Un Casse-Noisette réinventé en drame familial par Bridget Breiner à Karlsruhe
Avec un ton résolument contemporain mais une inspiration classique qui reste patente, cette nouvelle version de Casse-Noisette pâtit d'un scénario qui s'étiole au cours du second acte.
Sortir Casse-Noisette de la sucrerie n'est pas une entreprise nouvelle : déjà la version de John Neumeier en 1971 montrait le parcours initiatique de la jeune protagoniste entre enfance et âge adulte, et Rudolf Noureev, au fil des différentes versions qu'il a montées à partir de 1967, n'a cessé de creuser une sorte d'interprétation freudienne du sujet.
Le scénario construit par la chorégraphe met en avant l'ensemble de la famille de Clara/Marie, notamment les parents qui bénéficient ici d'un rôle véritablement dansé. Le nœud du drame est la ruine du père de famille, qui chasse les siens de leur aisance accoutumée, dans l'Amérique du début du siècle dernier. Une bonne partie du premier acte est consacré à la vente aux enchères de leurs biens, au moins aussi traumatisante pour les enfants que pour les adultes. La narration plus théâtrale que dansée est honorablement réalisée, même si elle ne semble pas vraiment alignée sur ce que propose la musique. Le petit intermède d'une bergère, sa brebis et le loup est amusant et bien venu, de même que la caricature du commissaire-priseur et des clients de la vente forcée, mais c'est la caractérisation des personnages qui finit par attirer l'attention ; la mélancolie de la mère de Clara (Lucia Solari) est particulièrement touchante, et de même la cuisinière (Mio Sumiyama) que les Stahlbaum doivent licencier, entre sensibilité et exubérance, prend un relief singulier.
La fin du premier acte nous ramène dans des voies plus habituelles, tout en donnant progressivement une place plus grande à la danse proprement dite : Clara Marie, dansée ici par Sara Zinna qui a créé le rôle il y a un an, y affronte les rats, en triomphe grâce au casse-noisette et entre dans une poétique tempête de neige. La toute fin de l'acte est moins banale : Clara Marie monte au ciel avec l'objet de ses feux, Nathan, l'ami de son frère, dansé avec brio par Daniel Rittoles, et tout le deuxième acte se passe en divertissements au ciel, loin des tourments et du prosaïsme du monde terrestre – les personnages de l'intermède pastoral s'y retrouvent aussi, désormais bons amis ; l'ensemble est charmant, parfaitement adapté aux périodes de fête pour lesquelles la pièce est faite, même s'il n'est pas interdit d'y glisser un peu plus de profondeur – mais les images heureuses du rêve, comme il se doit, se dissipent à la fin de la soirée.
Pendant une bonne partie de la pièce, Bridget Breiner donne un ton contemporain à la pièce, tout en réinterprétant certaines figures (néo)classiques, un porté qu'on croirait emprunté à Cranko ou Neumeier, mais avec une énergie modifiée qui le transforme. À la fin de la pièce, le style se fait plus classique, notamment dans l'inévitable pas de deux : sans doute faut-il y voir le résultat du parcours initiatique de Clara Marie, qui a appris à comprendre et à voir le monde qui l'entoure. C'est une belle idée, et cela montre que le Ballet de Karlsruhe, qui n'est pas une troupe de tradition proprement classique, a des danseurs de haut niveau capables aussi d'affronter les défis techniques du classique.








