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Hanna Herfurtner dans une confrontation Lucier-Bach : à l’épreuve du confinement

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Alvin Lucier (né en 1931) : « I am sitting in a room » pour voix, deux enregistreurs magnétiques et système de diffusion. Johann Sebastian Bach (1685-1750) : airs pour soprano, violon ou violoncelle ou hautbois et continuo, extraits des cantates BWV 61, BWV 1, BWV 58, BWV 199, BWV 57, BWV 36, BWV 248/4, BWV 68. Hanna Herfurtner, voix et soprano ; Clara Blessing, hautbois baroque et hautbois de chasse ; Joosten Ellée, violon baroque ; Elina Albach, clavecin et orgue ; Linda Mantcheva, violoncelle. 1 CD bastille musique. Enregistré en la Kammermusiksaal de la Deutschlandfunk de Cologne en octobre 2020. Textes de présentation, interviews, et textes des œuvres en allemand et anglais. Durée : 73:18

 
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La soprano allemande projette, avec le concours de quatre superbes instrumentistes baroques, son vécu récent au fil du récent double confinement, par ce curieux mais passionnant projet. La composition pour voix et deux « tapes » « I am sitting in a room » d' y est confrontée, par-delà les siècles à une sélection de huit airs pour soprano solo et divers instruments solistes de : une juxtaposition esthétique et historique des plus interpellantes.

À l'instar de certains littérateurs par le biais de journaux intimes ou d'intrigues romanesques décalques des circonstances mêmes de l'écriture, plusieurs artistes se sont nourris de ce contexte pour la maturation de nouveaux projets totalement repensés à cette triste occasion. Dans une longue interview post-face au texte de présentation, hélas uniquement disponible en allemand et anglais, l'excellente soprano munichoise et ses comparses narrent la genèse du présent projet, pensé et mené au fil des sept premiers mois de pandémie alors que les annulations de concerts se multipliaient.

L'idée est d'avoir cherché et trouvé dans le corpus des cantates d'église de , des airs à distribution instrumentale réduite, souvent écrits en « trio », distanciation sociale en studio oblige! Les textes piétistes de ces airs pouvaient servir de chambre d'échos au vécu et à l'état psychologique des artistes. L'attente fiévreuse (BWV1) l'espérance (même dans la mort) (BWV 57), une certaine idée du bonheur (BWV 61,68) par de la quête spirituelle (BWV 36) le disputent à l‘épreuve de l'angoisse au péril de la foi (BWV 248/4), à la souffrance mutée en joie (BWV 58), ou aux larmes bien plus amères de la crainte (BWV 199).

Il fallait trouver une œuvre qui permettrait à la fois de relier ces métaphores musicales entre elles et de relater, par métonymie, le vécu « physique » de l'éprouvante réclusion. et le producteur Johannes Kammann ont envisagé dès lors une nouvelle réalisation du radical « I am sitting in a room » (1969) d'. Cette œuvre expérimentale pour voix, deux magnétophones et système de diffusion décrit par son texte l'exact processus qui la dirige ; la soliste, au repos, confinée dans une simple chambre, déclame face au micro ce libretto. Cet enregistrement est à son tour diffusé et capté par l'autre magnétophone qui a son tour le réédite en l'état, alors que l'autre « tape » capte cette nouvelle émission : ce processus de duplication se répète « again and again », comme le dit le texte, trente-deux fois, avec un enfouissement rapide de la voix et du texte altéré puis inaudible, contrebalancé par la genèse d'autres phénomènes sonores liés à la résonnance harmonique naturelle du local et aux artefacts de captations. À vrai dire, il s'agit plus d'une expérience psychoacoustique, réclamant une subtile acuité de la part de l'auditeur dans son évaluation du rapport signal/bruit, que d'une réelle composition musicale au sens traditionnel du terme, mêlant notes ou sons ! Présentement, ces trente-deux sections sont au montage redécoupées en huit petits « paquets » ou groupes (de deux à six répétitions « modifiées »), et alternées avec les huit airs de cantates retenus pour la réalisation conceptuelle du présent disque.

Le rapport de Lucier à Bach peut sembler fumeux ou lointain. Mais rappelons que le Cantor a usé de ce type de processus d'altération symbolique d'un texte au fil, par exemple, des duplications des douze (!) strophes du texte de son lied spirituel « Alles mit Gott » BWV 1127, composé en hommage à Wilhelm Ernst de Saxe, récemment retrouvé et enregistré ad integrum en l'état par Masaaki Suzuki, avec le concours de Carolyn Sampson (volume 30 de l'intégrale parue chez Bis). Nos interprètes n'ont pas poussé le minimalisme aussi loin, mais préfèrent plutôt mettre en parallèle le délitement du texte au fil de « l'œuvre » (utilisons tous les guillemets possibles) de Lucier et les ambiances contrastées des huit airs alternés, intacts, mais disposés en « écho» à cette expérience. Car ce sont ici des processus dialogiques similaires qui entrent en jeu : imitations entre instruments et voix (Bwv 61), entrelacement des lignes (BWV 199, 58 ), altération des timbres (le oboe da caccia retenu dans la BWV 1, et surtout le violon avec sourdine obligée de la BWV 36) ou carrément écho subtil entre voix et hautbois au fil du célèbre air extrait de la quatrième cantate de l'oratorio de Noël.

Ces huit airs sont admirablement servis par la voix charnue, homogène, timbriquement idéale d'Hanna Herfurtner, déjà remarquée pour ses diverses collaborations avec Ruben Dubrovsky (le Messie de Haendel, un album Vivaldi tous deux chez Gramola) ou plusieurs disques de cantates baroques allemandes (Homilius, Telemann parus chez Cpo). Son approche fruitée se veut avant tout expressive. On ne sait qu'admirer le plus entre cette agilité virtuose déployée au fil de vocalises kilométriques et cette fervente et humble mise en valeur rhétorique du texte. Elle est admirablement secondée par quatre magnifiques instrumentistes, captés avec beaucoup de réalisme par une prise de son exceptionnelle de présence et de naturel. La hautboïste ou le violoniste assument parfaitement et avec panache leurs parties diaboliquement virtuoses, la claviériste offre tant au clavecin (sa cadence augurale de l'air Bwv 61 !) qu'à l'orgue une réalisation du continuo pleine d'à-propos, magnifiquement secondée par la violoncelliste Linda Mantcheva, irréprochable d'articulation dans sa seule intervention vraiment soliste, au fil de l'air de la cantate BWV 61.

Le catalogue Bastille musique (connu pour ses boîtiers minimalistes) s'est déjà signalé par un nombre de publications très soignées souvent dédiées à la musique des dernières décennies (Luciano Berio, Pierre Boulez, Bernd Aloïs Zimmermann, Christophe Bertrand, Claude Vivier, Wolfgang Rihm…). Cette réalisation ne fait pas exception. Certes, I am sitting in a room de Lucier pourra, à bien des oreilles sembler long et anecdotique et sa réalisation, selon une technologie aujourd'hui dépassée à un demi-siècle de distance, assez circonstancielle, même si à notre avis cette troublante réalisation ainsi proposée mérite d'être vécue dans sa juxtaposition. Pour le simple et frileux amateur de musique ancienne, il suffira de programmer le lecteur-CD en conséquence : trois quart d'heure dévolus à J.S. Bach, dans des interprétations en tout point remarquables, l'attendront.

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