Opus féminins avec les Solistes de l’Intercontemporain
Sept compositrices sont à l'affiche du concert de l'EIC donné sur le plateau de l'Amphithéâtre de la Cité de la musique : l'effectif est certes restreint (du solo au quatuor) mais les œuvres d'une grande diversité, mêlant tous azimuts approches artistiques et styles d'écriture.

En solo
La lumière aidant, la première partie du concert est immersive, enchaînant les quatre premières pièces sans applaudissements.
Éclairée à jardin, la violoniste Hae Sun Kang donne en création mondiale Into the Shades, une pièce de la Slovène Nina Šenk qui lui est dédiée. Le solo est tiré du troisième concerto pour violon de la compositrice. On est d'emblée frappé par la dimension chorégraphique de la ligne dessinée par le violon voyageant avec souplesse du grave aux aigus stratosphériques de l'instrument. Des glissements sensuels relâchent parfois la tension, Hae Sun Kang et son superbe violon épousant la trajectoire expressive avec une élégance et un raffinement du timbre qui font merveille. À cour, c'est l'alto d'Odile Auboin qui prend le relai avec Mitsein – Preludio, la deuxième création de la soirée de la compositrice italienne Manuela Guerra, élève de Michael Jarrell et diplômée en 2022 de la HEM de Genève. Sur la voie du spectralisme, la pièce joue sur deux registres, les fondamentales graves de l'instrument, sondées avec vigueur par l'altiste, et la richesse des partiels tout en dentelle et délicatesse qui en résultent, Odile Auboin – à qui la pièce est dédiée – nuançant à l'envi les couleurs qu'elle tire de son alto.
En duo
Dans l'ombre, Hae Sun Kang a rejoint son partenaire violoncelliste Renaud Déjardin pour enchaîner avec Danses douces (2022) de Claire-Mélanie Sinnhuber. Il s'agit d'une suite de quatre danses sur le modèle baroque où l'équilibre métrique tient à un fil, toujours prêt à se dérégler : duo complice et sonorités délicates, musique volontiers répétitive qui oscille et agrandit son aire de jeu au fil des danses. La beauté nait des trouvailles sonores, tel ce bariolage derrière le chevalet (encore plus doux) sur les quatre cordes du violoncelle ou la constellation des pizzicati (main gauche et main droite) sur les deux instruments. À l'instar de Ravel, il y a, chez la compositrice, une appétence pour le monde de l'enfance et du merveilleux qui enchante nos oreilles.

Sauvage, comme son titre l'indique, Wild d'Édith Canat de Chizy convoque l'alto d'Odile Auboin et le violoncelle de Renaud Déjardin. Les deux instruments sont complémentaires voire en doublure pour impulser le mouvement, entretenir la tension et servir ce duo musclé avec une homogénéité et une plénitude du timbre remarquables. L'écriture incisive et le tracé sinueux des lignes contrastent avec des instants plus retenus. La percussion-résonance, engageant l'énergie du geste sur les cordes du violoncelle, au terme de la trajectoire, impressionne !
Théâtre sonore
Avec ses accessoires – un poste radio, des diapasons pour chaque instrumentiste – et ses effets de surprise, le trio à cordes Organique de l'Italienne Giulia Lorusso (et son amplification) constitue en soi un théâtre de sons. Les techniques de jeu étendues (pluie de « pizz » avec une baguette passée entre les cordes) au sein du trio forgent un espace de jeu intérieur que la compositrice confronte à des sources sonores extérieures, comme celle de cette radio (manipulée par Odile Auboin) qui, ce soir (par manque réseau dans l'amphithéâtre ?) ne donne à entendre qu'une trame sonore parasitée. Le halo des diapasons percutés par les trois interprètes fait valoir plus clairement ces différentes zones de résonance à travers lesquelles circule le discours musical.

On ne sait pas exactement ce qui a suscité le choix des quelques vers du Cid qui servent de support dramatique à Scène VI de Sofia Avramidou. Le plus important dans le processus de composition est bien cette manière de faire entendre ces deux alexandrins dits par Emmanuelle Ophèle à travers l'énergie du souffle et du jeu de la flûtiste : la performance de l'interprète est sidérante, spectaculaire et très drôle.
Si la trame poétique traverse également la pièce de Lisa Heute, compositrice et accordéoniste diplômée il y a peu du CNSMD de Lyon, le ton diffère et la manière tout autant dans Je demeure réunissant les quatre interprètes sur le plateau. La pièce emprunte son titre au célèbre poème de Guillaume Apollinaire Le pont Mirabeau ; les vers, prélevés librement des différentes strophes, circulent au sein du quatuor, d'une voix à l'autre, d'un registre à l'autre et génèrent des commentaires musicaux aussi sensibles qu'effusifs : l'écriture y est ciselée, la polyphonie dense et les lignes expressives. Nos musiciens tout terrain se prêtent superbement au jeu pour servir au mieux cette nouvelle version sonore du poème.
Si l'amphithéâtre quasiment plein offre un bel écrin à ce concert de musique de chambre 100 % féminin, on peut espérer que le cadre s'élargisse et que la musique des compositrices puisse être entendue aussi dans la Salle des concerts de la Cité de la Musique.









