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Punch and Judy de Harrison Birtwistle, l’intensité carnavalesque

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Genève, Bâtiment des Forces Motrices. 01-IV-2011. Harrison Birtwistle (né en 1934) : Punch and Judy, une comédie tragique ou une tragédie comique ; opéra en un acte sur un livret de Stephan Pruslin. Mise en scène : Daniel Kramer ; chorégraphie : Quinny Sacks ; décors et costumes : Giles Cadle ; lumières : Peter Mumford. Avec : Gillian Keith, Pretty Polly ; Lucy Schaufer, Judy ; Bruno Taddia, Punch ; Stéphen Bronk, Choregos ; Mark Milhofer, the Lawyer ; Jonathan May, the Doctor. Danseurs : Hendrick January, Jodie Blemings, Lee Boggess, Sandro Franchini, David John, Ted Sikström. Ensemble Contrechamps, direction musicale WenPin Chien

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Parmi les ouvrages du répertoire lyrique qui offrent une réflexion sur l'opéra au XXe siècle en essayant de remodeler le genre de l'intérieur, Punch and Judy du compositeur anglais , que le Grand Théâtre de Genève met à l'affiche du 1er au 19 avril, s'impose en tant qu'éclatante réussite.

C'est le coup de maître d'un compositeur de 34 ans qui livre là sa première œuvre lyrique – il en écrira cinq autres par la suite, dont The Minotaur – commande de Britten (pour l'English Opera Group) qui quitta la salle lors de la première ! L'opéra, crée en 1968, est aussitôt censuré par l'autorité britannique pour excès de violence. En projetant sur scène les personnages du théâtre populaire de marionnettes – Punch est le Guignol anglais – le librettiste Stephen Pruslin conçoit un long poème de dimension incantatoire ; les références abondent, de Faust à Don Juan en effleurant même le mythe d'Orphée, dans ce théâtre du refoulement, sorte de spirale de la mort qui aspire Punch, «suspendu entre ciel et enfer», vers l'assouvissement de son désir ; c'est en effet pour atteindre la Jolie Polly qu'il tue cyniquement son Baby, sa femme Judy, l'Avocat et le Docteur et même Choregos – référence au chorège conduisant les chœurs dans la Tragédie antique – qui tire les ficelles de l'histoire. Mais pas de morale ici-bas! «Au pays de l'innocence éternelle», Punch, qui occit enfin son bourreau, finira par couler des jours heureux auprès de sa belle aimée : «L'histoire est contée, le dommage est fait».

Pour monter cet opéra de chambre pour six chanteurs et quinze instrumentistes – la production est celle de l'English National Opera, montée en 2008 pour les 40 ans de l'ouvrage – le Grand Théâtre de Genève a choisi l'écrin idéal du Bâtiment des Forces Motrices aménagé à cet effet en piste de cirque qu'entoure le public. Telle est la conception inspirée du jeune metteur en scène américain Daniel Kramer tirant parti de manière virtuose de cet espace pratiquement nu. Avec les costumes et les masques de la Commedia dell'arte, certaines scènes comme celle du cauchemar, relevées de chorégraphie et de lumière psychédélique, atteignent un degré de fantasmagorie hallucinée.

Côté orchestre, pas de fosse non plus ; les cuivres et percussions de l' sous la direction exemplaire du chef taïwanais résonnent en hauteur, côté cour ; tandis que les bois, tous costumés et dans le prolongement de la scène figurent «le chœur antique» de la Tragédie grecque dont les «commentaires» rythment l'action. Au verbe sonore de Pruslin jouant avec les allitérations, Birtwistle taille une musique sur mesure, colorée, toute en saillies, brisures et chocs éruptifs ; réactive autant que raffinée, sur fond de rituel stravinskien, elle innerve constamment le propos, induit le geste ou le prolonge et rythme le temps de la narration, avec ses ritournelles, ses airs déjantés, ses chorals, ses chœurs de foule et son lamento … comme une Passion, précise Birtwistle.

Truculente et sonore dans ses excès carnavalesques, la troupe de ce petit théâtre fascine les yeux et les oreilles sur un rythme effréné ; est une Pretty Polly émoustillante et lubrique à souhait à côté de la pathétique Judy – Lucy Schaufer – tandis que Choregos – impérieux Stephen Bronk – vient périodiquement calmer le jeu de sa voix chaleureuse et profonde. Trucidés eux-aussi dans les règles de l'art, le Docteur et l'Homme de loi – vaillants et Jonathan May – ne déméritent pas sous les coups de leur bourreau. Mais la palme revient au baryton haut dont c'est une prise de rôle ; du cruel Polichinelle au jeune enamouré démasqué, il réalise une performance d'acteur/chanteur éblouissante, puisant à une énergie sans faille des ressources vocales et dramatiques confondantes.

S'il faut saluer l'initiative du Grand Théâtre de Genève, on peut espérer, aux vues de ses qualités, qu'une telle production si rarement donnée arrive désormais sur la scène française : une scène qui réponde aux exigences intimistes et populaires de l'opéra de chambre, comme celle des Bouffes du Nord par exemple, où résonnerait si bien «ce cri primal de jubilation ténébreuse».

Crédit photographique : (Pretty Polly) © Catherine Ashmore

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