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À l’Opéra Royal de Wallonie-Liège, un Don Pasquale en parrain mafieux

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Liège. opéra Royale de Wallonie-Liège. 17-V-2025. Gaetano Donizetti (1797-1848) : Don Pasquale, opera buffa en trois acte sur un livret de Giovanni Ruffini, d’après Ser Marcantonio d’Angelo Anelli. Mise en scène : Mirabelle Ordinaire. Décors : Philippine Ordinaire. Costumes : Françoise Raybaud. Lumières: Nathalie Perrier. Assistante de mise en scène : Maud Morillon. Avec : Ambrogio Maestri : Don Pasquale; Maria Laura Iacobellis : Norina; Maxim Mironov : Ernesto; Marcello Rosiello : Dottor Malatesta; Benoît Delvaux : un notaire. Figurants : membres du Céjoli. Choeurs de l’Opéra Royal de Wallonie, préparés par Denis Segond. Orchestre de l’Opéra Royal de Wallonie, direction musicale : Dayner Tafur-Díaz

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La nouvelle production de la maison d'opéra mosane du Don Pasquale de Donizetti séduit par la mise en scène décalée de et un ton à la fois humoristique et doux-amer.

Donizetti a conçu son Don Pasquale dans la plus pure tradition de l'opéra buffa, héritière de la Commedia dell'arte, selon son schéma archétypal : au côté du vieux barbon grincheux rétrograde (Don Pasquale) opère le rusé acolyte (Malatesta), succédané d'Arlequin. Ernesto est le Pierrot, amoureux enthousiaste, mais dépité de Norina, Colombine de substitution. Ici, l'illusion comique se double aussi d'une amère étude psychologique : le bonheur légitime des deux amoureux face à la hargne du patriarche bougon prend au dernier acte des allures revanchardes. Et Don Pasquale, dont on peut à la fois se moquer et avoir pitié, devient surtout victime tant de sa naïve ambition que de l'arrivisme de Norina et des calculs de Malatesta.

Comme le rappelle , Donizetti avait voulu un opéra écrit “au présent”, avec un conception libertaire du rôle, très fort et moderne, de la prima donna, culminant au troisième acte avec la fameuse scène de la gifle assénée par Norina au malheureux « vieux garçon ». La metteuse en scène française assume et réussit son pari osé – transposer l'action originale dans le quartier new-yorkais de Little Italy des années 50, repère de la mafia italo-américaine, façon Parrain, avec d'évidentes références au film de Francis Ford Coppola, et confère ainsi une épaisseur dramaturgique inattendue au récit. Don Pasquale, sorte de Don Vito Corleone de substitution, est le patron d'une pizzeria “de façade”, lieu sûr ou transitent valises bourrées de billets et marchandises illicites. Il imagine un mariage d'alliance dorée pour son neveu Ernesto, qu'il verrait bien reprendre la « boutique ». Mais celui-ci juste intéressé par une carrière culinaire, très éloignée de la pègre, n'a d'yeux que pour Norina, jeune veuve, dont on devine le mari assassiné, faute d'avoir réglé ses dettes. Celle-ci rêve de pouvoir ouvrir son salon de coiffure face au restaurant, une fois le mariage avec Ernesto conclu et le soutien financier de l'oncle Pasquale assuré. Ce dernier, face au refus de tout union “utile” de son neveu, se décide à le déshériter et à lui-même se marier. Cette intrigue « révisée » rejoint en tout point le livret : le docteur Malatesta imagine un vrai-faux hymen avec Norina déguisée qui mènera rapidement au « divorce » d'avec Don Pasquale et au triomphe de la jeunesse. Le dernier et brillant air confié à Norina n'a, dans cette mise en scène très féministe, d'égal que l'éloquent mutisme des trois protagonistes masculins : amoureux transi, vieillard découragé, et orgueilleux entremetteur. Certes, la déroute et la honte sont totales pour Don Pasquale, mais faut-il comme ici, forcer le trait et oser figurer, au fin fond de son bureau, son suicide  certes logique, mais quelque peu outré – aux dernières mesures de la partition ? Une fin « ouverte » aurait sans doute été plus heureuse, et c'est là notre seul petit bémol face à cette réalisation par ailleurs assez exemplaire.

Car ce qui n'aurait pu n'être qu'un banal exercice de style ou de réécriture devient, par le truchement d'une transposition dramaturgique et scénographique virevoltante, une éclatante réussite, mêlant comique de situation et sous-entendus plus ambigus. fait ainsi oublier ce que le livret pourrait avoir de schématique au vu de son nombre limité de  rôles. La conduite d'acteurs se veut virtuose, légère et nerveuse, avec une étude approfondie de la gestuelle et des mimiques. Et la vie est grouillante et permanente en ce bas-quartier : outre les chœurs très bigarrés du troisième acte – l' on peut compter une bonne quinzaine de figurants incarnant cuisinier et mitron hyperactifs, clients attardés, électriciens dépanneurs, gangsters tirés à quatre épingles, impassible marchand de glace, livreur sur son triporteur, couples d'amoureux égarés, jeune maman promenant sa progéniture…. Sans jamais distraire le spectateur, tous ces personnages contribuent par leur présence et leurs menues actions à donner corps et vie à l'intrigue, dans un quartier que l'on devine dangereux sous des dehors amènes.

Le beau décor unique de , la sœur de Mirabelle, dans une perspective à deux points de fuite, représente cet angle de rue un peu glauque et déroule l'intrigue sur deux niveaux. Toutes les manigances un peu vaines, les forfaits douteux, les plans scabreux seront planifiés aux étages – le que gardo il cavaliere de Norina, donné depuis la mezzanine de son salon de coiffure, prend ainsi tout son double sens – puis confrontés à leur triviale, voire impossible, réalisation ici-bas… Ainsi, le néon électrique de l'enseigne de la pizzeria sera changé par le commis trois ou quatre fois, au fil de l'opéra, au gré des sautes d'humeur du padrone et des soubresauts de l'intrigue.

Les costumes  délibérément classiques et d'un chic très élégant de Françoise Raubaud, de même que les lumières discrètes mais efficaces de , contribuent à l'ambiance unitaire, délibérément vintage voulue par la metteuse en scène et donc participent aussi au charme du spectacle.

Avec Ambrosio Maestri en Don Pasquale nous sommes à la fête ! Le grand baryton-basse italien, à la voix chaude, ronde, aussi puissante que malléable, respire littéralement son rôle, l'une des incarnations-phares de sa déjà longue carrière, avec celle du Falstaff de Verdi qu'il a chanté dans le monde entier : la maîtrise technique vocale, l'homogénéité du timbre, la précision de la diction et de l'articulation (notamment dans l'hilarant et prolixe duo avec Malatesta au dernier acte !) n'ont d'égal que la spontanéité de l'expressivité théâtrale et de la gestuelle, à tout moment proprement stupéfiantes d'adéquation. Mais le chanteur est aussi parfait styliste, notamment tout au long d'une aria « Ah un foco insolito » d'anthologie.

Face à lui, le baryton, , déjà acclamé à Liège en Figaro rossinien, n'est pas en reste, lui aussi dans un de ses rôles-fétiches, celui du Docteur Malatesta. Sans doute un peu plus distant face à son partenaire, par sa grande ductilité vocale, et sa parfaite ligne de chant, il donne a son personnage toute l'ambiguïté félonne et calculatrice d'un parfait faux-ami rongé par l'orgueil culminant en un « Bella sicome un angelo » d'une joviale ironie.

Maria Laura Iacobellis mène déjà une très belle carrière dans la péninsule italienne ; c'est ce soir sa première apparition sur la scène mosane. Sa voix, très colorée dans le médium grave et d'une stupéfiante agilité dans les vocalises les plus stratosphériques, convient à merveille aux mille facettes du rôle de Norina. Tout au plus, postée à distance de la fosse pour son liminaire quel guardo cavaliere, elle nous apparaît un rien prudente au fil de la cabalette. Mais elle impose aussi une indéniable présence physique, passant avec une théâtralité millimétrée, au gré du deuxième acte, de la plus grand timidité à l'extraversion capricieuse la plus dévastatrice.

Globalement l'Ernesto de , ténor habitué de la scène liégeoise, nous a moins convaincu, dans le difficile rôle d'Ernesto. Certes il a la tessiture du rôle, mais le timbre manque de variété et de corsé : le grave de la tessiture est un peu gracile là où l'aigu nous apparaît un peu trop fragile. Certes, si le soin apporté à la ligne de chant est indéniable, et si l'expression demeure idoine, la justesse dans l'aigu est parfois mise à mal au gré de son long air Cerchero lontana terra. Si au dernier acte, il apparaît nettement plus à l'aise dans sa sérénade Com'e gentil, il déçoit quelque peu dans son duo avec Norina Tornami a dir, malgré toute l'attention musicale prodiguée par sa brillante partenaire. Mentionnons pour ses très brèves et truculentes intervention en notaire de pacotille, , soliste issus des chœurs – assez irréprochables pour leurs brèves  apparitions après l'entracte et préparés de fort belle manière par .

Si dans sa globalité, l'orchestre s'avère irréprochable d'engagement et de probité stylistique, il convient de mentionner les quelques solistes particulièrement sollicités, le trompettiste Senne La Meal pour toute l'introduction de l'acte II, les guitaristes Adrien Brogna et Hughes Kolp, outre la petite percussion Miguel Sanchez Cobo lors de la sérénade de l'acte III. En toute cohérence avec sa mise en espace bigarrée, Mirabelle Ordinaire les convoque tous sur scène pour animer, un peu plus encore, la rue.

Mais la  grande confirmation de la soirée vient du jeune chef péruvien , installé en Allemagne où il a glané de nombreux prix et où il est pour cette saison assistant de Kirill Petrenko à la Philharmonie de Berlin. C'est la première fois qu'il dirige à part entière l'orchestre de l'Opéra de Liège. Et pour un coup d'essai c'est un coup de maître. L'équilibre et la coordination entre la fosse et un plateau, pourtant ici très éclaté, sont absolument parfaits, et l'orchestre sonne avec une plénitude et une magnificence qu'on lui a rarement connues dans ce répertoire belcantiste, avec dès l'ouverture, une belle cohérence et un parfait dosage entre cordes soyeuses et petite harmonie très piquante. Mais on retiendra de cette direction inspirée son lyrisme naturel et son efficacité dramatique par une science éprouvée des contrastes. Voilà donc un chef déjà d'une étonnante et rayonnante maturité, sans doute promis à un très bel avenir, qui apporte par son charisme et sa précision, une superbe finition musicale ce beau spectacle.

Crédits photographiques  vues générales, & , Maria Laura Iacobellis &   © ORW-Liège/J.Berger

Modifié le 19/05/2025 à 22h15

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Liège. opéra Royale de Wallonie-Liège. 17-V-2025. Gaetano Donizetti (1797-1848) : Don Pasquale, opera buffa en trois acte sur un livret de Giovanni Ruffini, d’après Ser Marcantonio d’Angelo Anelli. Mise en scène : Mirabelle Ordinaire. Décors : Philippine Ordinaire. Costumes : Françoise Raybaud. Lumières: Nathalie Perrier. Assistante de mise en scène : Maud Morillon. Avec : Ambrogio Maestri : Don Pasquale; Maria Laura Iacobellis : Norina; Maxim Mironov : Ernesto; Marcello Rosiello : Dottor Malatesta; Benoît Delvaux : un notaire. Figurants : membres du Céjoli. Choeurs de l’Opéra Royal de Wallonie, préparés par Denis Segond. Orchestre de l’Opéra Royal de Wallonie, direction musicale : Dayner Tafur-Díaz

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