À Genève, lumineux Farnace d’Antonio Vivaldi
Après le Teatro Real de Madrid et le Théâtre des Champs-Élysées de Paris, c'est Genève qui a les honneurs d'une représentation de l'opéra Farnace d'Antonio Vivaldi dans la production concertante imaginée par Emiliano Gonzalez Toro et son Ensemble I Gemelli.
Disons-le d'emblée, ce spectacle signe un nouveau franc succès du ténor genevois pour son Ensemble I Gemelli et pour son infatigable volonté d'apporter une lecture décomplexée de la musique baroque des XVIIe et XVIIIe siècles sans toutefois en occulter la rigueur musicale. L'orchestre disposé en demi-cercle entoure les chanteurs qui entrent ou sortent de scène au gré de leurs démêlés avec les autres personnages de l'intrigue. Une intrigue typique de l'opéra baroque avec son lot de manœuvres déloyales, de jalousies, de haines, de trahisons pour finalement se terminer dans de grands pardons et d'improbables réconciliations.
Dans cette production, après avoir été au disque en 2011 puis à la scène en janvier 2012 à Paris et en mai à Strasbourg, un des personnages de cet opéra, Emiliano Gonzalez Toro se présente aujourd'hui dans le costume du rôle-titre. Précisons que la version de ce spectacle est postérieure de quatre ans à la version originale de Vivaldi, qui fait l'objet de l'enregistrement dont nous parlons plus haut. Ici, le rôle-titre est transposé pour une voix de ténor en lieu et place de celle d'un contre-ténor dans la version de 1731. Cette deuxième version projette le rôle-titre dans une personnification plus masculinisée que dans la version originale. Si elle donne à nos oreilles une approche plus réaliste, elle s'appuie cependant souvent sur le registre bas-médium de la voix de ténor. Ce n'est malheureusement pas le registre le plus accommodant pour la voix solaire d'Emiliano Gonzalez Toro (Farnace). S'il offre néanmoins avec conviction sa débordante énergie dans ses interventions vindicatives ou guerrières, il reste capable d'émouvants élans paternels, comme dans son sensible « Perdona, o figlio amato ».
Le ténor s'accompagne d'une remarquable distribution de laquelle le contre-ténor américain Key'mon Winkfield Murrah (Gilade) émerge avec une évidence renversante. Si son premier air « Nell'intimo del petto » surprend le chaland par la douceur, la soie du timbre dans la bouche de cet imposant et athlétique chanteur, on fond rapidement sous le charme de cette voix si admirablement conduite. Quand plus avant, il chante « Quell'usignolo che innamorato », ses vocalises, ses roulades, ses suraigus, toujours dans une ligne de chant impeccable, déclenchent une énorme ovation. On se prend alors à penser aux chroniques du temps des castrats où la folie s'emparait du public pour ces « extraterrestres » vocaux. Lorsqu'au troisième acte, le contre-ténor américain nous séduit encore avec son « Scherza l'aura lusinghiera », il nous livre le même enchantement mêlé d'admiration pour la parfaite maîtrise technique de son instrument vocal.
Quant aux autres protagonistes, le plateau réuni autour de ces deux chanteurs reste d'un très haut niveau. À commencer par la mezzo-soprano Deniz Uzun (Tamiri) dont la voix puissante, aux graves amples et sonores, au phrasé harmonieux, reste néanmoins agréablement contenue. Avec le charisme bienveillant de la mezzo française Adèle Charvet (Berenice), sa voix bien franche, on peine à croire à son rôle de vengeresse quand bien même, serrant le poing, elle jette toute son ardeur dans cette personnification. La mezzo-soprano Séraphine Cortez (Selina) se distingue de ses consœurs de scène par sa voix moins typée, moins corsée de mezzo, dont elle use cependant à merveille dans ses scènes de séduction même si elle n'est pas toujours très à l'aise dans les terrible vocalises de cette partition. Deux autres voix de ténor complètent la distribution. Originaire de Séville, Juan Sancho (Pompeo) impose un chant carré où, dans une diction parfaite, il brille d'une émission placée très haut dans le masque à la limite de la nasalité. Le ténor chilien Álvaro Zambrano (Aquilo), vocalement plus discret, peut s'enorgueillir d'une voix dotée d'un beau velours qu'on aurait toutefois parfois aimé plus charnue.
Sans chef, la direction d'orchestre étant assurée par quelques gestes des chanteurs, l'Ensemble I Gemelli s'affirme d'une belle solidité quand bien même il pourrait se permettre parfois d'être plus présent. Mais l'unité est là et les scènes s'enchaînent sans à-coups.
Quant à la mise en espace de Mathilde Etienne, même si l'intrigue de Farnace s'exprime plus dans des dialogues entre les protagonistes que dans la psychologie des personnages, elle nous est apparue moins vivante que celle que la compagne d'Emilio González Toro avait imaginée pour La liberazione di Ruggiero dall'isola d'Alcina de Francesca Caccini à l'Opéra de Lausanne en octobre de l'an dernier. Peut-être qu'une direction d'acteurs plus dynamique, qu'un travail plus approfondi autour des caractères de chacun, voire des enjeux entre les uns et les autres auraient été bénéfique, la dramaticité de l'intrigue se noyant parfois dans des récitatifs manquants d'expressivité théâtrale.









