Carmen fête son 150e anniversaire à Madrid
Opéra le plus joué au monde, Carmen fête cette année son 150e anniversaire au Teatro Real, avec une production forcément très attendue, bien que déjà donnée en 2024 à Londres, signée Damiano Michieletto.
Scandaleuse, figure iconique d'une Espagne fantasmée, symbole de liberté et d'égalité des sexes, dévergondage castillan pour certains, antidote à la névrose wagnérienne pour d'autres, Carmen fut huée lors de sa création avant de devenir le chef d'œuvre incontestable que l'on sait, précurseur de l'opéra vériste, sans jamais quitter la scène depuis sa création à l'Opéra-Comique en 1875…
Il faut bien avouer que Carmen offre un formidable espace de liberté à tous les metteurs en scène qui l'ont abordée depuis les lectures traditionnelles en costume d'époque jusqu'à des visions plus audacieuses s'attachant aux concepts abstraits ou sociétaux. Damiano Michieletto choisit de transposer l'action dans un village reculé de l'Andalousie profonde dans les années 70 (Simon Stone avait fait de même avec Lucia au MET) espérant ainsi actualiser le drame et donner plus de poids au message sociétal en échappant à l'image désuète d'une Espagne imaginaire à l'aune de robes sévillanes et de « toréador »… L'idée est méritoire et remplacer la sierra rocailleuse et sauvage de Bizet par un entrepôt où les contrebandiers viennent chercher leurs marchandises est sans doute une vision forte, neuve et originale, qui renforce le coté vériste de l'œuvre, mais après… Force est de reconnaitre qu'en dehors de quelques scènes anecdotiques (un couturier qui confectionne l'habit de lumière d'Escamillo, le kidnapping de Zuniga ou la présence permanente de la mère de Don José, figure noire et lugubre du destin, prémonitoire de l'issue fatale) Damiano Michieletto n'apporte, ici, rien de nouveau au plan sociétal ou psychologique, laissant, comme d'autres avant lui, Carmen seule face à ses démons, n'ayant pour s'en sortir que ses seuls atouts, la ruse et la sensualité. La scénographie de Paulo Fantin, quelque peu claustrophobique, se décline en quatre tableaux installés sur une tournette (Bureau de police au I, cabaret au II, repaire de contrebandier au III, scène vide au IV) ; les costumes contemporains, les lumières et les scènes de bagarre s'intègrent dans cette proposition scénique sans intérêt particulier.

La distribution vocale ne vaut que par la présence d'Aigul Akhmetshina dont ramure et plumage s'accordent parfaitement : incarnation scénique torride, chant irréprochable associant une diction impeccable, une projection parfaite, un large ambitus avec des aigus faciles et des graves bien timbrés. Face à elle, le Don José de Charles Castronovo fait bien pâle figure avec son timbre nasillard, ses aigus poussifs et serrés et son engagement scénique limité, en parfait accord avec son personnage puéril, immature, à la masculinité fragile. Pour compléter le trio, Lucas Meachem n'est sans doute pas le meilleur choix pour Escamillo, avec sa faible projection, son absence de graves, sa diction incompréhensible. Adriana Gonzalez campe une Micaëla pleine de bonhomie dont le chant lumineux est malheureusement entaché d'un gênant vibrato et d'une diction perfectible. Le Dancaïre de Lluis Calvet et Le Remendado de Mikeldi Atxalandabaso font tous deux bonnes figures tant scéniquement que vocalement, à l'instar de la Frasquita de Natalia Labourdette et de la Mercedes de Marie-Claude Chappuis, toutes deux parfaitement convaincantes. David Lagares (Zuniga) et Toni Marsol (Moralès) complètent cette distribution hétéroclite à la diction pour le moins aléatoire…
Dans la fosse, Eun Sun Kim livre une prestation assez terne, sans alegria, dans une lecture sans passion, narrative, aux tempi souvent trop lents, s'attachant à décrire les différents climats avec un soin un peu scolaire qui met toutefois au jour les belles performances solistiques de la phalange madrilène (vents, harpe) et du Chœur du Teatro Real.
Un anniversaire hélas bien décevant avec cette production manquant d'attrait.















