Les 100 ans de la Martha Graham Dance Company au Châtelet
La Martha Graham Dance Company fête son centenaire au Théâtre du Châtelet. Le premier programme de la plus ancienne compagnie américaine couvre près de 80 ans de création, des pièces historiques à un nouveau solo pour Aurélie Dupont.
Contre toute attente, la Martha Graham Dance Company a littéralement mis le feu au Théâtre du Châtelet, notamment avec Cave, création du chorégraphe Hofesh Shechter pour la compagnie, à l'initiative du danseur et producteur Daniil Simkin. Les interprètes, méconnaissables, s'abandonnent à un fascinant vocabulaire gestuel, où Shechter s'amuse à détourner les codes de la technique Graham. Dès le début de la pièce, le rythme est intense, mais la musique assourdie. Les corps suivent une pulsation dictée par le bassin et le plexus, comme dans la technique Graham, avec les deux pôles que sont les bras levés au ciel et les pieds ancrés dans le sol. En groupe compact, les danseurs forment une masse ondoyante et fibreuse, à la Sharon Eyal, traversée d'énergie brute. Les danseurs se lâchent quand la pièce, de chorale, devient une Battle. Pour Hofesh Schechter, c'est l'occasion de laisser exploser la virtuosité des danseurs, leur plasticité et leur incroyable énergie communicative.
Le programme s'ouvrait sur deux chefs-d'œuvre de Martha Graham inspirés de la mythologie grecque, Errand Into the Maze et Cave of the Heart, créés respectivement en 1947 et 1946, sur une scénographie d'Isamu Noguchi.
Dans Errand Into the Maze, Martha Graham féminise le mythe de Thésée pour en faire une femme libre et astucieuse : c'est Ariane, et non le héros, qui descend dans le labyrinthe pour affronter le Minotaure, alias la Créature de la Peur. Seule, guidée par le fil qui lui permettra de s'en échapper, elle lutte trois fois avant de triompher. Chaque mouvement, en particulier les élans vers le haut ou les grands battements, traduit la conquête de cette liberté intérieure. Le personnage du Minotaure, les bras maintenus en l'air par un bâton, est d'apparence frustre et bornée. Un duo fondateur de Marta Graham interprété par deux magnifiques danseurs, dont Lloyd Knight, qui incarnait déjà le Minotaure lors du dernier passage de la compagnie au Théâtre du Châtelet en 2009.
Plus stylisé et spectaculaire, Cave of the Heart transpose le mythe de Médée dans un langage expressionniste d'une intensité inouïe. L'amour, la jalousie, la vengeance sont exprimés par les gestes tranchants et anguleux caractéristiques de la chorégraphe. Le quatuor s'ancre dans l'époque moderniste avec ses sculptures de Isamu Noguchi et ses costumes marqués, qui nous replongent dans le goût de l'immédiat après guerre, comme le ferait un tableau. Les personnages sont ultra caractérisés, déroulant chacun son fil narratif grâce à une gestuelle propre. Les deux danseuses principales sont époustouflantes. Médée la magicienne est terrifiante dans sa passion contrariée pour Jason, dont elle tue la compagne. Le chœur, autre personnage essentiel, est comme une pythie qui annonce le malheur, essaie de l'empêcher, mais finit à son tour par être dévorée.
Après l'entracte, Aurélie Dupont créé une pièce inédite, inspirée d'une série de photographies de 1926 où Martha Graham interprétait un solo aujourd'hui disparu, Désir. Ce court solo très sculptural, conçu par Virginie Mécène, comme l'était la reconstitution d'Ektasis avec la même Aurélie Dupont à l'Opéra Garnier en 2018, s'appuie sur ces trois clichés de Graham. La danseuse étoile de l'Opéra de Paris, vêtue d'une longue robe rouge, élastique, entravant ses chevilles, renoue un fil entre ces photos et y tisse un lien sensible entre hier et aujourd'hui, dans un hommage vibrant à Martha Graham. Sa présence magnétique, son économie de mouvement et la tension dramatique de sa gestuelle suffisent à créer un halo rouge incandescent, qui n'est pas sans rappeler celui du Boléro de Béjart.
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