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Toulouse : les Passions, de la scène à la chapelle

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Toulouse. Théâtre du Capitole. 20-II-2013. Jean-Philippe Rameau (1683-1724) : Quam Dilecta (psaume 83) ; In convertendo (psaume125) ; Jean-Joseph Cassanéa de Mondonville (1711-1772) : De Profundis (psaume 129). Stéphanie Révidat, Sarah Szkakmann, dessus ; Vincent Lièvre-Picard, haute-contre ; Alain Chilemme, taille ; Alain Buet, basse. Les Passions, Orchestre Baroque de Montauban ; Chœur du Capitole (dir. Alfonso Caïani). Direction : Jean-Marc Andrieu.

 
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L'exercice s'avère périlleux mais passionnant, tant pour les chanteurs que pour le public. Depuis quelques années, le chœur du Capitole, rompu au répertoire lyrique du XVIIIe siècle finissant à nos jours, élargit une fois l'an son univers musical vers de plus hautes époques en collaborant avec les excellents ensembles de musique ancienne du cru. Et Dieu sait que Toulouse et la région Midi-Pyrénées excellent en ce domaine ! Après de mémorables Vêpres de la Vierge de Monteverdi avec les Sacqueboutiers de Toulouse en 2011, puis un office imaginaire de couronnement d'un doge à Venise autour de Gabrieli avec les mêmes souffleurs en 2012, il s'agissait cette fois-ci des grands motets versaillais avec l'orchestre de .

Rien de plus naturel pour la formation montalbanaise, familière de Rameau et plus encore du méridional Mondonville. On se souvient que dans ses jeunes années, l'ensemble avait monté son unique ouvrage lyrique en occitan Daphnis et Alcimadure, créé à Fontainebleau en 1754. La partie est bien différente pour le chœur du Capitole, plus habitué à Rossini, Verdi ou Wagner, donc a priori bien éloigné de la prosodie baroque. Cela a demandé un important travail de prosodie justement, de dynamique et de diction, d'autant plus que est très attaché à la restitution de la prononciation du latin à la française, comme cela se pratiquait à Versailles et dans tout le royaume.

Volontaires, les chanteurs issus du chœur lyrique se sont familiarisés avec cet univers classique français sous la houlette de leur chef de chœur, avant d'approfondir le style avec , qui est un pédagogue né et le demeure sur scène.

À la chapelle de Versailles, les grands motets étaient des pièces de faste et d'apparat qui chantaient autant sinon plus la gloire du souverain que celle de Dieu. On sait qu'au cours de son long règne, Louis XIV les préférait aux messes avec symphonie et se contentait d'entendre cette dernière en plain chant avec parfois des versets d'orgue alternés. Et l'usage est demeuré jusqu'à la fin du XVIIIe siècle. C'est ainsi que Rameau et Mondonville se sont naturellement coulés dans cette tradition inaugurée par Delalande, Lully, puis Charpentier.

Dernier maître de la tragédie lyrique, n'a composé que trois motets, mais ce sont des chefs-d'œuvre du genre, d'une complexité harmonique certaine, à commencer par Quam dilecta, d'une grande exigence. Composé vers 1713 sur le texte du psaume 83 dans la traduction de la bible de Louis-Isaac Lemaistre de Sacy (1613-1684), communément appelée « Bible de Port Royal », qui était la plus répandue en France au XVIIIe siècle, il met en scène David poursuivi par son fils Absalon, aspirant à revoir la maison de Dieu. Juste retour des choses que cette musique destinée à l'église soit interprétée dans un théâtre car Rameau y utilise la rhétorique théâtrale au service d'un sens dramaturgique.

Économie oblige, l'orchestre n'est pas aussi opulent que celui dont Rameau pouvait bénéficier, mais l'engagement des musiciens y fait merveille avec un bel équilibre entre instruments et voix. On y goûte une belle combinaison entre flûtes et bassons avec des hautbois charmeurs et des violons aériens, soutenus par un élégant continuo formé d'une basse de violon, d'un théorbe et d'un orgue positif.

Dès le premier récit de dessus Quam dilecta (Mon âme soupire et languit après les parvis du Seigneur), la soprano impose éloquence, conviction et perfection du style lorsque le chœur Cor meum et caro mea (Mon cœur et ma chair poussent des cris vers le Dieu vivant) lui répond en une parfaite déclamation, rendant toute son intensité à la musique de Rameau. Et la sensibilité du haute-contre est d'une juste délicatesse lorsqu'il évoque la maison du passereau et le nid de l'hirondelle dans le récit Et enim passer invenit sibi domum. La basse n'est pas en reste dans ses interventions tandis que la soprano Sarah Szlakmann et le ténor Alain Chilemme sortent du chœur pour rejoindre les solistes dans un trio Altaria tua (tes autels, Seigneur des armées) de toute beauté et un élégant récit avec le chœur Beati qui habitant in domo tua (heureux ceux qui habitent ta maison).

Le De Profundis de Mondonville composé en 1748 sur le psaume 129, dont l'écriture opère une synthèse entre les courants français, italien et allemand, répond aux goûts réunis chers à Couperin. Il connut un immense succès tout au long du XVIIIe siècle par son chœur monumental d'ouverture De Pronfundis (Des profondeurs, Seigneur, je crie vers toi) qui en fait un « tube » de la musique sacrée de l'époque. Si l'orchestration est moins développée que celle de Rameau, on y passe de l'ombre vers la clarté où la déploration atteint la sérénité dans le chœur final Requiem aeternam ouvrant sur la lumière du dernier verset Et lux perpetua lucea ei. Dans cette beauté méridionale pleine de séduction, le chœur y est à son meilleur.

Ce programme habilement construit se concluait en apothéose par le motet In Convertendo sur le psaume 125 de Rameau, un chef-d'œuvre d'équilibre dont la complexité du dernier chœur évoque une construction digne d'un Bach, d'ailleurs contemporain. Captifs à Babylone, les Hébreux aspirent à leur libération. nous transporte dans le premier récit In Convertendo (Quand le Seigneur ramena les captifs de Sion) quand le chœur explose par l'acclamation Tunc repletum est gaudio nostrum (Alors notre bouche était remplie de cris de joie). Les hautbois et bassons colorent de belle manière le duo de dessus et de basse Magnificavit Dominus facere nobiscum (Le Seigneur a fait pour nous de grandes choses), tandis que le poétique duo de flûtes accompagnant le récit de basse Converte, Domine, captivitatem nostram (Seigneur ramène nos captifs), évoque la douceur des ruisseaux. Le beau dialogue du dessus et du chœur Laudate nomen Dei cum cantico (Louez le nom de Dieu par des cantiques) issu du psaume 68, fait penser par sa légèreté à certains moments du charmant Allegro, il penseroso ed il moderato d'un certain Georg Friedrich Hændel.

Outre le beau travail du chœur qui ose se frotter à ce répertoire à l'idiome particulier, l'adéquation de l'ensemble doit beaucoup à la direction attentive, précise et toute de souplesse de Jean-Marc Andrieu. Une soirée mémorable qui démontre que la musique est avant tout rencontre et partage.

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