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Un Chostakovitch intense sous les doigts du Quatuor Danel

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Anvers. Blauwe zaal. 11-II-2021. Dimitri Chostakovitch (1906-1975) : Quatuors à cordes n° 11 (1966), n° 9 (1964) et n° 5 (1951). Quatuor Danel : Marc Danel, premier violon ; Gilles Millet, second violon ; Vlad Bogdanas, alto ; Yovan Markovitch violoncelle Concert sans public diffusé sur le site Singel OnLive

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Le joue les Quatuors nos 11, 9 et 5 de , à Anvers, dans un auditorium privé de public, inscrivant ainsi leur performance dans un parallèle frappant entre une période troublée par la pandémie de Covid et des œuvres qui imposent le tragique comme vision du monde. Justement, à situation exceptionnelle, interprétation exceptionnelle !

Une scène plongée dans des ténèbres que viennent crever, en arrière-plan, de fins lampadaires verticaux, comme des bornes irisées régulièrement espacées et jetant une lumière cuivrée sur le parquet. Arrivent en file indienne les quatre musiciens, impeccablement mis dans leur costume bleu nuit et… masqués. Ils saluent, s'assoient, retirent le petit rectangle bleu clair, avant que Marc Danel, premier violon, n'entame l'Introduction, premier des sept mouvements que compte le Quatuor n° 11 (1966). Comment ne pas être immédiatement saisi par ce thème solitaire, sorti du silence, interrogateur, et dont la vaste oscillation s'élève progressivement dans la souplesse du jeu legato ? Dédié à Vassili Chirinski, ami et second violon du Quatuor Beethoven décédé quelques mois avant son écriture, l'opus 122, en fa mineur, est peut-être le plus beau des trois joués ici, sans doute en raison de la liberté formelle que s'y autorise un compositeur mettant la mort au centre de son propos. Le chant initial – la voix du camarade et interprète ou bien celle de Chostakovitch lui-même ? – est vite rattrapé, timidement par les voix intermédiaires, puis lourdement par les notes graves du violoncelle, râpées au talon selon un rythme de dactyle : deux croches, une noire, deux croches, trois noires, deux croches, une noire, etc. Quelque chose de cruel est venu tirer l'élan rêveur vers le bas. Ce dualisme entre un thème mélancolique donné aux violons et la violence de ce qui s'avère être, dans l'Élégie, une marche funèbre implacable sous les archets de l'alto et du violoncelle, domine l'ensemble de l'œuvre. Les Danel instaurent ce climat de tristesse avec un peu plus d'agressivité peut-être que les Borodine, plus ronds, plus estompés et plus légers dans leur enregistrement de 1981.

Dédié à Irina, nouvelle épousée, le Quatuor n° 9 (1964) est étrangement le moins passionné des trois opus. Dans le premier mouvement, Moderato con moto, un premier thème teinté d'une inquiétude intériorisée débouche sur un second, sautillant et allègre, amené par le violoncelle et soutenu au début par les pizzicati du premier violon. D'une manière générale chez les Danel, et à l'opposé de la sonorité d'ensemble plus fondue des Borodine, le premier violon et le violoncelle se partagent la vedette, se détachant très nettement sur l'arrière-fond du second violon et de l'alto. Cela n'est pas une gêne et ne semble pas imputable à la prise de son (solistes, le second violon et l'alto s'entendent parfaitement), mais au contraire donne peut-être plus de relief à cette musique balançant entre lyrisme anxieux, élans brisés, grincement et pessimisme ontologique. Ce choix d'interprétation valoriserait plutôt une écriture souvent polarisée sur un, deux ou trois instruments, faisant ainsi planer une sorte de menace de dissolution de la formation quatuor. Marc Danel, un spectacle à lui seul, est admirable d'expressivité. Coincé entre deux mouvements Adagio, le premier totalement désespéré, le second plus effroyable encore, l'Allegreto, troisième mouvement placé sous le signe de la danse et de la réjouissance populaire, fait figure de respiration souriante. Une brève éclaircie. Très long, le finale, Allegro, revisite tous les thèmes précédents et se conclut dans une débauche d'énergie. Totalement réceptifs aux sautes d'humeur d'une telle musique, les Danel sont souverains.

Particulièrement touchant est également le Quatuor n° 5 (1951). Il faut d'ailleurs insister sur le fait que, par-delà une certaine uniformité d'ensemble, chaque quatuor a une personnalité propre. De facture plus classique que les 9 et 11 et hanté par quelques réminiscences, celui-ci se caractérise par un plan proportionné en trois mouvements de durée à peu près égale. On commence par se laisser porter, confiant, par le primesautier premier motif de l'exposition, lequel est vite heurté par les raclements saccadés du violoncelle annonçant un autre thème, dissonant, lequel débouchera sur un troisième, lyrique et ondulant, de valse, qui va passer très naturellement d'un instrument à l'autre, chacun devenant tour à tour chanteur soliste. La parfaite homogénéité des quatre musiciens est évidente… et si agréable ! Dans l'Andante extatique et de caractère assez heureux finalement, les instruments sont joués avec sourdine. Sur un fond statique s'éploient de mélancoliques lignes mélodiques : se lance tout d'abord le premier violon soutenu par le violoncelle, puis c'est au tour de ce dernier. Joués sur toute leur longueur, les archets produisent ensemble une sonorité très équilibrée. Deux thèmes se partagent le troisième mouvement, Moderato, assez euphorique – si l'on excepte les grondements de la partie centrale. Les Danel passent d'une atmosphère à l'autre avec toujours la même aisance.

a peut-être trouvé chez le le meilleur interprète de sa musique, aussi exigeante qu'incarnée.

Crédit photographique : © Marco Borggreve

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