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Jean Ter-Merguerian, un grand talent méconnu

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Johannes Brahms (1833-1897) : Concerto pour violon op. 77 ; Sonate pour violon et piano n° 1. Ludwig van Beethoven (1770-1827) : Triple concerto pour piano, violon et violoncelle op. 56 ; Sonates pour violon et piano n° 1, n° 7 et n° 9 ; Adagio molto espressivo, 2e mouvement de la Sonate pour violon et piano n° 5 ; Rondo allegro, finale du Concerto pour violon op. 61. Johann Sebastian Bach (1685-1750) : Chaconne, extrait de la Partita pour violon seul n° 2. Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) : Sonates pour violon et piano n° 17 K. 296 et n° 26 K. 378. Camille Saint-Saëns (1835-1921) : Havanaise op. 83. Pablo de Sarasate (1844-1908) : Danse espagnole « Playera » op. 23 n° 1 ; Caprice basque op. 24 ; Danse espagnole « Habanera » op. 21 n° 2 ; Danse espagnole « Romanza andaluza » op. 22 n° 1. Eugène Ysaÿe (1858-1931) : Sonate pour violon seul « Ballade » op. 27 n° 3. Gérard Gasparian (né en 1960) : Sonate pour violon et piano. Aram Khatchatourian (1903-1978) : Concerto pour violon ; Danse en si bémol majeur op. 1 ; Danse d’Aisha, extrait de la Suite de ballet n° 2 de Gayaneh (arrangement pour violon et piano : Mikhail Fichtenholz). Sergueï Prokofiev (1891-1953) : Les Masques, extrait de la Suite op. 75 de Roméo et Juliette (arrangement pour violon et piano : Jascha Heifetz). Komitas (1869-1935) : mélodies arméniennes « Ah, cher Maral » (arrangement pour violon et piano : Aram Shamshyan), « La Pluie qui tombe » (arrangement pour violon et piano : Aram Shamshyan), « La Grue » pour violon seul. Jean Ter-Merguerian, violon ; Monique Oberdoerffer, piano ; Pierre Barbizet, piano ; Gérard Gasparian, piano ; Nelli Daniel-Beck, piano ; Yvan Chiffoleau, violoncelle ; Boston Symphony Orchestra dirigé par Arthur Fiedler (Concerto pour violon de Brahms) ; Orchestre de Cannes-Provence-Côte d’Azur dirigé par Philippe Bender (Triple concerto de Beethoven) ; Orchestre national de la RTF dirigé par Louis Fourestier (finale du Concerto pour violon de Beethoven) ; Orchestre philharmonique arménien dirigé par Michael Maluntsian (Concerto pour violon de Khatchatourian). 5 CD Rhine Classics. Enregistrés entre 1961 et 1999. Textes de présentation en anglais et français. Durée totale : 6:08:33

 
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Rhine Classics publie un coffret de cinq disques dévolu à des enregistrements inconnus du violoniste arménien . Une belle découverte.

est né à Marseille le 5 octobre 1935. À l'âge de onze ans, il reçoit le premier prix de violon au Conservatoire de Marseille dans la classe de Gabriel Rey. Le 18 mai 1947, il fait ses débuts en tant que soliste, interprétant le Concerto en la mineur de Vivaldi et le Concerto en mi mineur de Mendelssohn avec l'orchestre du conservatoire sous la direction d'André Audoli. La même année, sa famille part en République soviétique d'Arménie où il se perfectionne à Erevan auprès de Karp Dombayev, puis au Conservatoire de Moscou dans la classe de David Oïstrakh. Il est lauréat de plusieurs prestigieux concours internationaux de violon dont celui du Festival « Printemps de Prague » (1956), le « Tchaïkovski » à Moscou (1958) et la « Reine Elisabeth » à Bruxelles (1963). Son plus important succès est le premier Grand Prix au Concours Long-Thibaud à Paris (1961). Appelé par Henryk Szeryng « le violoniste le plus doué de sa génération », il joue sur un instrument manufacturé par le luthier Nicolò Amati, et tourne en URSS, en Europe de l'Est et de l'Ouest, au Liban, en Amérique du Sud, aux États-Unis et au Canada. Parallèlement, il donne des classes de maître au Conservatoire national supérieur à Erevan, recevant le titre d'« Artiste du peuple de la RSS d'Arménie ». Il fait partie du jury des concours Paganini à Gênes, Sarasate à Pampelune, Tchaïkovski à Moscou et Khatchatourian à Erevan. En 1981, il revient s'installer dans sa ville natale, Marseille, où il meurt d'un cancer peu avant son quatre-vingtième anniversaire, le 29 septembre 2015.

Trouvant que seule la musique vivante peut vraiment toucher l'auditeur, n'enregistra quasiment pas au studio. La plupart du matériel réuni dans cet album sont des captations réalisées en concert. La plus ancienne, datant du 27 juin 1961 et reportée depuis une bande vidéo, provient du concert des lauréats du Concours Long-Thibaud télédiffusé en direct. Jean Ter-Merguerian, en compagnie de l'Orchestre national de la RTF dirigé par Louis Fourestier, interprète le mouvement final du Concerto pour violon de Beethoven, alliant ardeur et luminosité. Dans la plage suivante, nous entendons Henryk Szeryng louer cette prestation pour sa simplicité, le respect du texte et l'engagement émotionnel.

En 1964, Jean Ter-Merguerian et l'Orchestre philharmonique arménien sous la direction de Michael Maluntsian abordent le Concerto pour violon d' avec fougue et éclat. L'archet du soliste combine autant de perfection technique et d'enthousiasme que de virtuosité et poésie, distillant une sonorité homogène dans tous les registres. Il s'agit de l'une des plus sublimes lectures de cette œuvre.

Au tournant des années 1960-1970, Jean Ter-Merguerian et la pianiste (1924-1996) enregistrent un florilège de compositions de Khatchatourian, Prokofiev, Sarasate et . La Danse d'Aisha de la Suite de ballet n° 2 de « Gayaneh » arrangée pour violon et piano par Mikhail Fichtenholz, séduit par la délicatesse du ton, ensuite la Habanera op. 21 n° 2 de Sarasate s'imprègne de noblesse et de brio, tandis que la Romanza andaluza op. 22 n° 1 est baignée de mélancolie, ferveur et sérénité. Pour les pages de , très contemplatives, on se délecte de la douceur des harmoniques du violon dans la mélodie Ah, cher Maral, qui apparaît tel un poème d'amour, ainsi que de la suggestivité de la pianiste dans La Pluie qui tombe (titre original : Keler tsoler), imitant par son articulation des gouttes d'eau qui s'écrasent contre une fenêtre. Au fond de cet accompagnement, la cantilène dans la partie du violon résonne comme une plainte douloureuse. Serait-ce la prière de Komitas – un prêtre apostolique – portée à Dieu à la suite du génocide des Arméniens par les Turcs ? Concernant La Grue pour violon seul, Ter-Merguerian donne, une fois de plus, l'impression d'une vraie méditation spirituelle, subjuguant par la densité du timbre comme par l'intensité et l'élégance de son vibrato.

En juin 1975, Jean Ter-Merguerian fit ses débuts aux États-Unis, jouant le Concerto pour violon de Brahms, avec le Boston Symphony Orchestra dirigé par Arthur Fiedler. Selon une anecdote, à la fin du concert, Fiedler – d'habitude difficile à satisfaire – a embrassé Ter-Merguerian sur scène avec un élan paternel et lui a souhaité un grand succès. Malgré les toussotements du public et un léger bruit métallique audible de temps en temps, cette prestation convainc par son lyrisme, où la sonorité cristalline du violon nous fait oublier les petites fautes de justesse de Ter-Merguerian, prouvant qu'il cherchait la vérité de l'expression plus qu'il se laissait porter par ce soin scrupuleux de la pureté qui empêche certains musiciens de prendre des risques dans les passages délicats.

Le 20 février 1982, Jean Ter-Merguerian rencontre sur scène du Théâtre municipal de Carcasonne, la pianiste , avec à l'affiche des œuvres de Brahms, Bach, Mozart et Saint-Saëns. Ce concert nous est restitué avec les applaudissements du public et les moments d'accordage du violon. Si on apprécie l'exécution de la Sonate op. 78 de ce premier compositeur pour la souplesse des phrasés et la profondeur du jeu du violoniste, la dureté du toucher et la raideur d'Oberdoerffer ne nous convainquent pas autant. Pour la Chaconne de Bach, Ter-Merguerian développe la narration dans un mouvement relativement lent et d'une manière romantique plutôt qu'historiquement informée, se caractérisant par des fluctuations de tempo dénuées de contrastes nettement marqués. La lecture de la Sonate K. 378 de Mozart est empreinte de fraîcheur et de légèreté. Dans la Havanaise de Saint-Saëns, si l'expression du violoniste rayonne de clarté faisant penser au chant humain, celle de la pianiste finit par déconcentrer en raison de nombreuses fautes. Nous reviendrons plus volontiers aux bis : la Playera op. 23 n° 1 et le Caprice basque op. 24 de Sarasate, où Jean Ter-Merguerian impressionne par la subtilité des demi-teintes (Playera), la vélocité (Caprice basque), ainsi que par des sonorités chatoyantes.

Le 30 juillet 1983, dans la cour du Conservatoire de Marseille, Jean Ter-Merguerian interprète le Triple concerto de Beethoven, entouré de ses amis de scène : au piano et Yvan Chiffoleau au violoncelle. Sur le podium, Philippe Bender dirige l'Orchestre de Cannes-Provence-Côte d'Azur. Cette prestation s'avère d'importance secondaire à cause d'erreurs occasionnelles de la part des solistes, bien que, grâce à leur musicalité, elle garde le charme et l'entrain inhérents à cette partition ; exception faite pour le finale joué d'une façon peu sophistiquée et manquant de souffle.

Le 28 juin 1985, Jean Ter-Merguerian et se rencontrent encore une fois pour donner un concert en l'église du Sacré Cœur à Marseille, avec – cette fois-ci – trois sonates de Beethoven au programme : n° 1, n° 7 et n° 9. En bis : le 2e mouvement de la Sonate pour violon et piano n° 5 de celui-ci. La grandeur côtoie ici la finesse, le naturel avoisine le panache. On est saisi par la chaleur dégagée par le violon, par la netteté de l'attaque des touches du piano comme par l'éloquence du dialogue entre les chambristes. Cependant, cela ne compense pas les problèmes d'intonation de Ter-Merguerian, ni d'ailleurs les fautes de frappe de Barbizet.

Vers la fin des années 1990, Jean Ter-Merguerian signe trois enregistrements (les plus tardifs restitués dans ce coffret), abordant la Ballade op. 27 n° 3 d'Ysaÿe, la Sonate K. 296 de Mozart et la Sonate pour violon et piano (de 1990, en quatre mouvements) de . Concernant la lecture de la première page, on y perçoit la fatigue du violoniste, notamment au travers des ralentissements de tempo dans les passages les plus exigeants. Pour les deux compositions suivantes, Ter-Merguerian et Gasparian au piano déploient un large éventail de couleurs, associant vivacité et gracilité du discours (sonate de Mozart), mais aussi mettant l'accent sur la variété des climats (sonate de Gasparian). Ceux-ci oscillent entre l'excitation (Andantino), la frivolité (Valse), la noirceur (Lento) et le fantasque (Scherzo et Finale). En revanche, dans la Sonate K. 296 de Mozart la tendresse et le raffinement agogique ne sont pas au rendez-vous. On notera que l'interprétation de cette dernière œuvre fut captée par un mélomane lors du concert qui eut lieu au Victoria Hall de Genève le 19 novembre 1998, alors que celle de la partition de Gasparian – dont Ter-Merguerian est le dédicataire – doit son existence à une gravure de studio réalisée à Paris en 1999, publiée originellement par le label Timpani en 2002.

Voici un album englobant plus de six heures de prestations intéressantes voire envoûtantes, offrant un bel aperçu de la carrière d'un artiste qui échappait aux clichés et qui ne recherchait pas la notoriété. Avec un excellent travail de restauration dû à Emilio Pessina, cette parution s'impose comme un must have pour les amoureux du violon.

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Johannes Brahms (1833-1897) : Concerto pour violon op. 77 ; Sonate pour violon et piano n° 1. Ludwig van Beethoven (1770-1827) : Triple concerto pour piano, violon et violoncelle op. 56 ; Sonates pour violon et piano n° 1, n° 7 et n° 9 ; Adagio molto espressivo, 2e mouvement de la Sonate pour violon et piano n° 5 ; Rondo allegro, finale du Concerto pour violon op. 61. Johann Sebastian Bach (1685-1750) : Chaconne, extrait de la Partita pour violon seul n° 2. Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) : Sonates pour violon et piano n° 17 K. 296 et n° 26 K. 378. Camille Saint-Saëns (1835-1921) : Havanaise op. 83. Pablo de Sarasate (1844-1908) : Danse espagnole « Playera » op. 23 n° 1 ; Caprice basque op. 24 ; Danse espagnole « Habanera » op. 21 n° 2 ; Danse espagnole « Romanza andaluza » op. 22 n° 1. Eugène Ysaÿe (1858-1931) : Sonate pour violon seul « Ballade » op. 27 n° 3. Gérard Gasparian (né en 1960) : Sonate pour violon et piano. Aram Khatchatourian (1903-1978) : Concerto pour violon ; Danse en si bémol majeur op. 1 ; Danse d’Aisha, extrait de la Suite de ballet n° 2 de Gayaneh (arrangement pour violon et piano : Mikhail Fichtenholz). Sergueï Prokofiev (1891-1953) : Les Masques, extrait de la Suite op. 75 de Roméo et Juliette (arrangement pour violon et piano : Jascha Heifetz). Komitas (1869-1935) : mélodies arméniennes « Ah, cher Maral » (arrangement pour violon et piano : Aram Shamshyan), « La Pluie qui tombe » (arrangement pour violon et piano : Aram Shamshyan), « La Grue » pour violon seul. Jean Ter-Merguerian, violon ; Monique Oberdoerffer, piano ; Pierre Barbizet, piano ; Gérard Gasparian, piano ; Nelli Daniel-Beck, piano ; Yvan Chiffoleau, violoncelle ; Boston Symphony Orchestra dirigé par Arthur Fiedler (Concerto pour violon de Brahms) ; Orchestre de Cannes-Provence-Côte d’Azur dirigé par Philippe Bender (Triple concerto de Beethoven) ; Orchestre national de la RTF dirigé par Louis Fourestier (finale du Concerto pour violon de Beethoven) ; Orchestre philharmonique arménien dirigé par Michael Maluntsian (Concerto pour violon de Khatchatourian). 5 CD Rhine Classics. Enregistrés entre 1961 et 1999. Textes de présentation en anglais et français. Durée totale : 6:08:33

 
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