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Simone Weil et Stéphanie d’Oustrac, Immortelles

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Paris. Salle Pleyel. 28-X-2012. Luigi Cherubini (1760-1842) : Médée, ouverture. Florentine Mulsant (née en 1962) : Oratorio sur Simone Weil, op.39 ; création pour récitante et orchestre op.39. Hector Berlioz (1803-1869) : Cléopâtre, scène lyrique. Piotr Ilitch Tchaïkovski (1840-1893) : Roméo et Juliette. Marina Hands, récitante ; Stéphanie d’Oustrac, mezzo-soprano. Orchestre national d’Ile de France, direction : Enrique Mazzola

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Quatre femmes immortelles étaient convoquées salle Pleyel dont une seule, la philosophe engagée Simone Weil disparue en 1943, est notre contemporaine. Pour les évoquer, deux femmes d'aujourd'hui, la compositrice et la mezzo Stéphanie d'Oustrac. De la reine à l'artiste, de l'amoureuse à la compositrice, le programme donnait à entendre et à voir ce que la femme apporte à l'humanité quand sa force et sa créativité ont enfin un espace pour s'exprimer.

Pièce principale du concert, la création parisienne de l'Oratorio sur Simone Weil de (la création mondiale a eu lieu le 25 octobre à Vélizy-Villacoublay) permet de rappeler l'importance de cette personnalité hors norme. Agrégée de philosophie en 1931, tout est combat chez elle : elle devient ouvrière à la chaine en 1934 et 1935, s'engage dans la Guerre civile espagnole en 1936 pour combattre Franco, découvre la foi et le Christ en 1938, rejoint la France libre à Londres avant de mourir de tuberculose en 1943, à 34 ans.

L'oratorio de , écrit pour récitant et large orchestre, est construit sur un texte d'Emmanuel Bourdieu (né en 1965) composé de  six sections – on pourrait presque dire de six stations tant le caractère de l'œuvre est un procès en béatification de la philosophe. Tour à tour dramatique (« 1923. Une adolescente songeuse… »), machiniste (« 1934. Une jeune femme frêle et têtue devant l'ouverture d'un four brûlant… »), guerrière (« En 1936, près de Barcelone…. Silhouettes minuscules fuyant, affolées… »), messianique (1938, abbaye de Solesme), en arpèges célestes pour évoquer la maladie et la mort, la musique de Florentine Mulsant vise à coller au plus près du texte, l'illustrant pour mieux l'incarner. Si la compositrice s'attache à déployer sa science orchestrale, elle le fait au service de son sujet. La comédienne Marina Hands, émue, surmonte à peu près l'acoustique difficile de Pleyel par une sonorisation qui est indispensable, mais qui a l'inconvénient important de créer un artifice entre elle et le public, et qui réduit l'impact de sa diction. La pureté sincère et les valeurs humanistes de l'art de Florentine Mulsant sont, elles, transmises intactes.

Avec Stéphanie d'Oustrac qui apparaît en longue robe noir doublée d'un voile doré, on entre de plein pied dans le drame lyrique. Avec sa cantate Cléopâtre écrite pour le Prix de Rome en 1829, Berlioz a donné le meilleur de lui-même, et le Prix lui a été refusé. Il ne s'agissait pas donner le meilleur de soi-même pour décrocher le Prix de Rome, mais de rentrer dans les critères d'évaluation imposés par le jury. L'année suivante il retiendra la leçon, et composera une médiocre cantate, obtiendra le Prix, et détruira sa pièce de concours. Cléopâtre sera elle conservée, et Stéphanie d'Oustrac réalise une superbe entrée dans le répertoire berliozien.

Ses qualités de diction et son aptitude à incarner les reines ont régulièrement été soulignées dans ces colonnes, et elle les a appliquées à merveille à Cléopâtre. Avec une maîtrise confondante à poser sa voix et ses mots dans cette salle pourtant si difficile pour les solistes, elle s'est jouée des difficultés de la virtuosité et des contrastes de l'écriture, aussi à l'aise dans les pianissimos que les grandes projections, et imposant un temps en suspension. Que les berlioziens se frottent les mains, ils tiennent en Stéphanie d'Oustrac une prochaine grande Didon.

Pour finir, la bonne surprise qu'on n'attendait pas, un Roméo et Juliette de Tchaïkovski dirigé de manière très lyrique sans sirop mélodramatique, absolument spectaculaire, dénué de vanité. On avait déjà remarqué la gestuelle d' dans l'oratorio et la cantate, mais là il se donne entièrement, pour le plus grand plaisir de ceux qui étaient assis derrière l'orchestre et pouvaient donc le voir de face. A l'image de son interprétation, le chef est italien jusqu'au bout de la baguette, chaleureux, démonstratif, embrassant tout l'orchestre, incroyablement rapide dans sa gestique, précis et voire même ultra-précis, furtif et agile comme une chauve-souris, capable de fondre soudainement son regard et de projeter sa baguette tueuse vers tel musicien. Avec , arrivé en septembre comme directeur musical, c'est l'esprit de Ferrari qui arrive à l'Orchestre National d'Ile-de-France ! Du rouge sang qui vous en met plein la vue, mais dessiné au scalpel, et qui vous emporte à toute allure. Les musiciens ont l'air d'adorer et le public en redemande. Ca va décoiffer !

Orchestre National d'Île de France

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