Les romances entre violon et orchestre de Fauré à Ralph Vaugham Williams
La Romance pour violon et orchestre correspond fréquemment à un moment de pause ou de relaxation que s'accordent de grands créateurs. =

Gabriel Fauré (1845-1924), élève de Saint-Saëns, confie à la Romance en si bémol majeur, op. 28, qui dure un peu plus de 5 minutes, des traits assez représentatifs de son style. On y retrouve de longues phrases rutilantes et ondoyantes avançant lentement vers un apogée à la fois rêveur et tourmenté. La version orchestrée résulte de l'intervention du flûtiste, compositeur et chef d'orchestre Philippe Gaubert (1879-1941) et fut créée aux Concerts Lamoureux en 1920. Elle met en relief le romantisme fauréen, paisible et pondéré trouvant un équilibre adéquat entre le soliste au jeu adouci et la phalange orchestrale disciplinée.
Conseils d'écoute : Patrice Fontanarosa (violon), Berliner Sinfonie-Orchester, dir. Michael Schønwandt, 1995, EMI Classics CD ; Axel Schaler (violon), Sinfonieorchester Basel, dir. Ivor Bolton (Sony et vidéo) ; Chantal Juillet (violon), Orchestre symphonique de Montréal, dir. Charles Dutoit (vidéo).
L'indéniable réputation du compositeur danois Peter Erasmus Lange-Müller (1850-1926), contemporain de Carl Nielsen, n'a pas résisté au temps, et tant l'homme que son œuvre sont tombés dans les impitoyables oubliettes de la marginalisation. Il compose une Romance pour violon et orchestre, son numéro d'opus 63, en 1899. Son tempo est marqué Andantino, elle est en sol majeur et dure environ 7 minutes. L'orchestre retient des flûtes, un hautbois, des clarinettes, des bassons, des cors, des timbales et des cordes. Le déroulé musical fait la part belle aux instruments de la formation orchestrale auxquels le violon se mêle avec délicatesse, prestance et un souffle romantique de grande beauté doublé d'un panache brillant très attachant.
Conseils d'écoute : Christina Åstrand (violon), Turku Philharmonic Orchestra, dir. Jukka Lisakkila, Dacapo.
Frère de l'excellent peintre norvégien Otto Sinding, le compositeur Christian Sinding (1856-1941) est considéré comme l'un des principaux compositeurs placés dans la descendance d'Edvard Grieg tout en demeurant proche du romantisme germanique. Il laisse un catalogue solide et très intéressant, souvent inspiré, où l'on trouve des pièces pour piano, de la musique de chambre, trois symphonies, des concertos pour piano et pour violon, des lieder… On lui connaît plusieurs Romances pour violon et piano : une en mi mineur (op. 9) de 1886, une autre en mi mineur op. 30 (1896), deux Romances pour violon et piano (en fa majeur et ré majeur) op. 79 de 1906. Une dernière Romance encore en ré majeur pour violon et piano, connait également un arrangement pour violon et orchestre, op. 100 de 1910 (10 minutes). Avec cette dernière pièce, il apporte sa contribution au genre de la romance par son contenu serein et très éloigné d'un souhait de bravoure. Le compositeur choisit un développement orchestral soigné et une présence soliste peu sensible à un rendu romantique axé sur un motif généreux porté par un son éthéré et une activité rythmique assez engagée mais guère passionnée.
Conseils d'écoute : Henning Kraggerud (violon), Orchestre symphonique de Bournemouth, dir. Bjarte Engeset, 2003, Naxos 6110056 ; Andrej Bielow (violon), NDR Radiophilharmonie, dir. Frank Beermann, 2007, CPO 777 117-2 ; Lea Birringer (violon), Hofer Symphoniker, dir. Hermann Bäumer (vidéo).
Edward Elgar (1857-1934). Violoniste talentueux et compositeur souvent inspiré, par exemple dans son exceptionnel Concerto pour violoncelle et orchestre, il sut également, surtout dans sa jeunesse, proposer des partitions plus détendues, des pièces succulentes de salon offrant volontiers la vedette à son instrument. La plus célèbre intitulée Salut d'amour, op. 12 (environ 3 minutes), fut élaborée en juillet 1888 et destinée à sa future femme, Alice Roberts. Il la baptisa Liebesgruss. Mais c'est au piano qu'il la destina initialement. Profondément romantique, elle dessine une mélodie délicate, charmante même, dans sa version première destinée au piano seul. Cependant, il constata avec regret que la partition avec son titre allemand n'enregistrait que peu d'intérêt au niveau des ventes. Tout changea totalement lorsque le titre en français fut retenu. Plusieurs arrangements s'ensuivirent. Celui pour violon et piano connut un fort succès. Le couple violon et orchestre gagna aussi d'innombrables suffrages. En 1929, Elgar l'enregistra avec au violon son ami W.E. « Billy » Reed. Délicate et frêle complainte, Salut d'amour déploie sans artifice cet air, percutant immédiatement l'imagination songeuse de l'auditeur.
Conseils d'écoute : Pinchas Zukerman (violon), London Philharmonic Orchestra, dir. Leonard Slatkine, RCA Read seal ; Gil Shaham (violon), Orpheus Orchestra, 1995, DG (et vidéo) ; Berlin Philharmonic Orchestra, dir. Tugan Sokhiev (vidéo).
Virtuose du violon (un des plus grands du XXe siècle) le compositeur autrichien Fritz Kreisler (1875-1962) exerça son art pendant près de cinquante ans. Sa réputation repose principalement sur la qualité de ses interprétations inoubliables des Concertos de Beethoven et Brahms. Il créa le Concerto pour violon d'Elgar. Lui-même composa avec un certain talent, mais s'il est encore fêté, c'est pour ses nombreuses œuvres pour violon seul et pour être un mystificateur attribuant à d'autres (pseudonymes) ses propres créations. La vérité aujourd'hui est bien rétablie. Kreisler composa plusieurs pièces stylistiquement proches de l'idée de la romance pour violon et piano à l'intention de fameux violonistes de son époque. C'est dire qu'elles proposent une atmosphère représentative de sa ville natale, Vienne. Les deux œuvres Liebesfreud (Plaisir d'amour), Liebeslied (Chagrin d'amour) sont issues des Anciens Airs de danse viennois. Elles enregistrèrent un réel succès. Certaines plurent au grand Rachmaninov qui les transcrivit pour piano seul. Le contemporain Schön Rosmarin (Beau Romarin) évoque également cette atmosphère typiquement autrichienne. Ces trois pièces furent orchestrées par Clark McAlister, compositeur et arrangeur américain né en 1977. Le résultat est loin d'être décevant et l'esprit de Kreisler semble respecté et si agréable à déguster.
Les enregistrements discographiques sont légion et les vidéos disponibles innombrables, tous ou presque rendent hommage au mélodisme flamboyant, rayonnant et spécifique de ce compositeur pasticheur mais caractéristique.
Le compositeur post-romantique russe (puis soviétique) Reinhold Glière (né à Kiev en 1875 – décédé à Moscou 1956) a reçu sa formation au Conservatoire Tchaïkovski de Moscou. Il eut pour maitres Serge Taneïev et Anton Arenski et se distingua dans le registre de l'opéra, de la symphonie, de la musique populaire et de ballet. Il eut pour élève serge Prokofiev et Nicolaï Miaskovski. Il compose une Romance en ré majeur pour violon et piano (op. 3) en 1902 et de nombreuses romances pour voix et piano. La version violon et piano op. 3 a reçu un arrangement orchestral de Michal Worek, un pianiste, compositeur et arrangeur tchèque, né en 1935. Pour finir, précisons que le virtuose russe David Oistrakh a enregistré la Romance pour violon et orchestre de Glière avec l'Orchestre symphonique d'État de Russie placé sous la baguette de Kyrill Kondrashin (années 1946-1949) pour le label Lys (durée 4'54). Cette brève musique recherche et dévoile une image du beau son et crée un climat à la fois retenu et emporté par intermittence dévoilant et illustrant un moment de relaxation relative et contenue.
Conseils d'écoute : Gil Shaham (violon), Orpheus Orchestra, 1995, DG (et vidéo) ; David Oistrakh (violon), The URSS Symphony Orchestra, dir. Kirill Kondrashin (vidéo).
Marie Jaëll, pianiste, compositrice et pédagogue française (1846-1925) formée au Conservatoire de Paris a vécu une existence intense. Pour information indiquons que Jaëll laisse une Romance pour violon et piano (5'30) écrite en 1881. Elle affiche une palette sonore charmante et une maîtrise mélodique gracieuse.
Chef d'orchestre demandé et compositeur très intéressant, le Suédois Wilhelm Stenhammar (1871-1927) s'est construit une grande réputation avec deux symphonies, la Sérénade en fa majeur, 2 concertos pour piano… et Deux romances sentimentales pour violon et orchestre, op. 28, datées de 1910. Notons qu'il en existe aussi une version pour violon et piano. La Romance n° 1, un Andantino, est en la majeur, la n° 2 en fa mineur, est notée Allegro patetico ; l'ensemble durant entre 12 et 15 minutes. L'orchestre se compose de flûte, hautbois, 2 clarinettes, 2 bassons, 2 cors et de cordes. Le fameux Tor Aulin en assura la création en 1911 avec l'Orchestre symphonique de Göteborg dirigé par le compositeur.
La Romance sentimentale n° 1 est marquée par un court thème destiné au violon solo, il sera répété à plusieurs reprises accompagné d'un orchestre discret et en second plan mais aussi parfois efficace dans son expression à la fois maitrisée, contenue et modeste tout en proposant de belles sections changeantes. La Romance sentimentale n°2 aux lignes plus volontaires et moins romantiques au début affichent moins d'émoi et demeure plus extérieure tout en offrant des pages ravissantes et raffinées. Elles se tiennent à distance de tout sentimentalisme excessif et optent pour un son noble associé à une tendance nostalgique subtile.
Conseils d'écoute : Ulf Wallin (violon), Malmö Symphony Orchestra, dir. Paavo Järvi, 1985, BIS-CD-715 ; Tobias Ringborg (violon), Swedish Chamber Orchestra, dir. N. Willén, 1997, Naxos 8.554287 ; Henning Kraggerud (violon), Dalasinfoniettan, dir. Bjarte Engeset (vidéo) ; Arve Tellefsen (violon), Swedish Radio Symphony Orchestra, dir. Stig Westerberg (vidéo) ; Triin Ruubel (violon), Estonian National Symphony Orchestra, dir. Neeme Järvi (vidéo).
Compatriote du précédent, critique musical influent et compositeur, Wilhelm Peterson-Berger (1867-1942) marqué en particulier par Grieg et Richard Wagner écrit des robustes symphonies (six en tout, la dernière inachevée), des pièces pour orchestre adroites (dont un Concerto pour violon et orchestre), des mélodies et des opéras dont le plus connu est Arnljot (1909). On lui reconnait une Romance pour violon et orchestre en ré mineur datant de 1915. Son tempo est noté Andante con moto. Durée : 12 minutes. La création se déroule en avril 1916 à Stockholm sous sa direction et avec la participation du soliste Sven Kjelltröm. Cette musique, une sorte de chanson sans paroles, expose dans une première partie une expressivité emplie de passion, d'originalité et de recherche accomplie d'homogénéité structurée autour de lignes sonores impérieuses tant au niveau du déroulé thématique qu'à celui du choix des couleurs. La partie centrale fait contraste avec ses lignes mélodieuses méditatives et pensives censées correspondre à un jour d'été vespéral rasséréné.
Conseils d'écoute : Ulf Wallin (violon), Norrköping Symphony Orchestra, dir. Michail Jurowski. 1998, CPO CD 999 564-2 (et vidéo) ; Mats Zetterqvist (violon), Swedish Radio Symphony Orchestra, dir. Siegfried Köhler, 1992, Mucica Sveciae MSCD 630 (et vidéo).
Un des plus éminents compositeurs britanniques du XXe siècle, Ralph Vaugham Williams (1872-1958) apprécié pour son cycle de neuf symphonies puissantes et d'innombrables autres musiques inoubliables, apparait avec une pièce fameuse et envoûtante pour violon et orchestre intitulée The Lark Ascending (L'Essor de l'alouette). En un seul mouvement en mi mineur, à l'origine conçu pour violon et piano (1914), joué en 1920, le compositeur la remanie pour violon soliste et orchestre, choix qui sera créé en juin 1921, elle porte en plus l'indication en sous-titre « Une Romance ». Cette dernière version est la plus souvent jouée. Durée : autour de 17 minutes. Musique lente et contemplative que le critique A. H. Fox Strangways commente dans Music & Letters à propos de la version pour violon et piano : « C'est du pur chant ». Le musicologue Michael Kennedy juge cette œuvre « unique » et ajoute que « sa simplicité même est trompeuse », tandis que bien plus tard (2014) Philipp Borg-Wheeler pense que l'œuvre est « imprégnée d'un profond sentiment de communion avec la nature. »
Après deux mesures assurées par les bois et les cordes en sourdine, le soliste fait son apparition avec une cadence pianissimo, notée senza misura (sans barres de mesures), laquelle débouche sur une mélodie jouée par le violon solo et rapidement par l'orchestre. Une autre cadence plus brève, davantage contrastée et sans accompagnement conduit à une partie notée Allegretto tranquillo quasi andante où l'on entend une mélodie nouvelle aux flûtes. Une page Allegro tranquillo fait entendre les trilles du violon solo avec un triangle à contretemps. Plus loin, le hautbois s'exprime avec une nouvelle mélodie marquée scherzando. La mélodie jouée par les flûtes revient (Allegretto molto tranquillo) mais cette fois par le violon solo. Les dernières mesures sont également confiées au violon solo. En restant au plus près du ressenti, cette « Romance » d'une beauté exquise inspirée par la chanson populaire anglaise se faufile presque flegmatique et pacifique dans un courant sensuel, exquis, tout de sensibilité contrôlée et de brillant sonore où la délicatesse le dispute à l'enchantement et la nostalgie à l'espoir. Le temps poétique suspendu…
Conseils d'écoute : Hugh Bean (violon), New Phiharmonia Orchestra, dir. Sir Adrian Boult, LP EMI SLS 822 ; Iona Brown (violon), Academy of Saint-Martin-in-the-Fields, dir. Neville Marriner, LP argo ZRG 696 ; David Nolan (violon solo), London Philharmonic Orchestra, dir. Vernon Handley, CD Warner Classics ; Jonathan Carney (violon), Royal Philharmonic Orchestra, dir. Christopher Seaman, CD RPM 28360 ; James Ehnes (violon), Royal Liverpool Orchestra, dir. Andrew Manze, CD Onyx ; Sarah Chang (violon), London Philharmonic Orchestra, dir. Bernard Haitink, Werner Classics CD ; Hilary Hahn (violon), au Festival George Enescu (vidéo) ; Warwick Adeney et Queensland Symphony Orchestra, dir. Peter Luff (vidéo) ; Tasmin Little (violon), BBC Symphony Orchestra, dir. Sir Andrew Davis (vidéo) ; Julia Fischer (violon), Orchestra philharmonique de Monte-Carlo, Yakov Kreizbzerg (vidéo).
Pour illustrer musicalement ces Romances pour violon et orchestre, la discographie suggérée mais aussi les vidéos YouTube choisies offrent un choix très confortable et non exhaustif d'interprétations d'accès aisé pour faciliter la (re)découverte d'un catalogue agréable, souvent apaisant, presque toujours sentimental, justifiant une fréquentation renouvelée.









