi), baryton. Choeur (Ciro Visco, chef de chœur) et Orchestre du Teatro dell’Opera di Roma, direction : Michele Mariotti

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Le Théâtre de l'Opéra de Rome relève le défi en remettant en scène Lohengrin de cinquante ans après la dernière représentation, en italien. Pour ce faire, en coproduction avec le Palau de les Arts Reina Sofia de Valence et le Théâtre La Fenice de Venise, il a choisi une mise en scène mémorable de .

, qui fait ici ses débuts wagnériens, a opté pour une mise en scène abstraite, visionnaire et poétique. Avec cette vision essentielle et hautement évocatrice, le metteur en scène ne fait qu'ajouter de la poésie à l'épopée du drame, servant à la perfection la partition. Finis les casques, les épées, les cuirasses, les palandrons et les armures médiévales, finis la forêt, le fleuve Escaut et ses rives, et même le bateau tiré par le cygne. La scène est dépouillée, métaphysique, ultra contemporaine. Paolo Fantin a choisi comme toile de fond une simple clôture en bois, qui sert également de caisse de résonance et s'étend en se courbant le long du fond comme une façade fixe, pouvant être démontée en panneaux mobiles si nécessaire. Quelques gradins accueillent la cour du roi allemand Henri l'Oiseleur et la masse du chœur, divisé comme dans la tragédie grecque entre les partisans de l'innocence de la princesse de Brabant et les partisans de sa culpabilité, fidèles au comte de Telramund. Les costumes de Carla Teti sont de style contemporain, mais indifférenciés: pour les femmes, chemisiers, blousons, tailleurs dont celui en dentelle noire brodé spécialement pour Ortrud, à mi-chemin entre Marlene Dietrich et Martha Goebbels; pour les hommes, costume style Facis avec veste et cravate, mais pour tous, la couleur mauve, avec nuances changeantes, grâce aux lumières évocatrices d'Alessandro Carletti, tantôt livides et sombres, tantôt claires et éclatantes.

La principale qualité du spectacle réside dans le dispositif symbolique pensé et soigné à l'extrême. Ici, l'abstraction prévaut grâce à l'utilisation habile de la métonymie (où la partie représente le tout : la baignoire remplie d'eau, la fosse creusée sous les planches de la scène) et puis l'ordalie avec le monolithe qui tombe du haut en versant dans la coupe un liquide mercuriel argenté, que Lohengrin répand sur sa poitrine pour en faire son armure. On peut voir aussi dans l'œuf suspendu une référence à celui de Piero della Francesca dans la toile de Brera pour évoquer le mystère de l'origine et le drame de la vie. L'œuf, véritable pivot du récit, passe du noir charbonneux dans son écrin, puis devient argenté pour symboliser le bien, avant de redevenir noir comme le mal, lorsqu'il s'ouvre pour révéler l'opacité totale d'une vérité aveuglante.

Pour ce spectacle, le chœur romain chante enfin en allemand et non dans la traduction italienne habituelle. Le chef de chœur Ciro Visco restitue toutes les nuances des parties vocales  et cisèle autant les pianissimi lumineux, les tons oniriques que la vigueur des réactions face aux intrigues. fait ses débuts à la direction d'un opéra de Wagner et offre une interprétation romantique, mais typiquement italienne de ce chef-d'œuvre allemand, avec une parfaite fusion entre les parties instrumentales et vocales, afin de mettre en valeur les premières en modulant et en exaltant les secondes.

La distribution s'avère inégale. Le ténor , lui aussi à ses débuts wagnériens, remporte le défi en interprétant avec une maîtrise parfaite le rôle de Lohengrin : d'une intensité claire, d'une excellente projection, d'une émission solide, son Chevalier céleste reste admirablement suspendu entre le rêve et la transcendance, jonglant habilement entre l'aspiration métaphysique et la chute dans la mélancolie du désespoir. La prestation de la soprano est convaincante, même si elle est parfois inégale du moins au début. Pour ses débuts à Rome, elle offre une interprétation intense et inspirée d'Elsa. Bien que soutenue par un phrasé prudent et bien mesuré, elle semble toujours rester un peu en équilibre par rapport aux aspirations du personnage. La mezzo-soprano livre une excellente performance dans le rôle d'Ortrud, la sorcière païenne maléfique, véritable moteur du drame, avec sa voix sombre mais harmonieuse, son timbre rond mais aigu, parfaitement soutenu dans l'extension, capable de restituer à chaque mesure les variations infinies de registre – rémission, séduction, manipulation, tromperie, trahison –  requises par le chant de Wagner. Le baryton est efficace dans le rôle du roi allemand, même s'il n'est pas au meilleur de sa forme, en raison de l'opacité de ses aigus et de sa voix fatiguée, tandis que le baryton Andrei Bondarenko se distingue dans le rôle du héraut du roi, avec sa voix pleine et claire, son timbre et son élocution précise. Quant au baryton-basse , il interprète le comte de Telramund, un brute vigoureuse mais psychologiquement fragile, offrant une performance théâtrale déséquilibrée par rapport à sa performance vocale, qui semble rugueuse, inappropriée, pas toujours convaincante dans l'intonation et le contrôle du volume.

Le public se laisse séduire par le merveilleux conte de Lohengrin sans que la mise en scène moderne ne prenne le pas sur la partition, mais au contraire la serve, avec son esthétique épurée. Dix minutes d'applaudissements convaincus, lors de la première romaine, étouffent les rares sifflets provenant du balcon, et consacrent l'un des meilleurs spectacles que nous ayons vus ici ces dernières années.

Crédits photographiques : © Fabrizio Sansoni / Opera di Roma

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Rome. Teatro Costanzi. 5-XII-2025. Richard Wagner (1813-1883) : Lohengrin, opéra en trois actes sur un livret du compositeur. Mise en scène : Damiano Michieletto. Décors : Paolo Fantin. Costumes : Carla Teti. Lumières : Alessandro Carletti. Dramaturgie : Mattia Palma. Avec : Dmitry Korchak (Lohengrin), ténor ; Jennifer Holloway (Elsa von Brabant), soprano ; Clive Bayley (Heinrich der Vogler), basse ; Tómas Tómasson (Friedrich von Telramund), baryton ; Ekaterina Gubanova (Ortrud), soprano ; Andrei Bondarenko (héraut d’armes du roi), baryton. Choeur (Ciro Visco, chef de chœur) et Orchestre du Teatro dell’Opera di Roma, direction : Michele Mariotti

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