Brahms en majesté grâce à Gardiner et au Concertgebouw d’Amsterdam
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Johannes Brahms (1833-1897) : Symphonies n°1 à 4. Orchestre royal du Concertgebouw d’Amsterdam, direction: John Eliot Gardiner. 3 CD Deutsche Grammophon. Enregistré au Concertgebouw d’Amsterdam entre septembre 2021 et janvier 2023. Notice en anglais et en allemand. Durée totale : 2h38
Deutsche GrammophonAprès une première intégrale des symphonies de Brahms avec l’Orchestre Révolutionnaire et Romantique (Soli Deo Gloria) gravée il y a presque deux décennies, John Eliot Gardiner enregistre à nouveau ce répertoire, mais à la tête du Concertgebouw d’Amsterdam. Une incontestable réussite.
Il est devenu presque banal que les grands chefs qui firent tant pour l’interprétation « historiquement informée », gravent à nouveau les mêmes œuvres du répertoire romantique, mais avec des phalanges traditionnelles. Gardiner l’entreprit déjà pour les symphonies de Schumann (LSO).
La première version de ses Brahms gravée pour SDG ne laissa pas un souvenir impérissable : avec douze premiers violons, les tensions devenaient acides, les bois étaient artificiellement survalorisés. Il nous fut cependant épargné comme chez Norrington, les cuivres pétaradants et les timbales sautillant “à la mode baroque”.
Il en va tout autrement avec la lecture qui paraît aujourd’hui. Non seulement, les effectifs sont plus en adéquation avec la sonorité que réclame les partitions, mais la tradition au sens le plus noble du terme marque l’orchestre dont les qualités ne sont plus à démontrer. Qui plus est, Gardiner joue à la fois de la dimension dansante très Mitteleuropa – on songe à Dvořák – et d’une expression sans cesse tournée vers le chant. N’oublions pas que Brahms préféra diriger plus souvent des chœurs (Hambourg, Detmold, Vienne, etc.) que des orchestres symphoniques.
La beauté de l’orchestre (quelles basses et quels bois!) enchante le premier mouvement de la Symphonie n° 1. Les tempi sont comparables à ceux de l’Orchestre Révolutionnaire et Romantique. Mais, ici, la tension est soutenue avec souplesse et élégance. Gardiner expose sa conception dans le livret : « il s’agit de la poursuite de mes découvertes sur le son, l’articulation et l’interprétation entreprises dans le passé, transposées à un orchestre d’instruments modernes. » La recherche incessante de la vocalité s’imprime dans une vision narrative et tragique. Contrairement à bien des lectures récentes – la comparaison avec la récente intégrale de Nézet-Séguin avec l’Orchestre de chambre d’Europe (DGG) est édifiante – des touches de couleurs apparaissent avec une verve pittoresque et pourtant sans recherche d’effets gratuits. L’entrée du hautbois dans une phrase portée par les cordes, par exemple, apparaît avec naturel parce que la phrase respire “vocalement”. De même, les chorals de cuivres du finale apportent une dimension altière, mais jamais cassante. Est-ce le bénéfice de la tradition du Concertgebouw, aussi différentes soient les lectures certaines de référence, de cette symphonie, sous les baguettes de Mengelberg (1930, 1940) à Jansons (2005, aussi en concert la même année) en passant par Karajan (1943), Furtwängler (1951), Beinum (1951, 1958), Monteux (1963), Haitink (1972) et Chailly (1990) ?
Les tempi de la Symphonie n° 2 sont plus rapides qu’avec l’Orchestre Romantique et Révolutionnaire. Les contrastes n’en possèdent pas moins une densité et une saveur supérieures, que l’on apprécie d’autant plus que la prise de son est aussi précise que chaleureuse. Gardiner crée de véritables atmosphères pastorales, plus encore viennoises que dans l’opus précédent. Les respirations sont harmonieuses grâce à des pupitres de bois fruités et à un élan rythmique délicat et souple. Une souplesse à ce point maîtrisée, que la projection sonore du premier mouvement de la Symphonie n° 3 fait songer au panache de quelques poèmes symphoniques de Richard Strauss ! Par un choix de tempi alertes, Gardiner contrôle le rubato, celui-ci devenant simplement un élément de couleurs. Mais, à force de redouter le moindre pathos, il cède parfois en force expressive ce qu’il gagne, par ailleurs, en brillance.
La clarté de la direction et, une fois encore, l’étagement des plans sonores souligne la richesse des voix intermédiaires, la noblesse du chant intérieur dans la Symphonie n° 4. Le lyrisme y est tenu avec un charme fou. Tout le premier mouvement danse littéralement : comment ne pas songer encore au Dvořák de sa Symphonie n° 8 ? Parfois, Gardiner augmente le tempo comme s’il se laissait entraîner devant l’ivresse de la matière sonore. Les rythmes piqués du troisième mouvement et les interventions solistes si délicieuses composent une sorte de théâtre sonore, que l’on n’a guère entendu que chez Haitink (cette fois-ci avec Boston), Chailly, Jochum, Karajan et Kertesz. Le scherzo est d’une veine populaire teintée d’une énergie parfois démoniaque. Quant au finale, l’exaltation traverse toute les variations de cette page. Un grand et rare frisson culmine dans cette intégrale chaudement recommandée.
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Johannes Brahms (1833-1897) : Symphonies n°1 à 4. Orchestre royal du Concertgebouw d’Amsterdam, direction: John Eliot Gardiner. 3 CD Deutsche Grammophon. Enregistré au Concertgebouw d’Amsterdam entre septembre 2021 et janvier 2023. Notice en anglais et en allemand. Durée totale : 2h38
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