Je te veux : du cabaret au concert avec Julie Fuchs
Autour d'un programme « Belle Époque », Julie Fuchs et ses musiciens nous promènent du classique au caf'conc', permettant de faire entrevoir tous les aspects de la vie musicale du Paris du tournant du XXᵉ siècle. Du cross over comme on l'aime, qui mélange les genres et les styles tout en maintenant une remarquable unité de ton.
Pertinent programme que celui concocté par Julie Fuchs et ses acolytes. Dans les subtils arrangements de Cyrille Lehn, Arthur Lavandier ou Thibault Perrine, conçus pour piano, violon, contrebasse et accordéon, un certain nombre de pièces plus ou moins contemporaines marient les styles et les genres, faisant voisiner Debussy avec Aristide Bruant, Satie avec Germaine Tailleferre ou Cécile Chaminade, Charpentier, Chabrier et Stravinsky avec Fay Templeton ou Léon Xanroff. Le désir et l'amour, comme souvent, sont les fils conducteurs d'un voyage dans le Paris de la Belle Époque, marqué par la richesse de sa vie intellectuelle, artistique et musicale. Du cabaret à la salle de concert, du caf'conc' au salon, toutes les modalités de la pratique de la musique sont ici représentées pour notre plus grand bonheur. Erik Satie, sans doute, se taille la part du lion. De la valse tendre de « Je te veux » à la gouaille débridée de « Allons-y, Chochotte », en passant par le ragtime effréné de « La Diva de l'empire » ou les élans surréalistes de ses Descriptions automatiques ou de ses Mélodies de 1916, il incarne à lui seul tous les paradoxes et contradictions d'une époque à la fois conservatrice et innovante, figée dans certaines traditions tout en lorgnant vers les pistes et les développements à venir.
De la mélodie encore très classique de Pierre-Jean de Béranger ou Gustave Charpentier aux chromatismes de Stravinsky ou Germaine Tailleferre, en passant par la chanson populaire ou le cabaret, ce sont toutes les facettes d'une période de notre histoire absolument fascinante que nous font découvrir Julie Fuchs et ses amis, le pianiste Alphonse Cemin, le violoniste Alexis Cardenas, le contrebassiste Davide Vittone et l'accordéoniste Félicien Brut. Notre soprano est accompagnée par le ténor Levy Segkapane pour l'inénarrable Duo de l'ouvreuse de l'Opéra Comique et de l'employé du Bon Marché, et par la basse Florent Baffi pour « Allons-y, Chochotte ». Le premier fait valoir un appréciable art du yodel tyrolien, le second une pêche d'enfer à laquelle Julie Fuchs/Chochotte a bien du mal à résister.
La soprano française se plie à tous les styles et à tous les genres, sans jamais trahir son instrument de grande école qui se prête aussi bien aux airs langoureux de Poulenc ou Satie qu'aux expérimentations chromatiques de Debussy, Stravinsky ou Tailleferre ou à la simple chanson populaire – « Le Temps des cerises » – dont elle parvient si bien à transcrire la délicate mélancolie. De l'humour, elle en a à revendre, comme le montrent notamment diverses pièces de Satie, mais pas uniquement (Chabrier, Léon Xanrof, Aristide Bruant). La complicité entre la voix et les instrumentistes ressort à chaque pièce, donnant à ce CD un petit air de fête qui devrait à n'en pas douter illuminer les longues soirées d'hiver à venir. En somme, un album au programme a priori un peu déroutant dans sa diversité, mais dont on ne tarde pas à découvrir l'étonnante unité musicale et thématique.






