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Rusalka puissante et poétique à l’Opéra de Stuttgart

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Stuttgart. Opernhaus. 9-VI-2022. Antonín Dvořák (1841-1904) : Rusalka, opéra en trois actes sur un livret de Jaroslav Kvapil. Mise en scène : Bastian Kraft ; décors : Peter Baur ; costumes : Jelena Miletić. Avec David Junghoon Kim (Prince) ; Allison Cook (Princesse étrangère) ; Esther Dierkes, Reflektra (Rusalka) ; Goran Jurić, Alexander Cameltoe (Ondin) ; Katia Ledoux, Judy LaDivina (Ježibaba) ; Torsten Hofmann (Garde-chasse) ; Alexandra Urquiola (Garçon de cuisine) ; Natasha Te Rupe Wilson, Vava Vilde (1er esprit des bois) ; Catriona Smith, Lola Rose (2e esprit des bois) ; Leia Lensing, Purrja (3e esprit des bois) ; Ángel Macías (Chasseur) ; Choeur de l’Opéra de Stuttgart ; Staatsorchester Stuttgart ; Oksana Lyniv, direction.

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La mise en scène audacieuse de reçoit un triomphe mérité, mais la direction d' n'aide pas les chanteurs.

Le public d'opéra fuirait-il les mises en scène trop modernes, comme on le lit parfois ? C'est une explication facile (peut-être vaudrait-il mieux regarder l'évolution des tarifs sur ces vingt dernières années…) ; à voir cette Rusalka de l'Opéra de Stuttgart, elle apparaît même complètement fausse. Pour cette deuxième représentation de la mise en scène de , la salle n'était pas très pleine il y a quelques jours ; les échos de la première le 4 juin a entraîné une véritable ruée vers les places, et le public debout à la fin de la soirée montre qu'il ne le regrette pas.

Les drag queens sont-elles l'avenir de l'opéra ? On se souvient de l'éblouissant Tannhäuser mis en scène par Tobias Kratzer avec Le Gateau Chocolat à Bayreuth ; ici, c'est pas moins de six personnages qui sont doublés par une drag queen : les trois nymphes des bois, Rusalka, Ježibaba et l'Ondin. Pas le Prince, pas la Princesse étrangère. Une séquence filmée pendant le prélude donne la clef du spectacle : un petit garçon joue avec une poupée aux cheveux arc-en-ciel, son père vient la lui enlever sans ménagement. Malheur à qui ne se contente pas d'une identité simple et conforme. Le Prince, la Princesse étrangère n'ont pas ces problèmes : eux sont tout d'un bloc ; la confrontation avec le monde d'entre deux amène l'un (le prince) au bord de la folie, et devient pour l'autre (la princesse) un ennemi à combattre sans pitié.

Les premières scènes coupent le monde des drag queens, jouant sur la scène une sorte de parodie ultra-kitsch des mises en scène traditionnelles de Rusalka, et les chanteurs sur un praticable en haut de la scène. Un monde en quelque sorte en ordre, les sentiments ambigus restent à leur place, tout au fond ; dès que Rusalka fait part de son déchirement intérieur, les chanteurs descendent eux aussi, et ce sont leurs interactions qui portent l'émotion. Quand Rusalka, pendant une bonne partie du deuxième acte, est privée de la parole, son double Reflektra est seule en scène, et exprime sa douleur par un solo dansé bouleversant, façon Mats Ek. Joel Small alias Reflektra est danseur classique de formation ; quand la catastrophe se produit, il enlève tous ses atours et révèle son corps masculin : la possibilité d'une gémellité, l'acceptation de l'altérité et de la différence sont refusés à Rusalka. L'idée d'utiliser des doubles n'est certes pas originale – chanteur/acteur et marionnette ou danseur -, mais on l'a rarement vu utilisée avec une telle puissance poétique, de façon constamment pertinente et créative.

Hélas, l'émotion que donne la mise en scène est constamment contrecarrée par les limites de la réalisation musicale. Aucun des chanteurs ne convainc réellement ; le Prince de est largement dépassé par son rôle (et joue mal) ; résiste mieux, mais la voix manque d'ampleur et les grands élans semblent souvent brisés. Les trois nymphes, l'Ondin de , la Princesse étrangère () ou Ježibaba chantent honorablement leur rôle, mais on aimerait pour chacun plus d'investissement sur le texte, plus de générosité vocale.

Mais alors, quand tous les chanteurs restent ainsi en retrait des attentes, est-ce vraiment à eux qu'il faut s'en prendre ? La réponse est, comme toujours en pareil cas, dans la fosse : , ancienne assistante de Kirill Petrenko à Munich et désormais directrice musicale de l'opéra de Bologne, ne semble tout simplement pas maîtriser l'orchestre. Les équilibres sonores paraissent souvent hasardeux, les tempi arbitraires, avec des cuivres volontiers dominants ; le soutien apporté aux chanteurs semble quant à lui très limité. On ne parlera pas, dans ces conditions, d'interprétation de la partition : impossible de reconnaître des intentions dans ce qu'on entend. La mise en scène de mérite bien d'être revue, mais on attendra une nouvelle équipe musicale pour revoir cette Rusalka.

Crédits photographiques : © Matthias Baus

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Stuttgart. Opernhaus. 9-VI-2022. Antonín Dvořák (1841-1904) : Rusalka, opéra en trois actes sur un livret de Jaroslav Kvapil. Mise en scène : Bastian Kraft ; décors : Peter Baur ; costumes : Jelena Miletić. Avec David Junghoon Kim (Prince) ; Allison Cook (Princesse étrangère) ; Esther Dierkes, Reflektra (Rusalka) ; Goran Jurić, Alexander Cameltoe (Ondin) ; Katia Ledoux, Judy LaDivina (Ježibaba) ; Torsten Hofmann (Garde-chasse) ; Alexandra Urquiola (Garçon de cuisine) ; Natasha Te Rupe Wilson, Vava Vilde (1er esprit des bois) ; Catriona Smith, Lola Rose (2e esprit des bois) ; Leia Lensing, Purrja (3e esprit des bois) ; Ángel Macías (Chasseur) ; Choeur de l’Opéra de Stuttgart ; Staatsorchester Stuttgart ; Oksana Lyniv, direction.

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