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Sylvia à l’Opéra de Paris : le retour de Manuel Legris

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Paris. Palais Garnier. 9-V-2025. Sylvia, ballet en trois actes. Musique : Léo Delibes (1836-1891). Livret : Manuel Legris et Jean-François Gazelle, d’après Jules Barbier et Jacques de Reinach. Chorégraphie : Manuel Legris, d’après Louis Mérante. Décors et costumes : Luisa Spinatelli. Avec : Bleuenn Battistoni, Sylvia ; Silvia Saint-Martin, Diane ; Paul Marque, Aminta ; Andrea Sarri, Orion ; Jack Gasztowtt, Éros ; Marius Rubio, Endymion ; et le Corps de Ballet de l’Opéra National de Paris. Orchestre de l’Opéra National de Paris, direction musicale : Kevin Rhodes

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, de retour après 15 ans à l'étranger, remonte pour le Ballet de l'Opéra de Paris la version de Sylvia qu'il avait construite pour le Ballet de Vienne en 2018. Une production à l'esthétique vieillotte qui comblera néanmoins les amateurs de danse.

, aimé pour sa Lakmé et Coppélia, a composé pour le ballet Sylvia une des musiques des plus éblouissantes, que les ors du Palais Garnier n'avaient pas entendue depuis très longtemps. Le dernier chorégraphe à s'être intéressé à cette partition pour le Ballet de l'Opéra de Paris fut John Neumeier dont la chorégraphie fut donnée jusqu'en 2005 à l'Opéra Bastille (captée en DVD), et le Ballet National de Chine, en compagnie invitée, en donna sa version en 2009. Mais la troupe de l'Opéra de Paris ne dansait plus de version classique depuis celle de Lycette Darsonval en 1979 et c'est qui en propose aujourd'hui sa lecture pour cette nouvelle production. Étoile de la maison jusqu'en 2009, il a développé pendant ces quinze dernières années une expérience de directeur de troupe (successivement à Vienne et à Milan) et s'est attelé au travail de chorégraphie, déjà exploré lors de pas de deux (comme Donizetti Pas de deux) et de ballets complets, comme la Sylvia qu'il remonte aujourd'hui à Paris après le Ballet de Vienne en 2018.

L'amateur de danse y est absolument comblé, car c'est un ballet où les danseurs évoluent constamment. On a l'impression que tous les pas de deux sont explorés, comme dans un cours de danse académique où toutes les figures sont déployées, travaillées, améliorées. Aucun pas d'école n'y manque, aucune figure de bravoure n'y est absente et c'est une succession de difficultés qui entraîne un plaisir immense de voir de la danse pure, quasiment abstraite, ce qui implique également un défaut. En effet, la construction dramaturgique est parfois brouillonne et la multitude des personnages fait perdre la progression narrative, d'autant plus que les quelques éléments de pantomime sont trop stylisés pour que l'ensemble paraisse totalement lisible sans une aide préalable du synopsis. La scénographie pèche également à cause d'une esthétique vieillotte, avec un clinquant assumé. À titre d'exemple, Éros use, pour se déplacer, d'un Pégase éblouissant avec des ailes dorées d'un style Empire d'opérette et les faunes ont de petits cornes ceignant leurs tête et une petite queue pour signifier leur animalité. Ces détails alourdissent une histoire peu encline à la compréhension et apportent un rien de ridicule que même le second degré ne pardonne pas. Mais ces deux éléments mis à part, quelle science et quelle intelligence au service de l'élaboration des différents tableaux !

On retrouve la pureté classique, avec tout le travail caractéristique de l'école française, tel le joli travail du bas de jambe (la grande et la petite batterie), les descentes de pointes, le placement du corps, l'ensemble engainé dans l'élégance et la retenue d'une grande dignité. Les actes sont pensés avec une intensité croissante : d'abord des pas de deux lyriques, qui laissent place aux coda engageantes (qui ne s'annoncent même pas tant elles sont amenées de façon inattendue), jusqu'aux groupes endiablés (telle la bacchanale qui ouvre le troisième acte). C'est donc une création fabuleusement dansante, quand bien même un peu faible sur le plan narratif (mais n'est-ce pas le cas de nombreux autres ballets pour lesquels on se montre bien plus indulgent encore ?), qui exige un niveau technique très élevé pour la compagnie.

En effet, les personnages solistes sont nombreux et en premier lieu qui apporte sa fraîcheur d'âge et sa récente auréole du titre d'Étoile dans une Sylvia qui découvre le sentiment amoureux. Elle raconte une histoire d'éveil aux émotions naissantes avec une présence constante. D'une sureté technique impressionnante, elle présente des phrases musicales d'une clarté absolue où l'enchevêtrement des pas lui semble être d'une aisance sans pareille. Le moelleux du saut, les tours planés et l'engagement dramatique confirment que la valeur n'attend pas le nombre des années.

est Aminta et se révèle être d'une adéquation accomplie avec sa partenaire, tant par les proportions physiques que dans l'attention qu'il lui porte. C'est un des grands danseurs de la compagnie avec ses entrechats parfaits, ses prises de risque toujours absolument mesurées et couronnées de succès (on ne compte pas le nombre de pirouettes parfaitement maîtrisées), avec un entrain permanent (on devine son plaisir de dévaler la pente du plateau de scène à l'aide de grands jetés aériens). Il fait voir en mouvement ce que la musique fait entendre, soulignant la grande musicalité du travail chorégraphique de .

À l'image de celui-ci, les autres solistes présentent les mêmes caractéristiques du danseur de demi-caractère : nervosité virile du faune de Francesco Mura, vivacité fébrile et sèche de la mélancolique dans la Diane de , sthénicité musculeuse du jaloux Orion d'. L'Éros de doit composer avec une chorégraphie qui le met en péril avec des portés compliqués mais qui ne manqueront pas de se fluidifier avec la pratique. Manuel Legris a multiplié les petits rôles qui permettent à de jeunes danseurs de s'illustrer dans de courts passages. On découvre un Paul Mayeras dans le rôle d'un pâtre face à une paysanne de Luna Peigné que l'on retrouve dans l'exotique et lascive esclave nubienne (aux côtés de la très affirmée Éléonore Guérineau), et l'on pourrait décliner encore à l'envi les rôles de vestale, de satyre, de naïade, de silène et de dryade.

La fabuleuse musique de permet à l' de déployer tout le savoir-faire des différents pupitres. Les cuivres sonnent avec brillance et les cordes sont chatoyantes sous la baguette de l'expérimenté , décidément très amoureux du dialogue entre fosse et plateau. Le corps de ballet est entraîné dans cette aventure de façon étourdissante, et les forces vives de l'Opéra convergent vers cette Sylvia de Manuel Legris, qui semble être la concrétion de toute une esthétique romantique (et historiquement très française).

Crédit photographique : © Yonathan Kellerman / Opéra national de Paris

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Paris. Palais Garnier. 9-V-2025. Sylvia, ballet en trois actes. Musique : Léo Delibes (1836-1891). Livret : Manuel Legris et Jean-François Gazelle, d’après Jules Barbier et Jacques de Reinach. Chorégraphie : Manuel Legris, d’après Louis Mérante. Décors et costumes : Luisa Spinatelli. Avec : Bleuenn Battistoni, Sylvia ; Silvia Saint-Martin, Diane ; Paul Marque, Aminta ; Andrea Sarri, Orion ; Jack Gasztowtt, Éros ; Marius Rubio, Endymion ; et le Corps de Ballet de l’Opéra National de Paris. Orchestre de l’Opéra National de Paris, direction musicale : Kevin Rhodes

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