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L’union après la rupture au Théâtre Impérial de Compiègne

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Compiègne. Théâtre Impérial, 12.X.2003. Francis Poulenc : La Voix Humaine Anne-Sophie Schmidt [soprano] ; Emmanuel Chabrier / Darius Milhaud : Une éducation manquée Franck Cassard, Philippe Le Chevalier, Céline Victores Benavente. Mise en scène: Pierre Jourdan. Orchestre de Picardie, direction : Pascal Verrot.

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Un dimanche après-midi au Théâtre Impérial de Compiègne, cela vous tente t-il ? À moins d'une heure de Paris, des pans entiers du patrimoine musical français revivent, sous l'impulsion de son Schauspieldirektor .

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Ce « cercle des mélomanes disparus » réhabilite des ouvrages méconnus ou ostracisés. Tels Dinorah (Le Pardon de Ploermel), opéra pastoral de Meyerbeer (repris ici même en 2004), le Songe d'une nuit d'été d' Ambroise Thomas, Henry VIII de Saint Saëns, Christophe Colomb de Darius Mihaud… Éclectique, il propose également des créations —  Le Visiteur, de Stavros Xarhakos (2000). Place cet après-midi à un diptyque insolite : oeuvres brèves en un acte, aux esthétiques a priori disparates. Encore qu'une certaine filiation existe entre l'auteur des Dialogues et celui de Gwendoline. Chabrier et Poulenc ont composé d'autres subtils divertissements à l'humour ravageur : le premier Fisch Ton-Kan, le Roi malgré lui, l'Étoile ; le second, les Mamelles de Tirésias, loufoquerie surréaliste (qui eût été un choix plus logique en première partie).

A bien des années d'intervalle, Chabrier et Poulenc réinventent la « problématique » de l'opérette, délaissant les oeuvrettes ineptes, racoleuses, qui fleurirent au kilomètre, sous le second Empire. Nos deux facétieux musiciens disposent en effet d'un atout maître: une instrumentation sophistiquée burlesque et poétique, ainsi qu'une élégance quasi-mozartienne jusque là insoupçonnée dans ce domaine.

Avant la catharsis « opérettique », place à une sombre tragédie lyrique, sur un texte suranné de Cocteau, La voix humaine. Sa physionomie est originale : à la fois partition allégorique, inclassable cantate dramatique, « opéra-réalité », post-vériste ; à l'expressionnisme cru, voire impudique. De la psychologie musicale ! Des thèmes très actuels, une triste et banale quotidienneté : la rupture amoureuse, la séparation brutale, la lâcheté masculine. L'on assiste en « voyeuriste » à ce naufrage sentimental —  celui d'une femme « plaquée » par son amant… au téléphone. En vérité, une frontière entre la prosodie monteverdienne et le langage déstructuré, rêche, du Schoenberg d'Erwartung. Poulenc convoque, dans une parfaite unité, bribes d'arioso, parlé-chanté, cris, murmures, spasmes mélodiques…

a le profil idéal voulu par les auteurs de ce monologue désespéré et obsessionnel : jeunesse, séduction, sensualité animale. L'artiste semble visiblement prédestinée à incarner l'âme féminine qu'idéalise Poulenc. Se rappeler sa Blanche de la Force proche de la transe mystique (Strasbourg, 1999, Latham-Koenig), errant pour l'éternité dans la nuit sombre de Gethsemani. Ici, soutenue par une direction « coup de poing » de , une torche humaine se consume devant nous.

Comédienne accomplie —  seule en scène durant cinquante minutes —  elle ne surjoue jamais cette dérive, passant de l'hystérie à la révolte ; puis à la supplication. Chaque mot claque, respire, vit : le texte reste toujours audible. Rayonnant soprano dotée d'un aigu tranchant, admirablement projeté, Schmidt se meut avec aisance dans les sinuosités de ce lyrisme polymorphe, avec une sincérité intense —  là où tant d'autres font étalage d'une affectation déplacée.

Après l'entracte, changement radical d'atmosphère avec Une éducation manquée… parfaitement réussie. La mise en scène rocambolesque mais sobre de se souvient des premiers courts métrages du cinéma muet. L'argument un brin scabreux, ténu —  l'histoire d'un double dépucelage —  est rachetée par une musique inspirée, luxuriante, d'une irrésistible virevoltance ; depuis l'ouverture jusqu'au final ! D'ailleurs, Ravel écrit à juste titre en 1913 : « il y a plus de véritable musique dans cette petite oeuvre savoureuse, que dans beaucoup de grands ouvrages lyriques ».

Chabrier n'a rien d'un vulgaire faiseur. Soulignons en particulier l'écriture élaborée des pupitres de vents —  de fantasques soli de haubois et de clarinette. La pétulante musique additionnelle de Darius Mihaud (récitatifs chantés, air supplémentaire) n'y est pas étrangère. Le trio vocal réuni, désopilant, est dominé par Le Chevalier —  baryton hâbleur en plus de stylé, à la voix longue et aux graves sonores. Relevons la vive musicalité de , en dépit d'une voix courte et acide, et louons de demeurer souple, ne surchargeant jamais son ridicule personnage.

Dans la fosse, rattache davantage Chabrier à Offenbach, voire Bizet —  Docteur Miracle, Don Procopio — , qu'à l'esthétique frelatée des Messager, Varney ou autres Audran. Le bon goût reste le maître. Que l'on écoute Une éducation manquée après La Mascotte : la différence saute immédiatement aux oreilles. La délectation gourmande du chef exacerbe la vigueur rythmique de cette mousseuse chantilly ; il balaie d'un revers de baguette toute velléité de condescendance envers cet art jugé « mineur ».

La sortie du DVD est imminente. , fort de cette initiative, redorera-t-il le blason du Testament de Tante Caroline d'Albert Roussel ? L'auteur de Padmâvâti estimait opportun de revenir à l'opérette, ce genre délaissé. Pourquoi pas, également, les Aventures du Roi Pausole d'Arthur Honegger —  ou encore l'exquis le Roi l'a dit de Delibes : autant de partitions allègres d'un raffinement exemplaire, idéalement adaptées au cocon douillet et cossu du Théâtre Impérial.

Crédit photographique : © DR

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