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Amours tragiques au Festival de Lanvellec et du Trégor

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Festival de Lanvellec et du Trégor.
Le Semaphore, Trébeurden. 7-X-2023. Adonia. Ensemble Phaedrus. Musiques de Francesco Bendusi (fin XVe-c.1553), Philippe Verdelot (c.1480-c.1530), Jacques Arcadelt (c.1507-1568), Adrian Willaert (c.1490-1562), Cipriano de Rore (c.1515-1565), Giovanni Giacomo Gastoldi (c.1554-1609), Giorgio Mainerio (c.1530-1582). Ensemble Phaedrus. Mara Winter, traverso et direction artistique.
Carré Magique, Lannion. 8-X-2023. Musiques de Thomas Tallis (1505-1585), William Byrd (1540-1623), John Bull (1562-1628), Orlando Gibbons (1583-1625), Edward Gibbons (1568-1650), Matthew Locke (1621-1677).
Henry Purcell (1659-1695), Didon et Enée. Anna Reinhold, Romain Bockler, Elodie Fonnard, Fiona McGown, Nicolas Kuntzelmann, Juliette Perret, Guillaume Gutierrez, Martin Candela, Maxime Saïu,Ensemble Les Timbres.

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Pour sa 37ᵉ édition, le Festival d'automne de Lanvellec et du Trégor a choisi le thème du tourment amoureux. Pour le premier week-end, il invitait l'ensemble suisse dans un programme revisitant le mythe d'Adonis. Le clou de la programmation était la production en version concert du chef-d'œuvre de Purcell, Didon et Enée, par l'ensemble .


Le mythe de Vénus et Adonis a traversé les siècles, depuis les Adonies, fêtes données à Athènes en l'honneur du héros malheureux. On rappelle l'histoire : Vénus tombe amoureuse de son fils adoptif, le bel Adonis, qui sera tué lors d'une chasse fatale par un sanglier envoyé par le dieu Mars. Le programme proposé par parcourt symboliquement ce thème à travers le répertoire de la Renaissance italienne, alternant des extraits d'Adone de Marino avec des madrigaux et des frotolle instrumentales. Programme malheureusement impossible à lire dans le noir, alors que les textes sont judicieusement proposés au public, car on sait l'importance des mots dans ce répertoire madrigalesque (Prima le parole …). Formé en 2016 à Bâle, l'ensemble est au départ un consort de quatre flûtes traversières (traversos renaissance), rejoint par la chanteuse et les luths de Bor Zuljan. Formation originale, puisque les consorts réunissent traditionnellement des flûtes à bec ou des violes. Le concert s'ouvre sur une poignante invocation de Vénus chantée a capella par la soprano, bientôt rejointe discrètement par les instruments. La voix blanche de se marie bien avec le timbre des traversos, et sa belle élocution met en valeur la langue italienne. La flûte de , souvent virtuose dans les diminutions, nous offre des pianissimi admirables dans les moments de lamentation. Le luth à cordes métalliques de Bor Zuljan et les percussions discrètes de Massimiliano Dragoni viennent parfois réveiller l'atmosphère très intimiste du programme. Mais cela ne suffit pas tout à fait à rompre l'impression d'ennui qui s'installe au fil d'une interprétation trop lisse, qui peine à faire ressentir les passions du drame évoqué.

Toujours attentif à l'édification du public, l'association Rencontres Internationales de Musique Anciennes en Trégor (RIMAT) promeut diverses actions culturelles en complément du riche programme musical proposé tout au long de l'année dans la région. C'est ainsi qu'en prélude à la représentation de Didon et Enée est proposée une conférence de la musicologue Pascale Saint-André, qui s'attache à resituer la place de Purcell en son temps. On peut regretter que la programmation du ne puisse pas cette année, pour des raisons de travaux dans l'église, intégrer l'orgue dont la mise en valeur a été le point de départ de cette belle aventure musicale.

Le lendemain, c'est au Carré Magique de Lannion que le public se presse pour la représentation de l' « opéra de poche » Didon et Enée. Une première partie anglaise sert d'introduction à l'œuvre de Purcell : judicieusement présentée par la violiste comme un « arbre généalogique musical », elle relie la Renaissance de Thomas Tallis au baroque d'. Le motet Ye sacred muses de William Byrd permet d'apprécier l'interprétation toute en délicatesse du contre-ténor Nicolas Kuntzelmann, suivi d'un prélude pour clavecin de John Bull joué par . Vient ensuite un motet à double chœur d'Orlando Gibbons, avant un étonnant What strikes the clocke d'Edward Gibbons faisant appel à des cloches à main pour égrainer le temps qui passe. On arrive ensuite à Matthew Locke, qui fut le prédécesseur de Purcell au service de Charles II, dans un masque qui annonce les effets d'écho que l'on retrouve dans l'acte II de Didon et Enée.

Et voilà l'ouverture à la française de l'opéra du génial Purcell, menée du violon par . Les huit musiciens de l'ensemble sont, en fond de scène, partie prenante de la dramaturgie. Pas de costumes, pas de mise en scène mais une mise en espace des chanteurs qui nous conduisent de la cour de la reine de Carthage à l'antre des sorcières avec force jeux de scène. Peut-être déroutant pour certains spectateurs : l'absence de surtitrages qui auraient permis de mieux comprendre la double distribution ( passe de Didon à la Magicienne, Elodie Fonnard de Belinda à une sorcière, d'Enée à un marin), même si ces changements sont rendus fluides par les jeux de scène et les déplacements hors plateau. La distribution vocale est de très grande qualité. Dans le rôle de la suivante Belinda, Elodie Fonnard s'impose avec brio dès le premier acte. , dans le rôle de la reine de Carthage, est plus en retrait, mais elle prend plus de présence dès le deuxième acte, où elle apparait en irrésistible sorcière avec force grimaces. Malgré un petit problème de justesse, elle se révèle magistrale dans l'air tant attendu de la mort de Didon, sur un émouvant tapis de cordes de l'orchestre. est parfait dans le rôle un peu terne d'Enée, et truculent à souhait en premier marin. Le chœur de solistes nous offre de grands moments dans les airs burlesques lorsqu'il joue à se mêler à l'orchestre. Les effets d'écho de l'acte II sont réalisés par les chanteurs avec la main sur la bouche, cependant que les deux flûtes leur répondent depuis le balcon. Quant au chœur final de la mort de Didon, il est un moment de grâce extraordinaire. Tout au long de l'œuvre, l'osmose entre les instruments et les voix est parfaite, malgré l'absence de direction physique. Comme toujours, se révèlent d'une grande subtilité, autour de la position centrale de la viole de . Petit effectif et grand effet.

Crédit photographique : © Philippe Robin

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Le Semaphore, Trébeurden. 7-X-2023. Adonia. Ensemble Phaedrus. Musiques de Francesco Bendusi (fin XVe-c.1553), Philippe Verdelot (c.1480-c.1530), Jacques Arcadelt (c.1507-1568), Adrian Willaert (c.1490-1562), Cipriano de Rore (c.1515-1565), Giovanni Giacomo Gastoldi (c.1554-1609), Giorgio Mainerio (c.1530-1582). Ensemble Phaedrus. Mara Winter, traverso et direction artistique.
Carré Magique, Lannion. 8-X-2023. Musiques de Thomas Tallis (1505-1585), William Byrd (1540-1623), John Bull (1562-1628), Orlando Gibbons (1583-1625), Edward Gibbons (1568-1650), Matthew Locke (1621-1677).
Henry Purcell (1659-1695), Didon et Enée. Anna Reinhold, Romain Bockler, Elodie Fonnard, Fiona McGown, Nicolas Kuntzelmann, Juliette Perret, Guillaume Gutierrez, Martin Candela, Maxime Saïu,Ensemble Les Timbres.

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