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À Bruxelles, le Quatuor Ébène boucle son tour du monde beethovénien

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Bruxelles. Bozar, Salle Henry Le Boeuf. 25-I-2020. Ludwig van Beethoven (1770-1827) : quatuors à cordes n° 3 en ré majeur op. 18 n° 3, et n° 15 en la mineur op. 132. Gabriel Fauré (1845-1924) : quatuor à cordes en mi mineur op. 121. Quatuor Ébène

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Avec ce concert bruxellois, le finalise la première phase de son projet  « Beethoven around the world », consacré aux seize quatuors du maître de Bonn. Nos interprètes associent ce soir des œuvres très distantes dans le temps et leur esthétique : le juvénile opus 18 n°3 et le sublime opus 132, avec en guise d'intermède l'unique et ultime opus 121 de .

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Quel étonnant périple ! Quarante concerts, dix-huit pays visités, et de tout continent. Ce sera l'objet d'un documentaire filmé centré tant sur les préparatifs, les aléas, et les prestations au fil des sept différentes tournées que sur la réception très différenciée en chaque contrée du message musical universel beethovénien, au travers de résonances culturelles propres à chaque civilisation. Parallèlement les différents programmes, captés en autant de lieux par Erato/ Warner feront l'objet d'une édition en coffret au printemps prochain.

Puis, dans un second temps, et durant tout le reste de cette année-anniversaire, les Ébène redonneront l'intégrale des seize quatuors cette fois par cycles complets, en plusieurs salles prestigieuses notamment au Carnegie Hall de New-York, ou en la Cité de la Musique de Paris, deux des institutions à l'origine de cette audacieuse et colossale entreprise.

Le quatuor français fête par ailleurs cette saison ses vingt ans d'existence, avec une assez remarquable continuité d'effectif : , , les deux violonistes membres fondateurs et le violoncelliste travaillent de longue date ensemble, et ont été rejoints voici trois ans par la radieuse altiste , magnifique d'aisance et d'assurance et rapidement intégrée à l'ensemble. Au-delà d'une connivence musicale évidente, l'ensemble affiche aujourd'hui une tranquille et irradiante maturité. On ne sait que louer le plus : le sens inné de la sonorité, entre jubilation raffinée et immanence expressive, la précision doublée d'inventivité des coups d'archets, le soin presque maniaque apporté à la fidèle restitution des partitions dans leur moindre nuance dynamique ou de phrasé, la conception originale des œuvres magnifiées par une profonde réflexion sur les moyens expressifs à y déployer.

Mais dans l'acoustique globalisante et dissipative, pas vraiment idéale pour la musique de chambre, de la grande salle Henry Le Bœuf  de Bozar-Bruxelles, il faut un temps d'adaptation tant aux interprètes qu'aux auditeurs pour trouver leurs repères. L'opus 18 n° 3, premier quatuor en date achevé par Beethoven, en fait quelque peu les frais, et la présente interprétation, certes parfaitement assumée, en apparaît presque trop sage. L'Allegro liminaire nous semble un rien trop précipité en ses rebonds rythmiques avec un léger manque d'aération dans l'exposé assez complexe déjà des lignes mélodiques, l'Andante con moto manque un peu d'ironie au fil de ses nombreuses et imprévisibles métamorphoses thématiques, le Scherzo et surtout le Presto final, sorte d'irrésistible tarentelle, restent un peu trop prudents. Il manque à cette interprétation factuellement irréprochable juste un léger grain de folie et d'engagement, marque au-delà d'une évidente filiation classique a priori haydnienne, du tempérament iconoclaste d'un jeune loup en plein essor.

Les Ébène trouvent pleinement leur marque au fil du plus secret et difficile ultime quatuor à cordes opus 121 de . On sait que le maître n'aborda le genre qu'en bout de course, dans la respectable ombre portée du massif beethovénien : mais la filiation avec le maître allemand, assez souterraine, est plus à chercher dans l'intense travail thématique ou motivique de chacun des trois mouvements que dans tout « geste » musical plus péremptoire. Nos interprètes réhabilitent pleinement ce chef d'œuvre assez méconnu, en en magnifiant l'architecture du temps initial ou la ludique invention rythmique du finale. Mais c'est au fil des irisations du camaïeu harmonique de l'Andante central que nos interprètes touchent pudiquement au sublime sans jamais tomber dans le piège du sucré ou de l'affecté.

Après l'entracte, le quatuor parisien revient pour une vision soufflante de beauté et de spiritualité de l'intense quinzième quatuor opus 132, œuvre d'un musicien convalescent, à la fois auto-portrait musical intériorisé (les temps extrêmes), ou goguenard voire trivial (les mouvements pairs) et profonde réflexion de portée quasi mystique sur la destinée humaine par le truchement du monumental Heiliger Dankgesang central (chant de reconnaissance à la Divinité). De nouveau, les Ébène nous donnent une interprétation très architecturée, mais jouent la carte de l'expressivité fusionnelle tant par la variété des couleurs que par la netteté du dessin. De très originales recherches sur la qualité, l'ampleur ou l'absence du vibrato permettent de varier à l'infini les nuances instrumentales, et de-ci et de-là donner l'illusion tantôt d'une cornemuse ou d'une vielle par ces effets de bourdon (dans le trio de l'Allegro ma non tanto), tantôt dans les vagues successives du choral en mode lydien de l'essentiel mouvement central, de sonorités d'orgue ou de consort de violes semblant tutoyer les anges. D'une beauté sonore à couper le souffle, nous rappelant de ce point de vue la version légendaire du Quartetto italiano, les mouvements impairs ne sont jamais sacrifiés sur l'autel du pathétisme ou du démonstratif, le chant de reconnaissance se déploie religieusement sans affect déplacé dans sa structure dialogique et l'effusive coda finale, sans triomphalisme disert, permet aux Ébène particulièrement inspirés de prendre congé d'un public conquis, sur la pointe de l'archet, au terme d'une passionnante odyssée dont aucun auditeur ne peut sortir totalement indemne.

Crédit photographique : Quatuor Ebène © Julien Mignot

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