L’amour de Danae à Munich : le crépuscule de l’or
Que ne faut-il aller en Allemagne pour écouter Richard Strauss, finalement bien peu représenté en France ! L'amour de Danaé est une œuvre de surcroît peu connue, et pourtant pas des moins inspirées du compositeur.

Le livret de Josef Gregor n'est pas certes aussi avisé que ceux du plus habituel compagnon de Richard Strauss, Hugo von Hofmannsthal. A l'origine pensé comme divertissement court, l'écriture s'étendra pour atteindre près de 2h40, dont la création devra attendre 1952, trois ans après la mort de Richard Strauss. L'action est filandreuse, difficle à appréhender, avec l'intervention de nombreux personnages secondaires. Elle est surtout à l'arrêt au troisième acte où il ne se passe plus grand chose, si ce n'est un long duo qui confirme l'amour de Danae envers Midas. S'entremêlent la problématique de l'argent (ou plutôt de l'or, car Midas change en or tout ce qu'il touche), du pouvoir et de l'amour. Rien que de très habituel dans l'écriture d'un opéra mais ce qui impressionne le spectateur avant tout est cette versatilité de talents dont Strauss use, malgré la splendeur orchestrale derrière laquelle il pourrait se cacher. L'intelligence du compositeur lui autorise toutes les audaces dans cette œuvre un peu inconsistante et particulièrement déséquilibrée. Mais qu'importe ! Ici, on entend des réminiscences du Rheingold de Wagner (ce que le metteur en scène tient à filer en métaphore), une critique du capitalisme et avec un humour corrosif dans la ligne droite des personnages drolatiques du Rosenkavalier.
Cette production donnée au Bayerische Staatsoper en février dernier est reprise pour le festival. La mise en scène de Claus Guth est particulièrement bien réussie insérant l'action dans une tour de bureaux à New-York (on pense inévitablement au World Trade Center quand un avion en or amenant Midas survole la ville). Castor (le père de Danae) y est un Donald Trump après lequel les créanciers courent pour se faire payer leurs échéances, finissant par s'arracher entre eux documents, papiers et billets de banque. La troisième partie voit venir la destruction : faux plafonds éventrés, tuyaux percés et fuyants. Daphné est choisie sur catalogue, telle une mannequin que l'on modèle, à qui l'on apprend à marcher, à se maquiller, afin de s'insérer dans ce monde où le libéralisme est critiqué de façon sous-entendue. Au-dessus de ces bureaux se trouve un bandeau hors du cadre de la scène où se déroulent d'autres intrigues de nature divine : Junon qui y allume une cigarette, ce qui provoque foudre et éclair sur Terre, les interventions de Mercure, ou enfin les réflexions de Jupiter sur le monde tel qu'il va.
La dimension comique de la pièce est apportée par les anciennes prétendantes de Jupiter qui appuient musicalement le libertinage du dieu de l'Olympe et accueillent Danae dans leur trajectoire commune de séduction. La lecture de Claus Guth faisant de Jupiter une sorte de Wanderer qui observe l'union inséparable entre Midas et Danae fournit le moteur d'une action souvent à l'arrêt mais dont l'intérêt reste présent par toutes ces trouvailles.

L'orchestre est le premier triomphateur de la soirée. L'homogénéité du tissu orchestral permet d'en distinguer chacun des pupitres, tant au niveau du soyeux des cordes que de la rondeur des cuivres. Strauss sait étonner l'auditeur, il faut pour cela un orchestre qui sache tenir la distance et c'est au moment des derniers accords pour l'on observe le chemin parcouru avec tant de raffinement. Vocalement, Christophe Maltman est un Jupiter claironnant dont la tessiture ne semble rien redouter : il affronte de façon impériale tous les écueils (les écarts de tessiture notamment dans le dernier acte) tout en sachant user de préciosité avec ses prétendantes qui finalement lui échappent totalement : le baryton a la voix présente et particulièrement bien timbrée. Malin Byström en Danae, après un lent échauffement en début de spectacle laisse entendre un allemand très correct, une voix homogène et relativement puissante avec un souffle bien maîtrisé. Andreas Schager ne peut rien lui disputer au niveau de la puissance vocale. On connaît le ténor dans les rôles wagnériens et il déclame avec la même facilité le rôle de l'amoureux transi que s'il s'agissait de Tristan. Ya-Chung Huang en Merkur est un ténor de caractère qui impose rapidement son personnage et permet un contrepoint facétieux à l'action dramatique (dont on peut tracer un parallèle avec le Loge du Rheingold).
Les images finales de l'oeuvre sont celles d'un film de Richard Strauss dans son jardin fleuri à Garmisch face aux ruines allemandes de la fin de la guerre, ouvrant une interrogation et de nombreuses interprétations laissées au soin du spectateur, en parallèle de la soirée qu'il vient de vivre.
Offrant une sorte de réponse à la Tétralogie, L'Amour de Danaé explore le choix de l'amour face à la volonté du pouvoir ou bien l'asservissement à l'argent. Quand mise en scène et rendu musical se tiennent la main de façon aussi cohérente, on ne peut que regretter de ne pas voir plus souvent cette œuvre sur scène.
Crédits photographiques : © G. Schied, Malin Byström © M.Ritterhaus
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