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Philippe Decouflé, quarante ans de danse

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En 1983, Philippe Decouflé faisait irruption dans le milieu de la danse en gagnant le premier prix du Concours de Bagnolet. Dans la foulée, il créait sa compagnie, . Depuis, le chorégraphe malicieux qui aime la danse lorsqu'elle est drôle, joyeuse, décalée et créative, a dompté cinq milliards de spectateurs pour les cérémonies d'ouverture et de clôture des Jeux Olympiques d'hiver d'Albertville, en 1992, avant de revenir définitivement aux salles de théâtre du spectacle vivant. Nous l'avons rencontré à Lyon, où il a ouvert les Nuits de Fourvière 2023 en remplissant le Grand Théâtre antique pour Stéréo Deluxe pendant quatre soirées.

ResMusica : Vous avez sept danseurs dans Stéréo Deluxe qui sont tous extrêmement différents, comment les avez-vous choisis ?

: Je cherche toujours des gens qui sont sur scène comme dans la vie. Des danseurs clones comme dans le ballet classique, à vrai dire, cela ne m'intéresse pas du tout…  Je veux pouvoir avoir des danseurs petits, des grands, des gros, des maigres, et venus d'horizons divers… Violette Wanty est une fidèle, elle est dans la compagnie depuis 12 ans, elle danse, elle chante bien, elle est capable de jouer les filles idiotes ou fortes. Aurélien Oudot, qui est le rocker acrobate, vient du cirque. Il a étudié l'acrodanse, qui s'apprend désormais dans les écoles de cirque et a créé sa propre compagnie, Back Pocket. Eléa Ha Minh Tay vient de la gym acrobatique, du hip-hop et du taekwondo, elle a une énergie de dingue, elle est même capable de danser avec sa langue. Vous voyez, ils sont tous hybrides, formés à beaucoup de styles différents et c'est précieux.

RM : Baptiste Allaert a un physique et un charisme particuliers. N'est-il pas le pendant de Christophe Salengro, qui fût votre danseur-fétiche pendant 28 ans (NDLR : il est décédé en 2018) ?

PD : C'est exactement ça. Il est étonnant à voir et moi, j'aime bien les erreurs. Je n'aime pas la perfection physique. Or, Baptiste fait partie de ces gens rares qui ont un comique naturel. Il fait trois pas, et c'est drôle. On s'est rencontrés sur un projet pendant le premier confinement, qui n'avait pas abouti.

RM : Stéréo Deluxe est un hommage souvent parodique à l'univers des concerts de rock. Y a-t-il des chanteurs qui vous ont particulièrement inspirés ? Relèvent-ils tous de votre jeunesse ?

PD : Ah, est-ce que je règle mes comptes avec mon adolescence ? Sûrement… D'autant que dans ces années 70-80, il y avait vraiment à boire et à manger. Alors, pour ce spectacle, j'avais beaucoup de références notamment visuelles en tête. Les panneaux qui s'effeuillent au tout début étaient un souvenir de concert de Bob Dylan. Lorsqu'il ne reste que le slip, c'est un clin d'oeil à . Le passage glam ramène à Brian Eno par exemple. Et puis, il y a les musiques dont certaines sont clairement signées des Beatles, Roxy Music, T-Rex, les Beach Boys. Et ensuite, il y a des créations originales…

RM : Pour autant, d'autres tableaux relèvent de la fiction pure et de votre imaginaire… Comment vous est venue par exemple l'idée de marier des chaussons pointes et des escarpins plateformes à très hauts talons aiguilles ?

PD : Alors, là, cela m'est arrivé en voyant Eléa arriver, un jour, avec ce type de chaussures. Cela m'a amusé de lier cela avec des chaussons pointes. J'utilise souvent ce que je vois en studio chez les gens… Le travail est parfois très  instinctif.

RM : Votre fille, Louise, est bassiste et par ailleurs, la seule fille de l'ensemble. Ce spectacle arrivait-il comme un timing idéal pour travailler avec elle ?

PD : Certainement. Même si elle était déjà dans Tout doit disparaître (grand moment de reconstitutions des pièces majeures du chorégraphe en 2019 après Panorama, pour les 30 ans de la compagnie ), et là, je suis content parce qu'elle est à la hauteur des autres musiciens. Que l'on travaille ensemble n'a rien d'étonnant parce qu'une troupe comme , c'est, de toute façon, une entreprise familiale. S'il y a un chef dictateur dans une compagnie, ça ne marche pas. On va vivre une si longue aventure ensemble, lors de la création comme en tournée, qu'il vaut mieux partager tous ensemble les mêmes valeurs.

« Je prépare un spectacle, le découvre à la première et là, je commence à travailler ! Le spectacle vivant l'est par définition. Il ne peut pas rester figé pour toujours. »

RM : Stéréo avait été créé à Montpellier Danse dans une formation plus légère. Vous l'avez modifié pour le plateau du Grand Théâtre des Nuits de Fourvière. Retravaillez-vous souvent vos spectacles une fois crées ?

PD : Ici, il y avait clairement une demande des Nuits de Fourvière pour faire une configuration plus grande. Et j'ai coupé, changé des rôles, interverti des scènes… Mais, j'ai de toute façon l'impression d'accoucher en permanence. Je prépare un spectacle, le découvre à la première et là, je commence à travailler ! Le spectacle vivant l'est par définition. Il ne peut pas rester figé pour toujours.

RM : Est-ce la raison pour laquelle vous n'aimez pas l'idée de faire des reprises ? Même si vous aviez revisité votre répertoire avec Tout doit disparaitre et repris Shazam l'an dernier ? Est-ce, du coup, le début d'une nouvelle perception de votre carrière ?

PD : Avec le temps, en ayant vu énormément de spectacles, j'avais fait le constat qu'en général, les œuvres ont du mal à survivre à leurs créateurs. Lorsqu'elles sont reprises, elles ont vieilli. Et soit c'est touchant, soit c'est ennuyeux à mourir… La réalité d'un spectacle repris, c'est que l'on en reproduit la forme, mais pas le fond. Or, un spectacle est fait par des gens, plus que par une écriture. En tout cas, en ce qui me concerne. C'est ce qui m'a décidé à ne pas reprendre mes pièces. L'autre raison de la difficulté de reprendre d'anciennes pièces, c'est le fonctionnement même de ce métier. On nous réclame systématiquement des nouveautés. Mais se rendent-ils compte de ce que cela demande de toujours, toujours créer une nouvelle pièce ? Ca ne sort pas comme ça ! Il y a un truc agaçant aujourd'hui, c'est cette obsession de la nouveauté impérieuse et du jeunisme…

RM : Vous avez été l'un des premiers chorégraphes français à travailler beaucoup la video, les images. En êtes-vous revenu ?

PD : Je crois. Il y a trop d'images, trop de videos aujourd'hui dans la danse. Cela est devenu « mainstream » et dans ce cas, je me retire et reviens à l'essentiel… Je voulais des images par réaction au culte du corps académique. Maintenant qu'elles nous inondent, j'en pars..

RM : Vous avez souvent refusé de diriger des grosses structures, notamment Chaillot en 2000, ainsi que des Centres Chorégraphiques Nationaux. Le regrettez-vous ?

PD : Aujourd'hui, je peux le regretter car depuis le confinement, tout est plus difficile, Nous avons moins de dates de tournées, il faut gérer le lieux qui nous héberge (NDRL : La Chaufferie à Saint-Denis), accueillir mes artistes  intermittents qui n'habitent plus Paris parce que c'est devenu trop cher… Alors, oui, une structure plus artistique et mieux aidée serait bien, mais quoi, je ne suis ni vénal, ni politique et je veux rester un artisan. Le choix est vite vu… Mon vrai et profond regret, c'est de n'avoir toujours pas réussi à faire une comédie musicale.

RM : Vous n'oubliez jamais de parler de vos maîtres, qu'il s'agisse du mime Isaac Alvarez, d'Alwin Nikolaïs (photo), de Merce Cunningham ou Jean-Paul Goude… Ils vous ont beaucoup appris. N'est-il pas temps pour vous aussi, de transmettre ?

PD : Parfois, j'y pense. Mais à condition de le faire sous un autre angle. Je n'ai pas appris la chorégraphie avec NikolaÏs et Cunningham. Ils étaient de grands créateurs, et cela ne fait pas toujours de très grands professeurs. Mais ils m'ont appris d'autres choses. Et j'aimerai bien enseigner la technique du spectacle vivant. Les danseurs d'aujourd'hui ne savent pas comment marchent les lumières, comment fonctionne la scène d'un théâtre….

RM : 2023, c'est aussi le 40ème anniversaire de la création de votre compagnie DCA. Vous ne prévoyez pas de célébrer cet anniversaire ?

PD : A vrai dire, je ne m'étais même pas aperçu de ça. Mais 40 ans, quand même… ! (Il ouvre des yeux ronds, tout en poussant un léger soupir.)

RM : En 2024, il y a aura des Jeux Olympiques à Paris, et des cérémonies d'ouverture et de clôture. On imagine bien que vous y êtes sensible, vous qui aviez connu un formidable succès et la célébrité avec les cérémonies des JO d'Albertville en 1992…

PD : Oui, mais là, joker… je sais seulement que j'ai fait, en 92, le plus beau spectacle de ma vie, je crois. Ca m'a lancé parce que c'était une première dans les JO et qu'il n'y avait aucune attente. Là, il y en a peut-être beaucoup. Beaucoup… trop ?

Crédits photographiques : Portrait © Eline Ros ; Stéréo © Paul Bourdrel ; Alwin Nikolaïs © Fred Hays

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