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Médée de Charpentier à l’Opéra de Paris : démoniaque

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Paris. Palais Garnier. 18-I4-2024. Marc-Antoine Charpentier (1643-1704) : Médée, tragédie lyrique en un prologue et cinq actes. Mise en scène : David McVicar. Décors et costumes : Bunny Christie. Chorégraphie : Lynne Page. Avec : Lea Desandre, Médée ; Reinoud van Mechelen, Jason ; Laurent Naouri, Créon ; Ana Vieira Leite, Créuse ; Gordon Bintner, Oronte ; Emmanuelle De Negri, Nérine. Les Arts Florissants, direction : William Christie

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L'amour de pour la tragédie lyrique Médée de est proverbial, l'ayant notamment gravée à deux reprises dans des enregistrements qui ont fait date, en 1985 et 1995. Il est le directeur musical de cette nouvelle production à l'Opéra de Paris, sur la scène du Palais Garnier.

C'est, il faut le dire tout de suite, l'élément sur lequel repose le succès de cette soirée, dirigeant d'une tension dramatique absolument admirable tout au long des trois heures de l'œuvre, ménageant avec intelligence les effets d'urgence, mène le spectateur dans un voyage psychologique où tout le déroulé du synopsis apparaît de façon clairvoyante et évidente.

Musicalement, les points positifs sont constitués par les deux chanteurs du couple principal. , malgré un volume peut être un peu faible pour emplir de façon généreuse la profondeur du Palais Garnier, est une tragédienne convaincue et pleinement engagée dans le rôle de Médée dont elle brosse un visage humain plutôt que celui de la magicienne assoiffée de sang. La scène des Enfers la dépasse un peu dans l'incarnation et l'autorité, la rendant bestiale là où parfois un peu de retenue aurait permis un plus grand effroi. Mais l'amoureuse qu'elle sait être, la femme blessée, l'épouse délaissée sont autant de facettes qu'elle vit intensément et parvient à transmettre de façon touchante au spectateur. Son partenaire, , remporte également tous les suffrages dans un bien lâche Jason qui ne sait pas prendre de décision sur son sort et laisse les autres trancher pour lui. La diction est exemplaire et la projection de la voix est correcte. L'évolution du personnage est bien construite, rendant l'inconsistance de ce anti-héros au centre de l'action dont il ne maitrise pas le déroulé. La voix d' en Créuse est fruitée, pleine d'attendrissement et dont la naïveté n'est que le ramage d'un esprit avide et malin. Sa dernière scène est poignante, appelant une sincérité bienvenue à l'heure de sa mort. C'est un vrai luxe que d'avoir une en Nérine, rôle dont l'intervention est assez faible, mais qu'elle défend ardemment. Le roi Créon est chanté par . On connaît le chanteur, à la voix grasse et bien assise. Toutefois, il dépeint, comme il le fait régulièrement sur des rôles plutôt issus du répertoire comique, un roi goguenard, familier et assez peu noble. A son habitude, il joint ses jambes et sautille tout en chantant pour caractériser l'aspect moqueur et duplice du roi vis-à-vis de Médée qu'il s'agit de tromper habilement. Le recours systématique à cette façon de procéder le fait rapprocher automatiquement d'autres rôles moins altiers, et Créon perd ainsi sa consistance royale alors qu'elle est tout l'enjeu de la croyance qu'a Médée dans la parole du roi. Faire sauter sa fille sur ses genoux ou bien finir sa scène de folie pantalon aux genoux sont des pis-aller imposés par une mise en scène réductrice.

En effet, la mise en scène de (datant de 2013 à l'ENO) se contente de tableaux bien menés, correspondant à chacun des actes. Sans que cela soit très explicité, l'action se situe dans des bureaux de l'armée britannique lors de la Seconde Guerre mondiale. Lupanar avec lumières rouges au second acte quand l'Amour intervient et Enfers qui proviennent des profondeurs de la terre au troisième acte s'insèrent dans un grandiose intérieur bourgeois. Mais les costumes manquent d'envergure (on se croirait dans un mauvais remake de Captain America au troisième acte ou bien dans un film d'horreur de seconde zone) et la chorégraphie est d'une pauvreté assez affligeante. Ne cherchant qu'à marquer les pas dans une mauvaise comédie musicale, les danseurs ne peuvent danser que pour eux, sans esprit de groupe et surtout sans s'insérer dans l'action de divertissement qu'ils sont censés illustrer.

Il fallait faire entrer Médée dans le répertoire courant de l'Opéra de Paris. C'est chose faite et, musicalement parlant, absolument probant. Mais une mise en scène ou plus conventionnelle ou plus explosive aurait été plus intéressante que la tiédeur proposée par pour la tragédie lyrique aussi singulière et exceptionnelle qu'est le chef-d'œuvre unique de Charpentier.

Crédit photographique : , © Elisa Haberer / Opéra National de Paris

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Paris. Palais Garnier. 18-I4-2024. Marc-Antoine Charpentier (1643-1704) : Médée, tragédie lyrique en un prologue et cinq actes. Mise en scène : David McVicar. Décors et costumes : Bunny Christie. Chorégraphie : Lynne Page. Avec : Lea Desandre, Médée ; Reinoud van Mechelen, Jason ; Laurent Naouri, Créon ; Ana Vieira Leite, Créuse ; Gordon Bintner, Oronte ; Emmanuelle De Negri, Nérine. Les Arts Florissants, direction : William Christie

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