Ouverture du festival des musiques sacrées à Mons : l’ensemble Musiques Nouvelles en quête d’absolu
Pour le concert d'ouverture de sa sixième édition le Festival des Musiques Sacrées invite l'ensemble Musiques Nouvelles dirigé par Jean-Paul Dessy. Au programme : des œuvres iconiques de James Macmillan, Arvo Pärt et surtout Les Sept paroles du Christ en Croix de Sofia Gubaidulina.

Ce lundi, dans la somptueuse acoustique de la salle Arsonic de Mars – Mons arts de la scène, c'est à l'ensemble Musiques Nouvelles que revient le privilège d'ouvrir cette intense semaine spirituelle et musicale, par la rencontre de trois compositeurs diversement inspirés par la foi et la culture chrétienne dans sa diversité..
En guise de monumental prélude, quoi que de plus inspirant et de révélateur que I (A mediation on Iona) de l'Ecossais catholique dominicain James MacMillan, pour cordes et percussions, composée en 1996 et donnée ce soir en création belge. Peu couru de notre côté du Channel, alors qu'il est fréquemment joué, fêté en Grande-Bretagne et adulé en Ecosse, le compositeur livre une œuvre ambivalente, à la fois profondément méditative par son concept religieux crypté et intrinsèquement tourmentée par l'évocation quasi cinématographique des paysages sauvages et rudes, ceux de cette l'île des Hébrides intérieures, Iona, plaque tournante de l'évangélisation de l'Ecosse et de l'Irlande et lieu d'ancrage de l'évangélisation des Celtes. Habilement, Macmillan tresse sa partition de motifs récurrents aisément repérables, au gré d'une structure à la fois cyclique et épisodique, alternant calme, statisme et dynamique plus assertive, grands à-plats de cordes et solos de violon ou d'alto (magnifiques David Nuñez et Maxime Désert), fracassés par d'immenses clusters d'orchestre.
La partition est dynamisée de bout en bout par l'omniprésence de la percussion, admirablement tenue par Pierre Quiriny : cloches-tubes, gongs de toutes tailles, métallophones divers substitués aux steel-drums initialement prescrits dont une térébrante plaque-tonnerre aux effets surprenants dans toute la coda de l'œuvre. La vision de Jean-Paul Dessy à la tête des dix-sept excellentes cordes de l'ensemble Musiques Nouvelles se veut très atmosphérique dans l'exploration des textures, assez éloignée de toute approche plus uniment virtuose voire extravertie, telle celle au disque de Gordan Nikolic.
Les Sept Paroles du Christ en Croix (1982) de Sofia Gubaidulina demeure certainement un des sommets absolus du catalogue de l'immense compositrice russe. Dans cet « oratorio muet », cette liturgie sans paroles, placée dans la lointaine descendance de Schütz ou de Haydn, mais dans une optique cultu(r)elle orthodoxe plus « aniconiste », tout est symbole. Le violoncelle y incarne la voix du Christ et la souffrance vécue dans la chair, alors que le bayan (remplacé ce soir par un accordéon un rien trop occidental) représente la voix divine ou cosmique, l'Esprit. L'orchestre à cordes commente les propos à la manière d'un chœur antique ou des turbae des Passions de Bach. L'œuvre utilise des dissonances intenses et des techniques sonores variées – des clusters brutaux de l'accordéon au jeu parfois « à vide » du violoncelle -magnifié dans la péroraison du « Père, entre tes mains je remets mon Esprit » joué du bout de l'archet au-delà du chevalet- pour explorer l'agonie et la transcendance. L'opposition puis la fusion des deux solistes placent le dialogue entre le terrestre et le spirituel au cœur de la rhétorique discursive.
Il convient de saluer la prestation et la connivence exceptionnelles d'imbrication et d'implication des deux solistes du jour, l'infatigable Pierre Fontenelle, au jeu aussi concerné qu'incandescent, et l'extraordinaire Olivier Douyez qui fait oublier la (légère mais essentielle) différence timbrique de son instrument avec le bayan d'origine par une maîtrise châtiée des effets et l'attention portée aux moindres nuances de la partition. La réplique de l'ensemble Musiques nouvelles alterne supplique grandiose et frémissante intériorité, avec cet instant suspensif et magique de la coda, où par effet de lointain, l'Esprit semble ainsi vraiment s'envoler vers des horizons lointains et impalpables.
En total contraste, pour refermer ce concert donné sans entracte, Jean-Paul Dessy a astucieusement les Greater Antiphones (2016) d'Arvo Pärt, le mystique balte, d'une obédience stylistique plus minimaliste encore et plus vague dans son approche néo-grégorienne. L'œuvre, également donnée en création belge, reprend en version instrumentale les Sieben Magnificat-Antiphonen, composées voici trente ans, sept antiennes liturgiquement circonstancielles, les fameuses « Ô » de l'Avent identiquement mise en musique jadis par Marc-Antoine Charpentier, alors dans l'esthétique du Grand Siècle français. Cette version aux cordes, assez convenue, gomme les effets de tintinabulli de l'original, pour appréhender une sorte d'extase nordique : on pense parfois aux plages les plus planantes d'un Rautavara, voire, dans un autre contexte spirituel, à la sémantique de l‘Andante festivo sibélien. Musiques Nouvelles et Jean-Paul Dessy en livrent une version d'un calme résorbant, faisant de cette œuvre sans doute plus « impersonnelle » au sein de l'abondant catalogue du compositeur estonien aujourd'hui nonagénaire une sorte de terminus de la contemplation.
Venu en nombre, le public peut ainsi goûter une ambiance plus éthérée et épurée, après deux longues partitions plus dramatiques et émotionnellement épuisantes et réserve de longs applaudissements aux interprètes au terme de ce parcours aussi inattendu dans sa programmation que passionnant dans sa réalisation habitée.

















