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Œuf, sexe et cochons pour Lady Macbeth de Mzensk à Leipizig

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Leipzig. Opéra. 29-V-2025. Dimitri Chostakovitch (1906-1975) : Lady Macbeth de Mzensk, opéra en quatre actes sur un livret d’Alexandre Preis et du compositeur. Mise en scène : Francisco Negrin. Movement Director : Fin Walker. Décors : Rifail Ajdarpasic. Costumes : Ariane Isabell Unfried. Lumières : Michael Röger. Conception de vidéos et de toiles : Piedra Muda LAB. Dramaturgie : Marlene Hahn / Kara McKechnie. Avec : Dmitri Belosselskiy (Boris Timofeevich Ismailov) ; Matthias Stier (Zinovij Borisovitch Ismailov) ; Kristine Opolais (Katerina Ismailova) ; Pavel Černoch (Sergueï) ; Anke Krabbe (Aksinja) ; Dan Karlström (Le minable) ; Timothy Edlin (Gérant / Gardien) ; Christian Moellenhoff (Le domestique) ; Daniel Arnaldos (1er contremaître / cocher) ; Sven Hjörleifsson (2e Contremaître/enseignant) ; Einar Dagur Jónsson (3. Contremaître) ; Marian Müller (Messager (ouvrier d’usine); Ivo Stanchev (Pope) ; Franz Xaver Schlecht (Le chef de la police ) ; Vincent Turregano (L’agent de police) ; Ki Jun Jung (Invité ivre) ; Frank Wernstedt (Sergent) ; Nora Steuerwald (Sonjetka ) ; Peter Dolinšek (vieux travailleur forcé) ; Kamila Dziadko (travailleuse forcée) ; Dmitry Belosselskiy (L’esprit de Boris Timofeevich ) ; Chœur de l’Opéra de Leipzig, Chœur supplémentaire, Orchestre du Gewandhaus, direction musicale : Andris Nelsons

descend pour la première fois dans la fosse de l'Opéra de Leipzig, avec Lady Macbeth de Mzensk. dans le rôle-titre et  dans le rôle de l'amant assument crânement la frontalité crue de la mise en scène de .

En 1965, l'Opéra de Leipzig avait assuré la création est-allemande de Katerina Ismailova, la version remaniée et autorisée de Lady MacBeth de Mzensk. C'était quinze ans après la venue de Chostakovitch pour le bicentenaire de la mort de JS Bach. Leipzig aura attendu près de 60 ans pour monter en 2024 une nouvelle production, en optant à son tour pour la version originale de 1934. Le metteur en scène , un temps l'assistant de Gérard Mortier et de Patrice Chéreau, couvre tout le répertoire de l'opéra depuis le baroque, et affectionne le grand spectacle, de la Fashion Week à Paris pour Louis Vuitton à Holiday on Ice, en passant par les cérémonies officielles dans les stades à Dubaï ou au Turkménistan.

Pour Lady MacBeth, sa proposition vise au spectaculaire, classique, sans transposition, tout en ménageant quelques beaux effets autour des thèmes de la fertilité/stérilité et de la soif d'argent. Le premier tableau montre sur un premier plan la chambre de Katerina Ismailova, lieu où tout se jouera. Toute en bois, elle est surmontée d'une série d'escaliers où évoluent les personnages et de deux roues de moulin, tournant avec leurs sacs de farine à la façon d'engrenages, symbolisant un destin inexorable déjà en marche. Au milieu de cette sorte d'échafaudage trône un immense œuf de Fabergé, symbole de richesse, puissance et fertilité, que l'héroïne brisera quand elle décidera de rompre son ennui, attirée par Serguei. Les vêtements des ouvriers de la ferme sont faits dans la toile de jute des sacs de farine, tandis que les personnages principaux se démarquent en redingote et manches bouffantes pour les hommes quand Katerina Ismailova arbore jupes volantées, tresses ou coiffe de matriochka. Les lumières (Michael Röger), sans surprise, se teintent de rouge une fois le meurtre du beau-père accompli ou curieusement suivent les personnages de façon trop appuyée façon… Holiday on Ice. À l'Interlude – Passacaille décisif de l'Acte 2, tout le décor recule, comme un monde qui disparait, de façon saisissante, faisant apparaître une fosse qui recèle le corps du beau-père assassiné par le couple maudit. Le septième tableau est une autre réussite avec le bureau de police qui descend des cintres, puis y remonte de façon spectaculaire, les policiers à masques de cochons, symbole de cupidité, se livrant à une danse comique qui répond à la musique grinçante. Au dernier acte, le trou qui représentait la cave se transforme en lac tournoyant où vient se noyer Sonietka tandis que le metteur en scène prend ses distances avec le livret en épargnant Katerina. Sur les dernières notes de l'œuvre, ce sont l'ensemble des prisonniers – dont Katerina – qui disparaissent petit à petit en s'enfonçant dans ce trou. La littéralité dans une musique aussi expressive a le mérite de l'efficacité, mais cette approche atteint ses limites dans les deux scènes du viol de la cuisinière Aksinja et de la scène de sexe de Katerina avec son amant.

La question de la représentation de la violence sexuelle et du plaisir féminin

Staline avait dénoncé le caractère pornographique de la musique de Chostakovitch. Le fait est que la musique de ces deux scènes est hautement suggestive. Cela n'a pas peu contribué à ce que Staline interdise l'opéra, avant que Krouchtchev l'autorise en 1962 sous la forme édulcorée de Katerina Ismailova. Avec Lady MacBeth, chaque metteur en scène est confronté à cette question : faut-il représenter sur scène toute la violence sexuelle décrite par la musique ? s'inscrit dans la lignée frontale et brutaliste des Martin Kusej en 2006 à Amsterdam (DVD Opus Arte, Clef ResMusica), Krzysztof Warlikowski en 2019 à Paris et Calixto Bieito à Genève en 2023, qui ont signé des propositions marquantes. Pour la représentation du viol, Negrin s'arrête à mi-parcours de la musique, ce qui n'est pas satisfaisant, il aurait été préférable de trouver une représentation qui soit soutenable sur l'ensemble du tableau. Pour la scène de sexe, Katerina et Sergueï se livrent à une performance avec autant de positions de coït que la musique en semble suggérer (soit trois). Admettons. Le problème est dans la représentation de la gradation du plaisir : l'amant force d'abord sa partenaire, puis celle-ci prend le dessus sur lui (au sens figuré et littéral) et semble trouver la jouissance. Disons-le tout net : cette représentation de la pénétration forcée comme déclencheur du plaisir féminin est aussi répandue qu'archaïque et dangereuse, et ne devrait plus avoir sa place sur scène.

L'équipe de production a d'ailleurs elle-même identifié le problème, à défaut de le traiter correctement. Ainsi un coordinateur d'intimité a été nommé, le chorégraphe Fin Walker, dont le rôle est pudiquement mentionné au programme sous le titre anglais de « Movement Director » (Directeur de mouvement). Et le programme de 38 pages en consacre 3 à la question de la violence sexuelle en ligne et aux suicides féminins qui en résultent, dans un article intitulé Le pouvoir de l'humiliation. Seule explication à la présence de ce texte, l'Opéra de Leipzig aura voulu se protéger du reproche que cette production représente une vision patriarcale et toxique de la sexualité. Si la musique est ambiguë, Francisco Negrin aurait dû relire le Cardinal de Retz : on ne sort de l'ambiguïté qu'à son détriment.

Un engagement à fond de la fosse jusqu'aux balcons

se définit comme une actrice-chanteuse, et elle dispose en effet de ces deux dimensions indispensables pour restituer le rôle de Katerina. La richesse de ses phrasés, ses aigus projetés avec assurance, son timbre homogène sur toute la tessiture, sont autant de qualités à partir desquelles elle livre ce soir une démonstration d'engagement scénique impressionnante, et forme avec en Sergueï un couple d'une grande vérité érotique et dramatique. Ce dernier est à la hauteur de sa partenaire, la souplesse de la voix et la vaillance conquérante de ses aigus dessine un Sergueï sûr de sa séduction et manipulateur en diable, comme on l'avait déjà salué en 2019 à Bastille. avec sa basse profonde qui remplit tout le théâtre est, dans le rôle du beau-père, l'incarnation du patriarcat sûr de ses principes, brutal et libidineux. Le reste de la distribution est convaincant, chacun caractérisant son personnage avec acuité, Matthias Stier en mari faible de caractère et impuissant, Merit Nath-Göbl criante de vérité pour la cuisinière Aksinya innocente et empathique, Frank Wernstedt en chef de police-Dracula assoiffé d'argent ou encore Dan Karlström en Balourd miteux, sorte d'idiot du village qui trouve la vérité et précipite l'action. Aucun maillon faible dans la distribution, tout juste les chœurs sont scéniquement quelque peu raides dans leur chorégraphies.

Dans la fosse, a bénéficié de l'annulation du directeur musical Christoph Gedschold, ce qui lui permet d'ajouter cet opéra à son marathon symphonique du Festival Chostakovitch. Il est à son affaire dans cet opéra orchestralement haut en couleurs, et il augmente l'effet de sa direction déjà naturellement dynamique et éclatante par un effet de spatialisation spectaculaire dans les climax orchestraux, en positionnant les cuivres dans les deux balcons latéraux au-dessus du Parkett. La salle n'est pas loin d'éclater sous la pression des cuivres lors de la Passacaille de l'Acte 2 et de la descente de police (littéralement) à l'Acte 3, mais c'est d'un excès jubilatoire.

Crédits photographiques : photo 1 © Tom Schulze ; photo 2 © Kirsten Nijhof 

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Leipzig. Opéra. 29-V-2025. Dimitri Chostakovitch (1906-1975) : Lady Macbeth de Mzensk, opéra en quatre actes sur un livret d’Alexandre Preis et du compositeur. Mise en scène : Francisco Negrin. Movement Director : Fin Walker. Décors : Rifail Ajdarpasic. Costumes : Ariane Isabell Unfried. Lumières : Michael Röger. Conception de vidéos et de toiles : Piedra Muda LAB. Dramaturgie : Marlene Hahn / Kara McKechnie. Avec : Dmitri Belosselskiy (Boris Timofeevich Ismailov) ; Matthias Stier (Zinovij Borisovitch Ismailov) ; Kristine Opolais (Katerina Ismailova) ; Pavel Černoch (Sergueï) ; Anke Krabbe (Aksinja) ; Dan Karlström (Le minable) ; Timothy Edlin (Gérant / Gardien) ; Christian Moellenhoff (Le domestique) ; Daniel Arnaldos (1er contremaître / cocher) ; Sven Hjörleifsson (2e Contremaître/enseignant) ; Einar Dagur Jónsson (3. Contremaître) ; Marian Müller (Messager (ouvrier d’usine); Ivo Stanchev (Pope) ; Franz Xaver Schlecht (Le chef de la police ) ; Vincent Turregano (L’agent de police) ; Ki Jun Jung (Invité ivre) ; Frank Wernstedt (Sergent) ; Nora Steuerwald (Sonjetka ) ; Peter Dolinšek (vieux travailleur forcé) ; Kamila Dziadko (travailleuse forcée) ; Dmitry Belosselskiy (L’esprit de Boris Timofeevich ) ; Chœur de l’Opéra de Leipzig, Chœur supplémentaire, Orchestre du Gewandhaus, direction musicale : Andris Nelsons

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