Après le Metropolitan Opera de New-York et le Festival d'Aix-en-Provence, Le Nez, premier opéra de Dimitri Chostakovitch, fait halte à l'Opéra de Lyon. Plus qu'une halte, c'est un véritable triomphe qui a couronné la représentation lyonnaise.
Déjà ovationnée à Aix-en-Provence, la reprise lyonnaise confirme l'intéressante approche de William Kentridge sur cet opéra de l'absurdité. En effet, quoi de plus absurde que de perdre son nez, de le chercher dans les dédales de l'administration, dans les affres de l'incompétence des services publics, alors que cette caricature ne devrait symboliser que le fait d'avoir le nez au milieu de la figure.
Dans sa mise en scène, William Kentridge favorise un dispositif scénique mouvant lui permettant de traiter les dix scènes qui composent cet opéra pratiquement sans interruptions aucunes entre elles. Le rideau de scène, fait de coupures de journaux disparates collés sert lui-même de décor. A mi-hauteur, un pan du rideau pivote soudain laissant apparaître l'échoppe du barbier Yvan Yakovlevitch (magnifique basse de Vladimir Ognovenko) qui se fait insulter parce que ses mains puent selon Kovaliov, son client (excellent baryton Vladimir Samsonov). D'emblée, l'humour de la scène conquiert la salle. Un humour qu'on retrouve quelques instants plus tard, quand la femme de Yakovlevitch (pétulante et désopilante soprano Claudia Waite) fustige son mari en l'accusant d'avoir coupé le nez de Kovaliov, un nez que le barbier a trouvé dans la miche de pain qu'il s'offrait pour son déjeuner. Le ton est donné.
Finalement, le rideau s'ouvre pour donner espace à l'opéra. Une grande étendue scénique traversée d'une passerelle à mi-hauteur servant aux déambulations du nez, tantôt sorti de l'animation de papiers coupés projetés sur le fond du décor, tantôt sous forme d'un gros nez de papier mâché. Yvan Yakovlevitch tente de se débarrasser de l'encombrant appendice nasal, alors que de son côté Kovaliov va remuer ciel et terre pour le retrouver. Rien pourtant dans l'aspect de ce personnage ne laisse voir qu'il a perdu son nez. Seul lui en est persuadé. Dans sa tentative de se séparer du nez, Yakovlevitch va rencontrer les premiers obstacles administratifs à son entreprise avec la rencontre du sergent de quartier (incroyable ténor altino aux aigus impressionnants et claironnants d'Andrey Popov) qui lui intime l'ordre de ramasser le paquet qu'il tentait de laisser sur le bord de la route.
Près de deux heures de spectacle où l'absurde côtoie le burlesque. Sur scène, on s'agite, on saute, on court, un va-et-vient continuel agrémenté de projection vidéo, de textes en cyrillique surchargés de l'annonce des tableaux à suivre. Un délire d'images stylisées, de dessins s'animant, de croix rouges ou noires s'entassant pour faire apparaître soudain une caricature de Staline ou de Chostakovitch, un partisan brandissant un drapeau rouge se désintégrant alors que l'ombre traverse la scène, jusqu'à un cheval entraînant le décor hors de la scène. On y voit encore des articles de journaux où, brusquement la photographie du compositeur s'anime dans un exercice muet du piano. Spectacle épuisant quoique captivant. On en prend plein la vue. La fatigue visuelle, l'agression des images pousse parfois le spectateur vers l'envie de quitter cette capture de son regard. Mais bien vite, il est repris par la fascination des effets visuels. Des effets qui dans leur répétition intiment à moments une lassitude. Comme si l'œuvre avait des longueurs.
Pourtant, rien de tel avec la musique et le chant. Au contraire, l'acidité grinçante de cette musique, la diversité des timbres, les couleurs orchestrales magnifiées par la direction d'orchestre de Kasushi Ono opère la fascination d'une œuvre originale quand bien même inspirée de ce que Alban Berg avait proposé avec Woyzeck.
Conscient de la difficulté de mettre en place une œuvre aussi complexe (70 acteurs et chanteurs se partagent la scène), il nous semble que les mises en scène du duo Moshe Leiser et Patrice Caurier à l'Opéra de Lausanne en novembre 2001, comme celle du Russe Boris Prokovsky à Turin en octobre 2006 restaient plus descriptives de l'action du livret que celle de William Kentridge, plus psychédélique.
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