La Scène, Opéra, Opéras

À Luxembourg, Idoménée encordé dans les fils du destin

Plus de détails

Luxembourg. Grand-Théâtre. 16-X-2025. Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) : Idomeneo, rè di Creta, opera seria en trois actes sur un livret de Giambattista Varesco. Mise en scène : Sidi Larbi Cherkaoui. Scénographie : Chiharu Shiota. Costumes : Yuima Nakazato. Lumières : Michel Bauer. Avec Bernard Richter, ténor (Idomeneo) ; Josy Santos, mezzo-soprano (Idamante) ; Jacquelyn Wagner, soprano (Elettra) ; Anna El-Khashem, soprano (Ilia) ; Linard Vrielink, ténor (Arbace) ; Jason Bridges, ténor (Grand Prêtre de Neptune) ; William Meinert, basse (L’Oracle) ; Mayako Ito, soprano et Mi-Young Kim, alto (Deux Crétoises) ; David Webb, ténor et Rodrigo Garcia, basse (Deux Troyens). Chœur du Grand Théâtre de Genève (chef du chœur : Mark Biggins). Luxembourg Philharmonic, direction : Fabio Biondi

Partager

Belle reprise, avec une distribution renouvelée, du spectacle précédemment donné à Genève, dans une mise en scène chorégraphiée qui redonne à l'Idomeneo de Mozart toute la violence du mythe originel.
Créé à Genève en février 2024, le spectacle de n'avait pas plu à tout le monde, notamment en raison des libertés prises avec le texte et le traitement de l'intrigue. Ces dernières, en fonction desquelles Idoménée laisse mourir Idamante et Ilia avant d'épouser Elettra, ne seraient d'après le metteur en scène et chorégraphe qu'une manière de retourner au mythe originel, non édulcoré par l'idéologie des Lumières du XVIIIe siècle et la tradition du lieto fine de l'opera seria. « Lisez la tragédie française », précisait le programme destiné au public de la création de l'opéra de Mozart en 1781 ; on se souvient que chez Campra Idamante est effectivement tué par son père… De fait, les couleurs rouge sang qui envahissent le plateau, auxquelles se mêlent le noir, le blanc et diverses nuances de gris, marquent elles aussi ce retour à la brutalité du mythe. Elles sont soulignées par les superbes éclairages de Michel Bauer, ainsi que par la chorégraphie très hachée de , laquelle va jusqu'à affecter la gestuelle des solistes vocaux. Ces choix esthétiques sont en parfait accord avec l'admirable scénographie de la plasticienne japonaise , qui déploie sur le plateau de superbes réseaux de fils, filets, maillages et cordages tombés des cintres, métaphores des différentes situations dramatiques et psychologiques traversées par les personnages de l'opéra, mais également des éléments visuels capables de dessiner l'ensemble de l'espace scénique et de ses accessoires. Ces fils peuvent tout aussi bien représenter les chaînes qui emprisonnent les esclaves troyens exilés, que celles unissant les Crétois à la cité mise à feu et à sang ; ils peuvent figurer les liens affectifs reliant différents personnages entre eux, tout comme ils marquent les fils du destin dans lesquels s'empêtrent un à un les personnages de la tragédie. Dans la tradition japonaise, le fil rouge au petit doigt de chaque enfant nouveau-né établit un lien avec la personne qu'il est destiné à rencontrer au cours son existence. De façon plus triviale, les fils peuvent également tracer le mouvement des vagues de la mer qui accompagnent dans son exil l'air de la princesse Ilia « Se il padre perdei », ou alors figurer tempête et la mer démontée qui s'abattent sur la flotte d'Idomeneo. Ces choix esthétiques, qui certes privilégient la beauté plastique sur la cohérence de la narration, nous valent une succession de moments de pure poésie, à l'image de l'air d'Ilia au troisième acte, quand une spirale en métal descendue des cintres devient le temps de l'aria le vent auquel la princesse confie ses sentiments. Autre grand moment, le fameux « Fuor del mar » d'Idomeneo, chanté dans la carcasse d'une barque prise par les éléments, métaphore de la situation traversée à ce moment par le personnage. Ces moments d'exception hanteront longtemps la mémoire du spectateur comme des instants de pure magie au service d'une musique dont les éléments visuels soulignent l'étonnante modernité.

Le plaisir eût été total si la distribution avait été tout à fait à la hauteur de la beauté du spectacle même si l'ensemble reste certes de bonne tenue. Seul rescapé, parmi les têtes d'affiche, des représentations genevoises, livre une prestation de bon niveau, malgré un timbre un peu sec et des vocalises légèrement savonnées. On lui préfèrerait presque, en Arbace, le velouté du ténor , qui parvient à faire de son dernier air un moment de pure magie vocale. Très mise en avant dans cette mise en scène, offre en Idamante un beau mezzo richement timbré dont elle use avec goût et délicatesse. Petite déception chez les deux sopranos, avec une clairement insuffisante en Elettra, et une excessivement légère en Ilia, personnage à laquelle elle apporte néanmoins le cristal de son timbre et l'élégance de ses phrasés. Très belle interprétation du Chœur du Grand Théâtre de Genève, ainsi que du Luxembourg Philharmonic placé sous la direction de . Quelques décalages, sans doute imputables à des contraintes scéniques d'une grande complexité, n'auront en rien gâché la cohérence de la vision d'ensemble, saluée avec enthousiasme par un public plutôt avare d'applaudissement à la fin des airs, mais visiblement conquis en fin de soirée si l'on en juge par la longueur et l'intensité des saluts.

Crédit photographique : GTG © Magali Dougados

(Visited 212 times, 1 visits today)
Partager

Plus de détails

Luxembourg. Grand-Théâtre. 16-X-2025. Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) : Idomeneo, rè di Creta, opera seria en trois actes sur un livret de Giambattista Varesco. Mise en scène : Sidi Larbi Cherkaoui. Scénographie : Chiharu Shiota. Costumes : Yuima Nakazato. Lumières : Michel Bauer. Avec Bernard Richter, ténor (Idomeneo) ; Josy Santos, mezzo-soprano (Idamante) ; Jacquelyn Wagner, soprano (Elettra) ; Anna El-Khashem, soprano (Ilia) ; Linard Vrielink, ténor (Arbace) ; Jason Bridges, ténor (Grand Prêtre de Neptune) ; William Meinert, basse (L’Oracle) ; Mayako Ito, soprano et Mi-Young Kim, alto (Deux Crétoises) ; David Webb, ténor et Rodrigo Garcia, basse (Deux Troyens). Chœur du Grand Théâtre de Genève (chef du chœur : Mark Biggins). Luxembourg Philharmonic, direction : Fabio Biondi

Partager

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Reproduire cet article : Vous avez aimé cet article ? N’hésitez pas à le faire savoir sur votre site, votre blog, etc. ! Le site de ResMusica est protégé par la propriété intellectuelle, mais vous pouvez reproduire de courtes citations de cet article, à condition de faire un lien vers cette page. Pour toute demande de reproduction du texte, écrivez-nous en citant la source que vous voulez reproduire ainsi que le site sur lequel il sera éventuellement autorisé à être reproduit.