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Formidable Lady Macbeth de Mzensk à Genève

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Genève. Grand-Théâtre. 30-IV-2023. Dmitri Chostakovitch (1906-1975) Lady Macbeth de Mzensk, opéra en quatre actes et neuf tableaux sur un livret du compositeur et d’Alexandre Preis d’après la nouvelle éponyme de Nikolaï Leskov. Mise en scène : Calixto Bieito. Décors : Rebecca Rings. Costumes : Ingo Krügler. Lumières : Michael Bauer. Dramaturgie : Bettina Auer. Avec : Aušrinė Stundytė, Katerina Lvovna Ismaïlova ; Dmitry Ulyanov, Boris Timoféiévitch Ismaïlov ; John Daszak, Zinovi Borissovitch Ismaïlov ; Ladislav Elgr, Sergueï ; Julieth Lozano, Aksinia ; Kai Rüütel, Sonyetka ; Michael Laurenz, Le Balourd Miteux ; Alexander Roslavets, Le Pope, Un vieux Forçat ; Alexey Shishlyaev, L’Inspecteur de la police ; Omar Mancini, 3eme Commis, L’Ivrogne, Le Maître d’école ; Vladimir Kazakov, Le Portier ; Marin Yonchev, 1er Commis ; Georgi Sredkov, 2e Commis ; William Meinert, Le Meunier ; Igor Gnidii, Le Régisseur ; Aleksandar Chaveev, Un policier, Un sergent ; Anna Samokhina, Une détenue ; Dimitri Tikhonov, Une sentinelle. Chœur du Grand Théâtre de Genève (chef de chœur : Alan Woodbridge). Orchestre de la Suisse Romande. Direction musicale : Alejo Pérez.

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Près de dix ans après sa création au Vlaamse Theater, la reprise de la production du metteur en scène du Lady Macbeth de Mzensk de sur la scène du Grand Théâtre de Genève conserve une force émotionnelle et dramatique dévastatrice.

Katerina Lvovna Ismaïlova, jeune femme a épousé le veuf Boris Timoféiévitch Ismaïlov de plus de vingt ans son aîné. Son père, Zinovi Borissovitch Ismaïlov fait peser plus encore que son fils, le joug d'un patriarcat possessif et malfaisant sur sa bru. Dévorée par l'ennui, elle succombera aux avances de Sergueï à la réputation de coureur de jupons. Cet amour charnel amènera la jeune femme au meurtre de son beau-père, puis, avec la complicité de son amant, à celui de son mari. Leurs méfaits découverts le jour de leur mariage, ils seront envoyés au bagne. Durant cet exode, Sergueï délaissera sa femme pour séduire une codétenue que Katerina tuera avant de se suicider.

En confiant la direction scénique de Lady Macbeth de Mzensk de Chostakovitch au metteur en scène espagnol , on savait que ses scènes ne laisseraient personne indifférent. On aurait même parfois pu craindre qu'il se laisse emporter par des excès allant au-delà de ce qu'il veut raconter. Mais rien de tel ici. Certes, le sujet de cette intrigue est loin des fleurettes dont l'opéra du 19ème siècle nous abreuve. Pas de baise-main, pas de déclarations enflammées d'amoureux transis, pas de faux-fuyants, ici on baigne dans un monde froid et brutal qui ne laisse que peu de temps à la rêverie.

Si les scènes de reflètent parfaitement ces atmosphères misérables et dramatiques, c'est bien la musique de Chostakovitch qui les suggèrent tout au long de l'opéra. Le compositeur y dépeint déjà les climats grotesques que lui inspirent les situations qu'il observe autour de lui. Au-delà de l'intrigue tragique qui entoure les deux amants, le compositeur s'empare de cette histoire pour y accoler sa réflexion amusée sur les administrations gouvernementales en gaussant leurs lourdeurs imbéciles. Avouons que dans la mise en scène de ces ambiances annexes, Calixto Bieito nous apparait moins inspiré que lorsqu'il montre la passion des amants. Il propose quelques images malheureuses et inutiles comme ce viol d'un homosexuel par les policiers alors qu'en réalité le livret annonce l'arrestation d'un nihiliste. On pourrait aussi s'interroger sur la pertinence du décor au démontage duquel on assiste (longuement) en direct pour que, des appartements de Katerina et son mari, et celui de son beau-père, on passe à une squelettique structure métallique suggérant une prison dans laquelle errent les condamnés. Peut-être qu'une surface plus ample, voire déserte aurait été plus adéquate que cet enchevêtrement d'escaliers et poteaux en métal rendant le mouvement de foule quelque peu confus.

Hormis ces quelques restrictions, force est de louer la formidable direction d'acteurs de Calixto Bieito. Combien de fois a-t-on vu des mises en scènes d'opéra où les protagonistes n'investissaient pas ce que raconte le livret, voir les désirs du metteur en scène ? Avec Calixto Bieito, ses personnages ne minaudent pas. Où que le regard se pose, aucun personnage, du plus insignifiant au plus important ne reste dans l'inaction. Dans cet univers fruste, excessif, le metteur en scène pousse les protagonistes vers les extrêmes de la violence. Ainsi, ses scènes sont-elles souvent empreintes d'un réalisme cinématographique. Les deux amants, mus par le désir sexuel l'un vers l'autre, n'hésitent pas à montrer leur nudité. Si ces scènes se multiplient tout au long de l'opéra, pour sexuelles qu'elles soient, jamais elles ne choquent parce que, dénuées de vulgarité, elles sont jouées avec un investissement théâtral total.

A ce jeu, il faut souligner la prestation des deux principaux protagonistes qui déjà faisaient partie de la distribution de 2014 à Anvers. Outre leur présence scénique sans faille, leur caractérisation s'avère remarquablement précise. Rarement couple n'est apparu aussi attaché l'un à l'autre et à la fois aussi distant dans le but qu'ils poursuivent. Katerina en quête désespérée de l'amour, prête à éliminer quiconque se porterait en travers de son désir, conserve cependant le regard constamment halluciné par la vision de son mari et de son beau-père assassinés. D'autre part, Sergueï, sûr de lui, fier de son succès auprès des femmes, presque indifférent aux attentions amoureuses de sa maîtresse, déambule avec une indifférence de circonstance.

Vocalement, (Katerina Lvovna Ismaïlova) délivre une performance d'exception. Faisant sien le rôle (qu'elle a aussi tenu lors des représentations parisiennes de cette oeuvre mise en scène par Warlikowski en 2019), la soprano lituanienne fait montre d'une santé vocale insolente. Ne quittant pratiquement pas la scène, elle offre un instrument vocal d'une rare solidité. Capable de beaux pianissimo comme de projections puissantes, la densité de sa voix n'a d'égale que l'engagement physique de son jeu scénique. Lorsque dans une ultime scène, (après deux heures et demie de spectacle intense) couchée dans une glaise boueuse, elle saisit sa rivale pour l'étouffer, peu de gens aimeraient être entre les serres de ses bras.
A lui donner la réplique, Ladisslav Elgr (Sergueï) s'engage sans compter tant théâtralement que vocalement. Ne se ménageant pas plus que sa compagne de scène, il déambule vêtu de sa fierté en offrant juste ce qu'il faut pour conserver son image de mâle conquérant.

Dans cette distribution superbement équilibrée, on remarquera l'impétuosité du ténor anglais (Zinovi Borissovitch Ismaïlov) par ailleurs lui aussi faisant partie de la distribution parisienne citée plus haut. La basse (Boris Timofeevich Ismaïlov), autre habitué du rôle, avec sa voix ample et puissante campe un détestable beau-père, patriarche tout puissant à la main baladeuse. Remarquable est la prestation du ténor (Le Balourd Miteux), impétueux vocalement, déjanté scéniquement, apportant une note de fraîche folie dans ce drame noir et angoissant. A noter encore la basse vocalement très touchant dans sa complainte du vieux forçat, plus habité que dans son rôle de Pope ivre.

Impressionnant à son tour le qui, une fois de plus se montre capable d'une extrême musicalité même lorsqu'il est sollicité dans le plus fort volume sonore. Dans la fosse, l' nous apparait inégal. Non tant dans l'expression musicale mais dans l'émission de ses pianissimo souvent inaudibles aux oreilles du parterre. Reste que la direction d'orchestre du chef argentin , pour efficace et précise qu'elle soit, manque parfois de la folie qu'on aime à espérer dans l'écoute des partitions de Chostakovitch.

Visiblement exténués, les protagonistes reçoivent une ovation nourrie de la part du public quand bien même une bonne partie du parterre manque à l'appel. Dommage car la qualité de ce spectacle mérite qu'on s'y attarde.

Crédit photographique : GTG © Magali Dougados

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