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Un programme de printemps radieux pour les Ballets de Monte-Carlo

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Monaco, Grimaldi Forum. 24-IV-2024. Ballets de Monte-Carlo : To the point(e). Christopher Wheeldon : Within the Golden Hour. Chorégraphie : Christopher Wheeldon. Costumes : Jasper Conran. Lumières : Peter Mumford. Musique : Ezio Bosso, A. Vivaldi. Avec Lydia Wellington, Alessio Scognamiglio, Laura Tisserrand, Ige Cornelis, Lou Beyne, Jérome Tisserand, Isabelle Maia, Kathryn McDonald, Ekaterina Mamrenko, Anissa Bruley, Alexandre Joaquim, Michele Esposito, Simone Tribuna, Kizuki Matsuyama.
Sharon Eyal : Autodance. Chorégraphie : Sharon Eyal, Gai Behar. Composition musicale : Ori Lichtik. Lumières : Alon Cohen. Costumes : Rebecca Hytting. Avec Jaat Benoot, Lou Beyne, Anna Blackwell, Anissa Bruley, Ige Cornelis, Michele Esposito, Alexandre Joaquim, Emma Knowlson, Mimoza Koike, Isabel Maia, Riccardo Mambelli, Ekaterina Mamrenko, Lennart Radtke, Christian Tworzyanski
Jean-Christophe Maillot : Vers un pays sage. Chorégraphie : Jean-Christophe Maillot. Scénographie, Lumières : Dominique Drillot. Costumes : Jean-Michel Lainé. Musique : John Adams. Avec Juliette Klein/Jaeyong An, Katrin Schrader/Francesco Resch, Lydia Wellington/Jaat Benoot, Anissa Bruley/Lukas Simonetto, Kathryn McDonald/Simone Tribuna, Ekaterina Mamrenko/Cristian Oliveri.
Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo, direction : Garrett Keast

 
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Jusqu’où aller « To the point(e)”? C ‘est la question que se pose le nouveau programme des Ballets de Monte-Carlo. Un programme en trois temps signés Sharon Eyal, Christopher Wheeldon et Jean-Christophe Maillot, riche et savoureux.

Deux hommes et une femme. Deux chorégraphes masculins qui servent la technique classique et la modernisent en la rendant intemporelle. Et une femme qui s’en détache et part dans son monde. Dans le fond, cent ans après, cela rappelle ce qu’était le tableau de la danse en Europe, au début du XXème siècle, lorsque les Ballets Russes très masculins donnaient un coup de jeune à Petipa, et qu’Isadora Duncan partait dans la « danse libre », et Loïe Füller dans une disparition de soi.

Honneur aux dames, donc, avec cette demande faite par Jean-Christophe Maillot , le directeur de la grande compagnie monégasque, à la chorégraphe israélienne Sharon Eyal « d’un ballet sur pointes », pour ce programme mixte consacré au sujet. Savait-il qu’elle allait contourner la commande ? Et lui offrir sa marque de fabrique habituelle, à savoir cette marche sur très haute demi-pointe et sans chausson, qu’elle pratique dans presque toutes ses oeuvres ? On sent chez Sharon Eyal, une sorte d’insécurité. Un besoin d’avancer groupé, d’être sur le fil et de tout faire pour ne pas en chuter. Cette marche sur une très haute demi-pointe, qui est sa marque de fabrique, en témoigne.

Plutôt que de retravailler avec de grands danseurs classiques, cette posture qui est sienne, Sharon Eyal s’est contentée de reprendre son ballet crée en 2018 pour la GöteborgsOperans Danskompani en la remaniant, certes, pour de nouveaux interprètes, mais sans répondre au cahier des charges, qui aurait été passionnant. Le plus long ballet de la soirée (35 minutes) commence donc par sa posture de prédilection, une lente procession de danseurs marchant de profil, méticuleusement, comme sur des œufs, dos droit, tête de face, tels des top models sur leur catwalk de défilés de mode, perchés sur de très hauts stilettos. Sauf qu’ici, il n’y a rien pour soutenir les pieds des danseurs. Leur talon si haut et éclairé par une certaine pénombre, donne à croire que le chausson est là. En ce sens, ce doute-là est également  intéressant. Il donne à démystifier le travail sur pointes en mettant à nu le pied, le talon, le cou de pied, et l’avant-pied, comme si ce bas de jambe faisait office de radiographie déformée.

Mais très vite, on a aussi mal pour les danseurs, qui vont quasiment sur toute la durée de la pièce, devoir rester sur cette très haute demi-pointe , l’avant-pied cloué au sol et le talon pointant le ciel. Et l’ on imagine la souffrance que cela occasionne musculairement pour les mollets et les cuisses des artistes. Sans que cela n’apporte vraiment, au bout d’un moment, un véritable intérêt chorégraphique. Pourtant, peu à peu, des corps se détachent, et se lancent dans une danse de transe, aidée par la musique techno de Ori Lichtik, DJ roi de la scène techno de Tel-Aviv au tournant du XXIème siècle. Le haut du corps éclate alors, tressaille, cherche les renversements. Les bras, (que les danseurs ont très longs) tels de belles branches d’arbres, se balancent au gré d’un vent imaginaire. C’est beau parfois, surtout lorsque les lumières éclairent des corps devenus sépias,et évoluent tels de la chronophotographie. Mais c’est assez vite exaspérant. Là où Crystal Pite fait du groupe une force lumineuse, sa consoeur lunaire en fait une preuve formelle d’inquiétude.

Sharon Eyal , étonnante jeune femme au rouge à lèvres qui déborde (volontairement) et aux yeux toujours soulignés d’un  épais eye-liner, est devenue la coqueluche de toutes les compagnies de ballet actuelles. A l’instar de Crystal Pite, Jiri Kylian, Mats Ek,William  Forsythe, Hofesh Schechter ou Johan  Inger, elle est entrée dans un Top 10 des chorégraphes à l’affiche de toutes les troupes et de tous les grands festivals de danse.

Depuis qu’elle a fondé sa compagnie en 2013 après avoir pris son autonomie de la Batsheva dance compagny, elle a crée ou donné des pièces au Nederlands Dans Theater, au Royal Swedish Ballet,  au Staatsballett Berlin, au Bayerishes Staatsballett de Munich, à de nombreuses troupes allemandes, ainsi qu’à l’Opéra de Paris (avec Faunes , une intéressant relecture de L’Après-midi d’un faune), lequel la fait revenir la saison prochaine avec… une relecture sur pointes d’une de ses œuvres. A voir si elle répondra, cette fois, à ce cahier des charges !

Cette saison, elle a été programmée dans pas moins de cinq théâtres parisiens différents. Les danseurs classiques aiment à travailler avec elle, semble-t-il. Parce qu’elle a une sensibilité rare, use d’une musique techno qui est de leur génération, et qu’en répétition, elle montre ce qu’elle souhaite voir, et a démontré sa capacité à créer des ensembles pour grands effectifs. Une qualité rare chez les chorégraphes contemporains, mais sans doute aussi un « plus » important pour des compagnies qui se doivent de programmer davantage de (trop rares) chorégraphes femmes. Reste que cette uniformité des programmations européennes (Autodance était à l’affiche du Ballet de Munich, deux semaines plus tôt), pose question quant au renouvellement des créateurs, et au nombre d’œuvres perçues comme disponibles « sur le marché ».

Les deux autres chorégraphes à l’affiche sont de vieilles connaissances. Le Britannique Christopher Wheeldon qui ouvre la marche, offre avec Within the Golden Hour une rafraichissante démonstration de style néo-classique, très virtuose, très musicale, très (trop ?) balanchinienne dans son esprit et sa structure, preuve de son passage au New York City Ballet comme danseur puis comme chorégraphe résident. Ce ballet a d’ailleurs été crée en 2008 pour le San Francisco Ballet et cela se voit, avec cet esprit de vivacité très américaine. On ne s’y pose pas de questions existentielles, on danse, sur pointes pour les filles, en s’enivre de la musique régénérante de l’Italien Ezio Bosso et de Vivaldi. Les entrées et sorties rapides, les rencontres entre couples qui s’enroulent, s’embrasent  et repartent sont à l’image d’une jeunesse qui passe en mode turbo, sans jamais déroger à une fluidité parfaite du mouvement. La beauté de cette œuvre (qui tire un peu au kilomètre de la musique, quand même) est de ne pas chercher le feu d’artifice chorégraphique pour susciter les appplaudissements, mais bien de parier sur une longue phrase chorégraphiée, fluide et en ce sens, apaisante. Lequel apaisement rythmique vient aussi par le biais de deux splendides adages tout en douceur., qui s’intercalent entre deux reprises rapides.  Il en ressort une oeuvre sans autre ambition que d’être un « feel good ballet », ce dont on ne peut se plaindre, ponctuée par la présence importante de l’Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo (direction : Garrett Keast).

En final, place au maître des lieux, Jean-Christophe Maillot, le directeur de la compagnie monégasque, avec la reprise bien agréable de son mythique Vers un pays sage. Crée en 1995 (déjà !) à la salle Garnier de l’Opéra de Monte-Carlo, et devenu un « tube » de la compagnie à travers le monde, il offre cette incroyable sensation de n’avoir pas pris une seule ride. Comme tous les chefs d’œuvre, ils passent à travers l’épreuve du temps. Grâce à un style chorégraphique intemporel, à la musique intarissable et frénétique de John Adams (Fearful  Symmetries, parfaite pour la danse) tout autant qu’à des costumes blancs, neutres comme cette terre blanche servant aux sculpteurs. Crée en hommage à son père, le peintre Jean Maillot, dont on voit l’esquisse d’une œuvre au tableau final, il fait ainsi écho au ballet de Wheeldon, dont les lumières de cyclo sont censées être inspirées des tableaux de Klimt.

Ici, Vers un pays sage semble être le grand frère de Within the Golden Hour, dans un vocabulaire chorégraphique néanmoins plus contemporain, avec ces sauts, chutes, positions des pieds non académiques, et rupture du geste parfois inattendue. Pour autant, on y voit quelques citations de maîtres classiques, comme cette version inversée de l’Adage à la rose, où la danseuse fait passer quatre danseurs  qui traversent le plateau, garante désormais de leur équilibre, ou comme ces sauts à la Lifar ou ce trio masculin rappelant Fancy Free de Robbins. Il y a dans cette œuvre quasi trentenaire de Maillot une frénésie de la jeunesse, mais un sous-texte aussi, où les hommes magnifient des femmes puissantes. Preuve certaine d’une œuvre de notre temps.

Crédits photographiques : © Alice Blangero / Ballets de Monte-Carlo

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Monaco, Grimaldi Forum. 24-IV-2024. Ballets de Monte-Carlo : To the point(e). Christopher Wheeldon : Within the Golden Hour. Chorégraphie : Christopher Wheeldon. Costumes : Jasper Conran. Lumières : Peter Mumford. Musique : Ezio Bosso, A. Vivaldi. Avec Lydia Wellington, Alessio Scognamiglio, Laura Tisserrand, Ige Cornelis, Lou Beyne, Jérome Tisserand, Isabelle Maia, Kathryn McDonald, Ekaterina Mamrenko, Anissa Bruley, Alexandre Joaquim, Michele Esposito, Simone Tribuna, Kizuki Matsuyama.
Sharon Eyal : Autodance. Chorégraphie : Sharon Eyal, Gai Behar. Composition musicale : Ori Lichtik. Lumières : Alon Cohen. Costumes : Rebecca Hytting. Avec Jaat Benoot, Lou Beyne, Anna Blackwell, Anissa Bruley, Ige Cornelis, Michele Esposito, Alexandre Joaquim, Emma Knowlson, Mimoza Koike, Isabel Maia, Riccardo Mambelli, Ekaterina Mamrenko, Lennart Radtke, Christian Tworzyanski
Jean-Christophe Maillot : Vers un pays sage. Chorégraphie : Jean-Christophe Maillot. Scénographie, Lumières : Dominique Drillot. Costumes : Jean-Michel Lainé. Musique : John Adams. Avec Juliette Klein/Jaeyong An, Katrin Schrader/Francesco Resch, Lydia Wellington/Jaat Benoot, Anissa Bruley/Lukas Simonetto, Kathryn McDonald/Simone Tribuna, Ekaterina Mamrenko/Cristian Oliveri.
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